Pluie
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Pluie
Il est de coutume pour un poète de profession de dire plein de vanité et de bon sens : la beauté est parfois là où on l'attend ; souvent là où l'on ne l'attend pas. Hélas, un matin nouveau paraît et contrarie cette belle sentence : car aujourd'hui encore, des roseraies de regards, d'injures et de baisers ont bien pu éclore en ville, il n'en reste pas moins que toutes ces épiphanies me semblent personnellement corrompues ; et le jour déçoit une fois de plus toutes les attentes, les belles promesses que l'aube d'un premier soleil m'avait timidement murmuré dans le demi-sommeil.
Depuis les parpaings grisâtres du ciel, ces nuages obèses à perte de vue, dont la masse aqueuse suffirait à hydrater les cœurs les plus secs, à saturer les sols les plus assoiffés, la pluie est partisane du moindre effort. D'abord menaçante, horde filante chargée de lames d'argent, elle déçoit rapidement la peau, l’œil et l'oreille. On l'entend alors bégayer contre les vitres, clapotis fébrile de perles molles et amorphes, sécables jusqu'à l'atome ; flatter de propos tièdes et bavards la peau contre le tissu des pantalons et des pulls, humecter de baisers las les joues des solitaires et des mères de famille à l'entrée des écoles.
Or, quand, errant de rue en rue, sans destination précise, ou dans ma chambre, je tente de compter les syllabes inarticulées que lâche l'averse, tantôt de rage, tantôt par langueur, je me heurte à un mur irrégulier et indénombrable de briques invisibles. Leur algorithme m'échappe et la folle fraîcheur de certains vents a beau mettre du sien pour accompagner ces chutes inconstantes d'eau, amoindrir leur lâcheté, relever leur intensité, leur "potentiel de guerre", rien n'en apaise à mon sens la pesanteur, la lourdeur infinie ; rien ne parvient à me rendre cet harcèlement continu agréable.
La ville est donc d'une humeur trouble, elle hésite entre son teint d'été et son fard dégoulinant d'automne. Nous sommes ici à la croisée des chemins, des visages : trouverons-nous refuge, comme une bénédiction, dans les bras chauds d'une éclaircie ou serons-nous longtemps encore contraints à patauger dans les flaques que le ciel et les crevasses de la terre se complaisent à laisser sous nos pieds, dans nos yeux, ou à notre cœur ?
Depuis les parpaings grisâtres du ciel, ces nuages obèses à perte de vue, dont la masse aqueuse suffirait à hydrater les cœurs les plus secs, à saturer les sols les plus assoiffés, la pluie est partisane du moindre effort. D'abord menaçante, horde filante chargée de lames d'argent, elle déçoit rapidement la peau, l’œil et l'oreille. On l'entend alors bégayer contre les vitres, clapotis fébrile de perles molles et amorphes, sécables jusqu'à l'atome ; flatter de propos tièdes et bavards la peau contre le tissu des pantalons et des pulls, humecter de baisers las les joues des solitaires et des mères de famille à l'entrée des écoles.
Or, quand, errant de rue en rue, sans destination précise, ou dans ma chambre, je tente de compter les syllabes inarticulées que lâche l'averse, tantôt de rage, tantôt par langueur, je me heurte à un mur irrégulier et indénombrable de briques invisibles. Leur algorithme m'échappe et la folle fraîcheur de certains vents a beau mettre du sien pour accompagner ces chutes inconstantes d'eau, amoindrir leur lâcheté, relever leur intensité, leur "potentiel de guerre", rien n'en apaise à mon sens la pesanteur, la lourdeur infinie ; rien ne parvient à me rendre cet harcèlement continu agréable.
La ville est donc d'une humeur trouble, elle hésite entre son teint d'été et son fard dégoulinant d'automne. Nous sommes ici à la croisée des chemins, des visages : trouverons-nous refuge, comme une bénédiction, dans les bras chauds d'une éclaircie ou serons-nous longtemps encore contraints à patauger dans les flaques que le ciel et les crevasses de la terre se complaisent à laisser sous nos pieds, dans nos yeux, ou à notre cœur ?
Art. Ri- Nombre de messages : 314
Age : 26
Date d'inscription : 28/10/2010
Re: Pluie
Délicieux à lire, on aurait envie qu'il pleuve encore et encore pour profiter de ce regard....euh non, peut-être ce serait encore meilleur dans le souvenir de la pluie. :-)
Re: Pluie
Pas trop sûre de la pertinence du "Or" en début de troisième paragraphe.
Cela mis à part, je trouve intéressant le texte, presque audacieux, à parler de façon variée et avec un souci d'innovation d'un sujet ennuyeux comme... la pluie.
Cela mis à part, je trouve intéressant le texte, presque audacieux, à parler de façon variée et avec un souci d'innovation d'un sujet ennuyeux comme... la pluie.
Invité- Invité
Re: Pluie
Que de richesse dans un texte si court. Un plaisir de lecture !
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Pluie
Le premier paragraphe me semble un peu pompeux, ce qui, pour un jour de pluie, me semble approprié (-:)). Quant au reste, rien à dire : j’ai pris plaisir à patauger avec vous.
Invité- Invité
Re: Pluie
Jolie parenthèse sur la pluie, la rencontre avec une ville et son spectateur.
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: Pluie
Quand vous écrivez la pluie, Francis éponge.
Hop-Frog- Nombre de messages : 614
Age : 36
Date d'inscription : 11/04/2012
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