L'enfant malade ne prend pas l'avion

C’est une peur crachée dans le silence du soir. Confiné et bleu, parfaitement blotti dans un lit trempé de fièvre, ne laissant dépasser que deux yeux et une paire de lunettes sales, il est un enfant malade. Jamais dans une telle agonie le soleil ne ravit les traits, jamais dans un tel abandon, le sommeil ne façonne les muscles. Le lendemain d’une nuit que chacun dans le monde a vécu tranquillement, il a vécu l’enfer, il est retourné dans ses souvenirs glaciales d’enfance plus profonde, il a touché de son doigt mou les angoisses maternelles, les sourires feints du père, il a songé plus d’une fois à tendre ses jambes pour s’échapper du tombeau de coton mais s’est laissé soumettre par la fatigue et le poids de l’ennui. Doucement, il va connaitre des moments d’air frais, et courageusement il bondira détremper ses aisselles, regagner les vitesses de l’homme, et conduira tout son corps harmonieusement comme les gens font lorsqu’ils ont encore deux jambes et deux bras pour mouvoir leur espoir de réveil. Il s’appuiera le ventre maigre mais gras contre le radiateur brûlant du milieu de l’hiver, il hésitera quatre fois à poursuivre la brûlure ou à regagner les frissons dans son lit creux d’amour, solitaire et morbide. Dans le terminal sans lumière des avions qui parviennent à nous sans qu’ils soient visibles par les grandes baies vitrées de l’aéroport, on sent toujours le sol vibrer de cette agitation furibonde. Au fond de l’été sec, les avions ne décollent jamais en avance. Mais mon époque c’est l’hiver, et mon destin c’est de décoller en avance. Mon lit est un voyage que les gens tranquilles ne savourent pas. Il n’y a guère d’avion car il n’y a guère plus de force.

Un texte fiévreux et glaçant pour tous ceux qui ont connu la maladie dans un lit qui se transforme en une sorte de tapis volant et nous emporte ...

Passant par la "Prose", je découvre cette écriture, poétique en diable.
Le choix du "pavé", sans retour à la ligne, sur un format court n'est pas trop gênant, passée l'hésitation à plonger dans le sujet.
J'ai aimé les périphrases, les métaphores et globalement, tout le texte, merci du partage.

Merci pour votre commentaire à tous les deux !

Ça me fait vraiment plaisir, après avoir eu le sentiment d'avoir un peu échoué sur d'autres fils !

J'ai le sentiment, et je crois que Yoni a assez raison, que l'on parle mieux de choses qui existent. En tout cas à mon âge, quand on n'est pas encore assez mature pour voir ce qui est ailleurs.

Bonne année !

Antoine