Exo « Écrire suivant un incipit » : La douce amère
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Exo « Écrire suivant un incipit » : La douce amère
C'était inévitable : l'odeur des amandes amères lui rappelait toujours le destin des amours contrariées.
- Tu vois cet amandier, là. Celui qui est derrière l'olivier. Il ne produit, et il n'a jamais produit que des amandes amères. Tu peux essayer. Goûte !
Goûter.
Comme s'il ne connaissait pas cette amertume qui allait puiser en lui une envie de cracher par terre, une envie de shooter avec violence dans les cailloux secs, faisant le lit de la végétation pauvre et âpre qui s'étendait à perte de vue, autour du mas.
Il n'avait pas toujours détesté cet endroit. A présent, il le considérait avec dérision. Ce n'était jamais qu'une carte postale. Un cliché. Pour peu que les cigales se mettent à émettre leur chant énervant, et le tableau était complet.
Oui. Il est beau, le Midi. Oui, elles sont belles, les belles Arlésiennes. Surtout quand elles se barrent. Pour aller où ? Danser plus loin, sur le pont d'Avignon ? Ou descendre plus bas. Aller en Aix, par exemple ?
Ce jour-là, il faisait si chaud et l'air était si sec
qu'on entendait crisser les herbes rabougries
dans une odeur de terre brûlée.
La terre ?
on aurait dit qu'elle allait s'enflammer.
Sa couleur ocre rougeâtre ponctuait le paysage.
Au loin, un air vibrant faisait trembler l'horizon.
Elle appelait ce phénomène un mirage.
C'était folie de rester dehors. L'ombre de l'amandier suffisait à peine à les rafraîchir, tous les deux.
A croire que les amoureux sont insensibles à la brûlure de l'air ambiant, car pour rester ainsi enlacés, il fallait au moins, ne plus ressentir que le feu passionné de leurs deux épidermes se fondant l'un dans l'autre, jusqu'au vertige.
Avait suivi un moment grave.
Posant sur elle son regard sombre, il avait sorti de sa poche une lettre.
- Tiens. Lis.
- Alors toi aussi, tu es appelé ? Le fils du voisin est déjà parti depuis quelques mois. Je croyais, j'espérais qu'ils t'oublieraient.
- Je pars dans quinze jours.
- Tu sais pour combien de temps ?
- Non.
- On s'écrira.
- Oui. On s'écrira.
- Je t' !
- Tu es bête ! Tais-toi. Moi aussi.
3 juillet 1960
Mon amour,
Je t'attends. Je t'attends chaque jour.
16 juillet
Mon amour,
Tu me dis que la terre est aussi rouge qu'ici, que le soleil flamboie autant. Tu me dis que des amandiers entourent ton camp. Te souviens-tu du jour où je t'ai offert une amande amère ? C'était pour rire, mon amour ! C'était pour rire !
13août
Pardonne-moi, Sylvain.
Je t'ai laissé longtemps sans nouvelles. C'est que j'ai été occupée, vois-tu ?
J'ai trouvé du travail chez les Mercier. Tu sais, ceux dont le fils est parti quelques mois avant toi. A propos : il est revenu bien amoché, le pauvre. Ils l'ont démobilisé. Il va bien, maintenant. Il travaille pour son père.
14 septembre
Sylvain ?
Comment vas-tu ?
Tu sais, le fils Mercier et moi avons monté une petite affaire. On exploite les amandiers, et on vend nos amandes à Aix. Ils en font des calissons. C'est très bon. Rassure-toi, je n'y mets pas d'amandes amères !
On aurait dit que la terre allait s'enflammer.
Sa couleur ocre rougeâtre ensanglantait le paysage.
Au loin, un air vibrant faisait trembler l'horizon.
Sa douce amère appelait ce phénomène un mirage.
- Allez Sylvain, ne fais pas ta chochotte. Gôute-moi cette amande amère
- Mais tu vas me lâcher, oui, avec tes amandes amères ?
- Tu te rappelles quand on en offrait aux filles ?
