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Exo « Comme une photo mentale » : Train Train…

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Rebecca
gaspard
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Exo « Comme une photo mentale » : Train Train… Empty Exo « Comme une photo mentale » : Train Train…

Message  gaspard Mer 9 Avr 2014 - 13:45

Train Train…

(4000 signes, c'est suffisant non ?)


C'est chaque matin la même chose. Je rate de peu le 8h27 et je dois attendre le 8h45.  Je viens de courir et de suer de stress, et à présent j'ai un quart d'heure à ne rien faire.
Ce quai, ce banc trop dur.

Et puis chaque jour ce type en imperméable qui se hâte lui aussi désespérément, comme moi, qu'il pleuve ou qu'il vente, en nage, et qui après attend, comme moi.
Nous ne nous disons jamais bonjour. il y a des limites à la fraternité.

D'autres gens arrivent, presque les mêmes quotidiennement, avec une ponctualité diabolique. Personne pendant presque cinq ou six minutes. Puis la grosse dame trop maquillée qui souffle comme un phoque et fait balancer deux gros bras roses boudinés.
Je sais qu'elle va faire comme si elle avait une idée subite : aller prendre une barre de Mars et deux doigts coupe faim Twex dans le gros distributeur rouge de Coca Cola. Je sens chaque jour qu'elle a envie de résister, mais elle sait elle même qu'elle n'y parviendra pas.
Ça m'occupait au début, mais, désormais, il n'y plus le moindre suspense.
Puis c'est la fille maigre, moche et grise, avec son cabas tout déglingué.
La jolie petite arabe qui jette des regards furtifs et qui fait mine d'être très occupée par ce qui se passe sur l'écran de son smartphone.

Chacun se met régulièrement à peu près à la même hauteur sur le quai, comme des danseurs qui se placent sur une scène avant une représentation. Le jeune avec son casque de baladeur sur la tête et ses gros furoncles dans le cou. Il reste toujours debout devant moi et trop près du bord à mon avis. Je vais le retrouver tout à l'heure dans mon wagon.

Un jour, il y en a un qui n'est pas là. Ou bien c'est la jeune fille grise qui arrive une minute avant la grosse dame. Ça arrive parfois.

Voilà ce qui se passe sur ce quai, jour après jour.
Les trois panneaux publicitaires sont renouvelés chaque semaine me semble-t-il. Mais cela ne change en rien l'ambiance de l'ensemble.

Il fait trop chaud en été, trop froid en hiver. Il y a des courants d'air.
Ça pue un peu. Le goudron du quai est sale, avec des taches poisseuses. Il y a un ou deux papiers de bonbons qui traînent.

L'horloge ne sert à rien. Elle est là comme un reproche. Je ne peux pas m'empêcher de la regarder à chaque instant avec le fol espoir que le temps va passer plus vite que prévu. En fait c'est exactement le contraire. Il passe aussi lentement que dans la salle d'attente d'un dentiste.

Les inconnus —il y en a chaque jour quelques-uns— sont indistincts comme les clients dans un supermarché.

Toutefois, aujourd'hui, il y en a un qui est rigolo : c'est un petit homme qui porte devant lui, avec une évidente fierté, une énorme bedaine. Il a des moustaches grises tellement grosses, touffues et relevées en guidon de vélo, qu'elles semblent défier les règles logiques élémentaires de la pesanteur.
Je me souviens d'un ami de mon oncle qui en avait de pareilles et qui me faisait peur lorsque j'étais enfant. Il était chauffeur de bus je crois.
Mais il était maigre et triste contrairement au personnage ventripotent d'aujourd'hui qui arbore un gilet rouge vif  déboutonné sous une veste bleu pétrole.
Il fait évidemment “tache“ comme on dit. Mais même ainsi affublé, il se dissous dans la grisaille.

“Ding-dong“. Le haut parleur annonce de sa voix de femme languide : “ l'express numéro 311 direct pour Paris Saint-Lazare entre entre gare. Merci de vous tenir éloignés du quai, merci “.

