Exo « Train » : C'est encore loin, Payerne ?

Il semble si malheureux sur ce quai de gare, perdu dans son uniforme militaire, à attendre le dernier train de la journée.
C’est la fin de son week-end de liberté.

Elle l’observe, sans vraiment s’en cacher, se demandant l’âge qu’il peut avoir.
D’où il vient.
Où il va, elle le sait, c’est écrit sur le panneau des horaires.
Payerne.
La base militaire.
Payerne et ses saucisses, Payerne et ses avions, Payerne et ses casernes taciturnes.
Payerne et son abbaye, aussi, mais à voir le visage déconfit de la jeune recrue, ça ne doit pas beaucoup compter.
Elle l’imagine apprenti pilote d’avion de chasse, contrôleur aérien lors des exercices, planificateur d’attaque en vol plané… mais pas simple éplucheur de patates, non. Ça, elle ne peut s’y résoudre. Même si sa mine - décidément de plus en plus défaite - lui inspire tout le contraire.

Les minutes passent.
Toujours pas de train pour lui.
Toujours ça de pris, doit-il se dire.
Son train à elle, elle l’a oublié.
Peut-être est-il déjà passé. Elle s’en fiche.
Elle continue à l’observer.
Et si elle allait à Payerne ? Juste pour voir, juste pour savoir.

« Mesdames et Messieurs, suite à un accident de personne, nous sommes au regret de vous annoncer que l’IC à destination de Payerne est supprimé. Merci de prendre contact avec le bureau d’information… »

Il regarde sa montre, il grimace.
Puis elle surprend un timide sourire sur son visage. Qui vire au large.
Il ramasse son sac, devenu tout à coup plus léger.
Et quitte le quai sans un mot dire. Tout au plus des yeux brillants lancés dans sa direction.

Elle se retrouve seule sur ce quai de gare.
A observer le temps qui s’est arrêté.
Et se dire que c’est peut-être joli Payerne…

A la lecture du titre on se croit déjà dans le train, on roule vers Payerne, et pourtant...
Une petite histoire à surprises (un voyage qui n'a pas lieu, une rencontre avortée) finement racontée.
Ce qui me plaît : on pense, "il s'en passe des choses sur les quais de gare !" et, en fait, il ne s'est rien passé.
Tout en pensées, en observations, en suppositions, puis une idée insensée qui n'aboutira pas.
J'ai beaucoup aimé ce texte.
Deux petits trucs qui me choquent un peu : "elle quitte le quai sans un mot dire"
il me semble que c'est mieux sans l'article, et "tout au plus des yeux brillants lancés dans sa direction"
j'aurais préféré qu'il garde ses yeux et qu'il ne lance que des regards !...

Ce personnage féminin suscite une immédiate empathie : on l'imagine jeune, ouverte, pleine de fraîcheur... On a envie de la suivre plus longtemps, jusqu'à ce qu'elle trouve le bonheur...

Payerne est une vraie destination ?
Voilà longtemps que je ne t'ai pas lu. Toujours aussi plaisant.
Style dépouillé, qui va a l'essentiel, sans fioriture.
Il y a tout de même une belle invite au voyage sentimental à la fin du texte, et j'aime bien ce côté "ouverture".

Histoire d'un amour raté ? Le texte laisse au lecteur plusieurs interprétations. Jolie comme une esquisse, quelques traits de crayon légers, pas trop appuyés...
Même remarque qu'embellie pour mots dire.

Petite histoire de rien, de tous les jours mais où tout pourrait...arriver, basculer. On se prend à espérer que... Et voilà pourquoi l'expression " sans un mot dire " me plaît. J'y vois la jonction possible de ces deux êtres qui pourraient se rencontrer. Ce sont deux expressions : "sans un mot" et "sans mot dire" qui brusquement se télescopent et opèrent la jonction qui n'a pas eu lieu entre les êtres ...à moins que...ces yeux "lancés" dans sa direction ont peut-être l'éloquence qui va tout sauver...
Agréable moment de lecture.

Trois fois rien, un échange de regards, un changement d'aiguillages, à quoi ça tient un voyage ?
Tout en finesse cette rencontre qui n'en est peut-être même pas une, mais nous fait croiser d'autres vies, d'autres possibles avec une grande délicatesse.

Sur le quai d'une gare, deux inconnus... En peu de mots, l'intrigue s'esquisse et les personnages, bien qu'à peine effleurés, dévoilent tant de choses. J'ai pris plaisir à cette lecture.

Une histoire simple
Une jeune femme, un bidasse, un train qui se fait attendre
tout peut arriver
finalement non
et c'est mieux ainsi (du point de vue littéraire s'entend, pas de celui de la jeune femme)

Payerne est un joli nom

C'est simple et bien conté, ça me fait penser aux Passantes de Brassens, qu'on pourrait tout aussi bien inverser en Passants !

L'accident sur personne ouvre une piste violente qui détourne un peu l'attention, mais on comprend qu'il fallait bien ça pour annuler l'IC

je préfère aussi sans un mot dire

Un moment d'attente, où l'on est désœuvré, on l'on observe ce et ceux qui nous entourent. Un moment où l'on se pose des questions, où l'on se laisse dévier de son projet qui est de partir dans sa propre direction. Un moment où l'on se dit qu'il en faudrait peu, pour se laisser dévier, séduire, au sens étymologique du terme.
J'ai beaucoup aimé ce texte.

Un texte qui dit l'importance des petites choses... J'ai vraiment apprécié que les deux personnages ne partagent rien sinon l'attente. Bravo !

Beaucoup aimé la fin en suspension qui laisse la place à l'imaginaire du lecteur, et la description de cette minuscule tranche de vie, insignifiante et essentielle, ou comment se raconter des histoires en observant une personne dans une gare.

Belle histoire, quasi immobile sur un quai presque vide. Rien ne se passe et pourtant l'essentiel est écrit.

A la croisée des aiguillages du destin
un moment suspendu
mi réel mi onirique
quand l'esprit est en partance
qu'un grain de sable peut se glisser sous les rouages
quand l'imprévu peut survenir
une jolie bulle mise en lumière