- Non
- Sais-tu qu'il suffit de pas moins de cinquante amères ingérées pour tuer un homme ? Tu avalerais du cyanure, ce ne serait pas mieux
- Sais-tu, toi, que la douce-amère est une plante toxique ?
- Je ne vois pas le rapport.
C'était inévitable : l'odeur des amandes amères lui rappelait toujours le destin de ses amours contrariées.
- Tu vois cet amandier, là. Celui qui est derrière l'olivier. Il ne produit, et il n'a jamais produit que des amandes amères. Tu peux essayer. Goûte !
Goûter.
Comme s'il ne connaissait pas cette amertume qui allait puiser en lui une envie de cracher par terre, une envie de shooter avec violence dans les cailloux secs, faisant le lit de la végétation pauvre et âpre qui s'étendait à perte de vue, autour du mas.
Il n'avait pas toujours détesté cet endroit. A présent, il le considérait avec dérision. Ce n'était jamais qu'une carte postale. Un cliché. Pour peu que les cigales se mettent à émettre leur chant énervant, et le tableau était complet.
Oui. Il est beau, le Midi. Oui, elles sont belles, les belles Arlésiennes. Surtout quand elles se barrent. Pour aller où ? Danser plus loin, sur le pont d'Avignon ? Ou descendre plus bas. Aller en Aix, par exemple ?
Ce jour-là, il faisait si chaud et l'air était si sec
qu'on entendait crisser les herbes rabougries
dans une odeur de terre brûlée.
La terre ?
on aurait dit qu'elle allait s'enflammer.
Sa couleur ocre rougeâtre ponctuait le paysage.
Au loin, un air vibrant faisait trembler l'horizon.
Elle appelait ce phénomène un mirage.
C'était folie de rester dehors. L'ombre de l'amandier suffisait à peine à les rafraîchir, tous les deux.
A croire que les amoureux sont insensibles à la brûlure de l'air ambiant, car pour rester ainsi enlacés, il fallait au moins, ne plus ressentir que le feu passionné de leurs deux épidermes se fondant l'un dans l'autre, jusqu'au vertige.
Avait suivi un moment grave.
Posant sur elle son regard sombre, il avait sorti de sa poche une lettre.
- Tiens. Lis.
- Alors toi aussi, tu es appelé ? Le fils du voisin est déjà parti depuis quelques mois. Je croyais, j'espérais qu'ils t'oublieraient.
- Je pars dans quinze jours.
- Tu sais pour combien de temps ?
- Non.
- On s'écrira.
- Oui. On s'écrira.
- Je t' !
- Tu es bête ! Tais-toi. Moi aussi.
3 juillet 1960
Mon amour,
Je t'attends. Je t'attends chaque jour.
16 juillet
Mon amour,
Tu me dis que la terre est aussi rouge qu'ici, que le soleil flamboie autant. Tu me dis que des amandiers entourent ton camp. Te souviens-tu du jour où je t'ai offert une amande amère ? C'était pour rire, mon amour ! C'était pour rire !
13août
Pardonne-moi, Sylvain.
Je t'ai laissé longtemps sans nouvelles. C'est que j'ai été occupée, vois-tu ?
J'ai trouvé du travail chez les Mercier. Tu sais, ceux dont le fils est parti quelques mois avant toi. A propos : il est revenu bien amoché, le pauvre. Ils l'ont démobilisé. Il va bien, maintenant. Il travaille pour son père.
14 septembre
Sylvain ?
Comment vas-tu ?
Tu sais, le fils Mercier et moi avons monté une petite affaire. On exploite les amandiers, et on vend nos amandes à Aix. Ils en font des calissons. C'est très bon. Rassure-toi, je n'y mets pas d'amandes amères !
On aurait dit que la terre allait s'enflammer.
Sa couleur ocre rougeâtre ensanglantait le paysage.
Au loin, un air vibrant faisait trembler l'horizon.
Sa douce amère appelait ce phénomène un mirage.
- Allez Sylvain, ne fais pas ta chochotte. Gôute-moi cette amande amère
- Mais tu vas me lâcher, oui, avec tes amandes amères ?
- Tu te rappelles quand on en offrait aux filles ?
