La chambre claire (trois poèmes)

Etude du cou


Je suis une longue feuille frissonnante
en suspens
dans le coin d'ombre de tes paumes

l’écorce, la cime qui trouve écho
hors de l’arbre, au long du doigt
du vent qui louvoie

Tout entier, secoué par l'averse froide, soudaine
me traverse ton parfum comme un geste d'été

Ta bise déshabille ma gorge
- lente griffe des profondeurs -
y mord la courbe, la fissure d'Adam:
pesante sainteté

Ah mécréante
ton doigt fait le vitrail de mes sursauts
tu y trempes ton rire, ton baiser, tes dents

Par coeur
cette cruauté, je la sais

Enfant
je meurs en sa tendresse

Le joueur d'harmonica


Il a mouillé l’harmonica
dans ton idée
et ton idée fit balbutier sa nuit
chambre penchée
comme un visage priant
vers ce ciel un peu trop pur pour...

Il a glissé le corps amer
cette anche à vent
au lointain qui, l’habitant,
le fuyait de plus belle

... bu à l'air, l’octave qui casse
aux lèvres, ce qui ne dort, mais

- troué
par 15 cm de blues -

gémit

Le baiser clair


I.


J’écris vivement pour l’évènement
qui, de sa main lâche,
me renverse
comme un vase de porcelaine

C’est la fin de l'automne

L’après midi ne bousculera plus rien, ne cassera plus rien
que des terrasses joyeuses
pintes levées vers le soleil tiède encore
et les rues effeuillées de toute leur lèpre,
de tous leurs tessons d'or...

On ramassera bientôt le soir
comme le long drap d’un feuillage oublié
un caillou tombé
au son bleu, cristallin, haut et douloureux
et dans ce geste, dans cette chute, tu te loveras,
te mêleras à ce lit, avec mon ombre amante,
où l'on s'étreint de pâleur



II.


A cette manière de border le monde,
de pencher les rivages,
de galber les angles, les arrêtes, les roches des cours d'eau:
à cette manière de nager à ma pensée
je trouve une façon savante de douceur
et les reflets s'émeuvent à ta peau transparue

échine froide, linge plissant ma fatigue, tu émerges du courant
je veux dire, par là, de cet incoercible désir
qui m'anéantit à tes hanches

tu ordonnes de mon visage: son souffle ; de mes paumes: la brasse
tu appelles mon corps entier: jetée
nommes ma baignade: aurore
et l'aurore: baiser clair
qu'il faut laisser entrer
comme on quitte le monde des foules
comme on meurt, frottant durement
sa vie au feu de l'autre
sa vie comme un silex
absent

ce forum est décédé

pas encore
j'aime l'harmonica et sa musicalité

J'aime beaucoup le baiser clair, particulièrement le II et cette petite merveille de peau transparue.

J'ai du mal à commenter parce que je n'ai pas compris
Mais il y a des tas de choses que d'autres trouvent très fortes et que je ne comprends pas, ce n'est donc certainement pas un jugement de valeur.

que dire ? et comment ? les textes de Art. Ri m'ont toujours déroutée, par leur construction, tout en aiguisant ma curiosité, mais à chaque fois j'y ai goûté la même richesse dans les images, le choix du vocabulaire, le mot juste, et cette musique qui coule, ces vers qui roulent : au long du doigt/du vent qui louvoie

j'évoquai le richesse des images, quand je lis dans Etude du cou
"Tout entier, secoué par l'averse froide, soudaine
me traverse ton parfum comme un geste d'été"
j'ai l'impression d'être dedans le texte et de frissonner aux sons des mots de Art. Ri

"Ta bise déshabille ma gorge
- lente griffe des profondeurs -
y mord la courbe, la fissure d'Adam:
pesante sainteté"
c'est magnifique ! le sens, la musique, la construction avec ses références, tout est agencé, bien à sa place pour toucher au but et toucher le lecteur... enfin moije !

Le joueur d'harmonica fait mal comme un blues qui vous tire vers le passé, vous tire des larmes aussi,
"Il a mouillé l’harmonica
dans ton idée"
comme un bateau mouille dans un port... je ne vais pas citer tout le poème, c'est beau tout simplement, jusqu'à
"- troué
par 15 cm de blues -" ..."gémit".

quant à Le baiser clair, c'est...

tu as réussi à me toucher, à m'émouvoir d'une force... c'est l'un des plus beaux textes que j'ai lu de toi, une belle construction cohérente et d'une grâce folle.

Chapeau Art. Ri et à bientôt de te lire, encore et encore