Alors il se passe quelque chose : une jeune fille magnifique, grande et souple comme un liane, une fille faite pour moi, surgit en courant du gouffre béant de l'escalator. Elle est si belle que j'envisage d'emblée  qu'elle pourrait faire basculer le destin. Mais elle se précipite vers le gros homme aux moustaches ridicules. Trouvant son chemin dans la broussaille, elle l'embrasse langoureusement sur la bouche, et elle est pour cela obligée de se pencher considérablement et de fléchir un peu ses longues et admirables jambes.
Puis, reprenant son souffle elle s'écrie en riant à gorge déployée “Putain, j'ai bien cru que j'allais te louper mon bichon“.
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Message  Rebecca Mer 9 Avr 2014 - 19:32

Une petite étourderie à dix sous : "il se dissout dans la grisaille" plutôt que dissous

J'ai trouvé ce texte fort bien écrit, vif, enlevé.

Il décrit fort bien ces instants contraints du train train quotidien, instants qui sont toujours les mêmes et qui font que les heures, les jours, les mois, les années se dissolvent en un seul et unique moment que l'on revit et qu'on revoit indéfiniment avec juste quelques variantes, moments figés, en appesanteur, quand il ne se passe jamais rien d'inattendu, quand on est juste entre ailleurs et autre part.
Il décrit en filigrane cette espérance secrète d'un subit déraillement, hors de la glu que secrètent les habitudes, le "déjà vu" jusqu'à la nausée.
Il témoigne en même temps de l'immersion totale du narrateur dans le réel extérieur, par le prisme de ce qui est vu, et non imaginé, rêvé ou interprété; les pensées sont comme mobilisées pour produire cette "photo mentale" de l'instant... peu d'introspection ou d'aller et retour entre ressentis intérieurs et description extérieure, juste une fugace reminiscence d'un souvenir d'enfance ou cet espoir de rencontre "avorté".
Du reste, même l'irruption de la beauté, dans ce décor bien gris, avec ses personnages montrés dans leur crudité ou leur ridicule , est un leurre et nous ramène à la trivialité d'un début de dialogue banal et décevant pour celui qui a peut être eu l'impudence d'espérer une échappée belle.

Bien joué.
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Message  Polixène Mer 9 Avr 2014 - 19:57

Gaspard, c'est quasiment tout bon pour les consignes: tu as inauguré le versant "exos!
Cependant, ton texte pourrait gagner en intensité en insufflant un peu plus d'intériorité au locuteur. L'emploi de la première personne y suffit-elle?

Un petit grief (très personnel): "la fille maigre/moche/grise" et "la fille magnifique/grande/souple", c'est plat, banal. "Ding-dong, le haut parleur annonce" : il y a des mimites à la fraternité!!!


Bien aimé l'horloge "comme un reproche", et la cruauté de la chute.
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Message  Sahkti Mer 9 Avr 2014 - 20:16

Ma première impression est positive, j'ai aimé ce texte, ces instants décrits avec une froideur presque clinique, ces scènes à la fois banales et importantes. Tout est là, les ingrédients semblent bon et pourtant, si la sauce prend, il me semble tout de même qu'elle manque un peu de piquant et je me demande si justement, ce n'est pas à cause de cette distance qui ne serait pas exploitée à sa juste valeur. Ce n'est bien sûr qu'un avis perso, mais je me dis qu'il faudrait jouer davantage sur l'atmosphère, sur les détails (même si c'est déjà bien comme ça), sur des aspects qui peuvent paraître anodins mais qui permettraient de pleinement s'immerger dans le texte et pas simplement de le contempler. Je ne suis pas sûre d'être très claire dans ce que je voudrais expliquer, zut... mais disons que c'est comme si je regadais un gâteau alléchant sans pouvoir mordre dedans, juste le humer et me faire envie.
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Message  gaspard Jeu 10 Avr 2014 - 10:53

Rebecca a écrit:
(…)
J'ai trouvé ce texte fort bien écrit, vif, enlevé.
(…)
C'est une peu le comble de trouver ça “vif“ et “enlevé“ alors que c'est le poids du quotidien que je veux décrire. Mais je plaisante, je suis rose de plaisir.

Et merci pour ça.
Rebecca a écrit:
Bien joué.