- Non
- Sais-tu qu'il suffit de pas moins de cinquante amères ingérées pour tuer un homme ? Tu avalerais du cyanure, ce ne serait pas mieux
- Sais-tu, toi, que la douce-amère est une plante toxique ?
- Je ne vois pas le rapport.
C'était inévitable : l'odeur des amandes amères lui rappelait toujours le destin de ses amours contrariées.
Invité- Invité
Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : La douce amère
Ce texte plait beaucoup à la méridionale que je suis. L'amandier est un arbre du Midi.
Ce jour-là, il faisait si chaud et l'air était si sec
qu'on entendait crisser les herbes rabougries
dans une odeur de terre brûlée.
La terre ?
on aurait dit qu'elle allait s'enflammer.
Sa couleur ocre rougeâtre ponctuait le paysage.
Au loin, un air vibrant faisait trembler l'horizon.
Description épatante.
Ah ! Les ocres de Rustrel !... J'ai une amie propriétaire et gérante de ces lieux merveilleux.
J'apprécie la progression dans la situation, qu'on devine peu à peu, l'amertume de la déconvenue, pareille à l'amertume de certaines amandes, enfin, le principe de l'exo (que tu redoutais) parfaitement respecté.
C'est super, Iris.
Ce jour-là, il faisait si chaud et l'air était si sec
qu'on entendait crisser les herbes rabougries
dans une odeur de terre brûlée.
La terre ?
on aurait dit qu'elle allait s'enflammer.
Sa couleur ocre rougeâtre ponctuait le paysage.
Au loin, un air vibrant faisait trembler l'horizon.
Description épatante.
Ah ! Les ocres de Rustrel !... J'ai une amie propriétaire et gérante de ces lieux merveilleux.
J'apprécie la progression dans la situation, qu'on devine peu à peu, l'amertume de la déconvenue, pareille à l'amertume de certaines amandes, enfin, le principe de l'exo (que tu redoutais) parfaitement respecté.
C'est super, Iris.
Invité- Invité
Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : La douce amère
Perso j'aurai écrit : dans les cailloux secs qui faisaient le lit ; histoire d'éviter un participe présent ; et aussi : le tableau serait complet. Descendre plus bas que Arles m'a amusé car Arles est au bord du Rhône, donc plus bas c'est la méditerranée, mais c'est mon réflexe de montagnard car dans le sens commun, Aix est plus au sud donc plus bas sur la carte. Tu nous place dans la peau de Sylvain et je trouve ça fort. Oui le mirage est cette vibration sur la terre brûlée, ton image est saisissante. La première lettre est l'ordre de route de l'armée. On devine qu'il s'agit de la guerre d'Algérie, dernière guerre à mobiliser les appelés. Ensuite les lettres de son amante qui s'espacent dans le temps et laisse deviner un scénario d'infortune pour le pauvre bidasse. Je note que toi aussi tu t'es renseigné sur wiki pour l'amande amère, hi ! hi ! La morelle (douce-amère est une Solanacée bien connu pour sa toxicité, c'est une des raisons de la difficulté de l'introduction de la culture des pommes de terre qui sont aussi de la même famille, des gens se sont empoisonnée en mangeant ses fruits au lieu des tubercules. Ton texte est concis comme ce : je t'! mais laisse une grande ouverture à l'imagination du lecteur. Bref, je l'! beaucoup.
Jean Lê- Nombre de messages : 591
Age : 65
Localisation : Bretagne
Date d'inscription : 22/11/2010
Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : La douce amère
Embellie.
Oui, j'avais annoncé que je ne participerais pas, et puis voilà... J'ai quand même envoyé un des textes que j'avais griffonnés. (poil au nez)
Jean Lé,
Au niveau de la topologie, effectivement, je fais erreur, c'est bien plus bas sur la carte plane qu'il fallait comprendre. Bien vu aussi pour la guerre. 1960... Je rencontre souvent maintenant des hommes qui ont été ainsi appelés à cette époque. Leurs souvenirs ouvrent une autre perspective sur ces évènements, un autre éclairage, que ne reflète bien-sûr pas ma modeste petite histoire. J'allais dire insipide petite histoire, mais quand même, elle sent l'amande amère :-)
En tout cas, merci à tous deux pour votre lecture bienveillante.
Oui, j'avais annoncé que je ne participerais pas, et puis voilà... J'ai quand même envoyé un des textes que j'avais griffonnés. (poil au nez)
Jean Lé,
Au niveau de la topologie, effectivement, je fais erreur, c'est bien plus bas sur la carte plane qu'il fallait comprendre. Bien vu aussi pour la guerre. 1960... Je rencontre souvent maintenant des hommes qui ont été ainsi appelés à cette époque. Leurs souvenirs ouvrent une autre perspective sur ces évènements, un autre éclairage, que ne reflète bien-sûr pas ma modeste petite histoire. J'allais dire insipide petite histoire, mais quand même, elle sent l'amande amère :-)
En tout cas, merci à tous deux pour votre lecture bienveillante.
Invité- Invité
Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : La douce amère
Iris, les mots sont insuffisants pour te dire à quel point ce texte m'a touché.
D'abord parce que ton écriture est remarquable.
Mais aussi parce j'ai vécu un an plus tard la même aventure que Sylvain (mais sans les amours contrariées) J'ai crapahuté sur cette terre rouge, dans des paysage sublimes, parmi les amandiers. Des mauresques cassaient des amandes sur le seuil des mechtas.
J'ai deviné dans d'autres textes que tu es de là-bas et j'imagine ton déchirement et ta nostalgie.
Je n'arrive seulement pas à imaginer que cela s'est passé il y a plus d'un demi-siècle.
Ce qui ne nous rajeunit pas :o)
D'abord parce que ton écriture est remarquable.
Mais aussi parce j'ai vécu un an plus tard la même aventure que Sylvain (mais sans les amours contrariées) J'ai crapahuté sur cette terre rouge, dans des paysage sublimes, parmi les amandiers. Des mauresques cassaient des amandes sur le seuil des mechtas.
J'ai deviné dans d'autres textes que tu es de là-bas et j'imagine ton déchirement et ta nostalgie.
Je n'arrive seulement pas à imaginer que cela s'est passé il y a plus d'un demi-siècle.
Ce qui ne nous rajeunit pas :o)
Invité- Invité
Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : La douce amère
Je comprends que tu aies été marqué par ces paysages, mais tu as dû l'être plus encore par cette expérience. Un drôle de cadeau, pour tous les jeunes garçons de cet âge ! Certains en sont revenus meurtris. Changés, en tout cas.
Comme tu le dis, c'est loin, tout ça !
Oui, tu as bien deviné.
Merci pour ton commentaire.
Comme tu le dis, c'est loin, tout ça !
Oui, tu as bien deviné.
Merci pour ton commentaire.
Invité- Invité
Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : La douce amère
L'ambiance du texte est en parfaite corrélation avec le thème , bravo c'est trés réussi !
La douceur mêlée à l'amertume, et les amours contrariées tout y est au détour de chaque phrase.
La douceur mêlée à l'amertume, et les amours contrariées tout y est au détour de chaque phrase.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : La douce amère
Un beau texte, vraiment, empli d'amertume, de désespoir, d'amours contrariées et d'amandes amères qui libèrent ici toutes leurs saveurs, aussi piquantes soient celles-ci.
L'évocation du conflit algérien, perceptible à la lecture d'une seule date, se fait en douceur et j'apprécie le procédé, pas besoin d'en dire plus et les mots disent avec pudeur toute la gravité d'une telle situation, avec les drames humains qui se jouent là-derrière. Une sobriété bienvenue et estimable, bravo Iris.
L'évocation du conflit algérien, perceptible à la lecture d'une seule date, se fait en douceur et j'apprécie le procédé, pas besoin d'en dire plus et les mots disent avec pudeur toute la gravité d'une telle situation, avec les drames humains qui se jouent là-derrière. Une sobriété bienvenue et estimable, bravo Iris.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : La douce amère
Iris a écrit:on aurait dit qu'elle allait s'enflammer.
Sa couleur ocre rougeâtre ponctuait le paysage.
Au loin, un air vibrant faisait trembler l'horizon.
Et ceci est particulièrement beau.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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