Polixène a écrit:Gaspard, c'est quasiment tout bon pour les consignes: tu as inauguré le versant "exos!
Pourquoi “quasiment“, j'ai tout bon me semble-t-il : je suis un grand amateur de contraintes, un oulipien pur jus.
Polixène a écrit:
Cependant, ton texte pourrait gagner en intensité en insufflant un peu plus d'intériorité au locuteur. L'emploi de la première personne y suffit-elle?
Il y a des avis opposés au tien ci-dessous auxquels j'adhère plus : mon personnage n'a pas d'intériorité à cet instant précis, il s'ennuie : c'était dans les contraintes.
Polixène a écrit:
Un petit grief (très personnel): "la fille maigre/moche/grise" et "la fille magnifique/grande/souple", c'est plat, banal.
Alors j'assume à fond cette platitude qui est une finesse à mon sens qui m'a permis de placer “comme une liane“. Pour tout te dire, c'est de ce “comme une liane“ que m'est venue l'idée.
Polixène a écrit:
"Ding-dong, le haut parleur annonce" : il y a des mimites à la fraternité!!!
Désolé Polixene, mais je n'y comprends rien… Que veux tu dire en notant ces deux bribes de phrases approximativement transcrites ? “Ding dong“ et la voix de la gare : l'évocation d'un son que chacun d'entre nous à déjà entendu me semble-t-il ! C'est vrai qu'à présent le “Ding Dong“ serait plutôt un “Tin ta tinaaa“
Polixène a écrit:
Bien aimé l'horloge "comme un reproche", et la cruauté de la chute.
Après avoir écrit ce truc là, je vais arrêter de manger de la soupe (pour redevenir petit), me faire pousser la bedaine et la moustache ;-)
Enfin, ça laisse quand même un espoir aux types vieux moches et cons… Dont je fais chaque jour un peu plus partie. Vu sous cet angle, c'est optimiste comme truc.

Sahkti a écrit: (…) Je ne suis pas sûre d'être très claire dans ce que je voudrais expliquer, zut... mais disons que c'est comme si je regardais un gâteau alléchant sans pouvoir mordre dedans, juste le humer et me faire envie.
Il est vrai que je ne trouve pas ton com très clair. Tu voudrais des crachats en plus sur le goudron du quai pour mordre dedans ? : pouah ! Non je plaisante : si c'est l'histoire du “pourquoi une fille jeune et splendide embrasse amoureusement un petit Monsieur grisonnant affublé d'une moustache ridicule ?“ dis toi bien que moi aussi je me la pose cette question. Car des scènes comme celle-ci, j'en ai vu plus d'une fois. Mon personnage est quelqu'un qui regarde seulement. il ne ressent, rien sur le moment. Ce pourrait-être le sujet d'un autre exercice qui viendrait à la suite de ce texte : “Pourquoi diable cette belle jeune fille aime (ou du moins embrasse amoureusement) cette baudruche digne d'une caricature de Daumier ? Mais comme ils ne sont pas montés dans le même wagon que moi, je n'ai aucun autre élément à fournir !

Bon, faudrait peut-être que j'aille commenter un peu mes petits camarades de jeu ! Puisqu'il n'y a rien à gagner, c'est donc que c'est juste pour faire son malin qu'on fait ça. je vais donc aller faire mon malin. C'est amusant, je le reconnais, d'avoir des commentaires.
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Message  Lucy Sam 12 Avr 2014 - 20:55

On est dans les contraires, le laid - le beau, l'immobilité - le mouvement, c'est yin et yang et ça le fait.

L'habitude, l'ennui, le temps à tuer, à perdre, et c'est bien écrit.
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Message  isa Mer 7 Mai 2014 - 17:02

J'ai beaucoup aimé ce texte qui décrit de manière astucieuse un moment du quotidien, avec une ironie sous-jacente fort sympathique!

Si je devais reprendre une chose sur ce texte, ça serait le début de paragraphe "Alors il se passe quelque chose" qui m'a paru malhabile (je n'ai pas trop vu l'intérêt de la "phrase annonce", pour moi un simple "soudain", par exemple aurait été largement suffisant et aurait rendu la formulation moins lourde...)
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