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A bitter tree

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Message  Rezkallah Sam 21 Déc 2019 - 8:33

A bitter tree


J'avais quatorze ans et, ce matin-là, j'avais tournoi de football à Roquebrune-Cap-Martin. J'étais, après des efforts acharnés, une année durant, enfin titulaire.
Numéro sept, ailier droit. Le réveil avait sonné. Six heures trente. Je coupai la sonnerie et me levai.
J'effectuai quelques étirements, en prenant le temps, accueillant les sensations corporelles. J'avais préparé mon sac la veille. J’étais enthousiaste, et la journée, aux travers des interstices de mes volets, semblait gorgée de soleil.

En sortant de ma chambre, traversant le couloir silencieux qui menait au salon, je crus entendre comme des bruits étouffés. Des murmures. En passant les portes du salon, je tendis l'oreille à la recherche de la source de ces chuchotements. Mon oreille se retrouva collée à la porte de la chambre de mes parents. Par le bas de la porte, je pouvais voir que la lumière était allumée. Une angoisse me prit. Je posai la main sur la poignée de la porte, hésitant. Je n'avais pas beaucoup de temps, et l'équipe devait passer me prendre devant la maison en vitesse. Le coach avait donné des conseils stricts : « Celui qui n'est pas au point de rendez-vous quand on passe le chercher, pas de tournoi pour lui ». Je m'arrachai de la porte.

Je me dirigeai vers le réfrigérateur pour en sortir du jus d'orange. J'entendis mon père qui se mit a rire. « Connasse, lança-t-il, tu vas voir... ». Je revins sur mes pas et scotchai mon oreille à la porte. Il n’était pas seul. La personne, comme bâillonnée, essayait de lui répondre. « Tu vas voir..., je vais t'en donner... fit-il ».

Ma mère nous avait abandonnés un beau matin. J'avais six ans. Sans raison, sans lettre, sans rien. Et mon père, depuis, n'avait jamais refait sa vie, se contentant de faire son job d'humain, nourrir son gosse, payer les factures, boire, vieillir pas trop vite. Jamais il n'avait ramené d'invitée, de collègue de boulot, de nouvelle petite amie, fraîche de vingt printemps. J'aurais aimé qu'il ait une petite amie. Ça aurait mis de la vie dans sa vie, dans cette grande maison vide et silencieuse. Enfin, je n'avais pas mon mot à dire, il était assez grand pour faire ce qu'il voulait, et peut-être en avait-il soupé des bonnes femmes et de la vie en général. Qu'il attendait la fin gentiment.

Moi je commençais à m’intéresser aux filles, et sérieusement, je passais le plus clair de mon temps, le nez fourré dans les magazines pornos. Et je voulais être footballeur ou quelque chose, pour plaire aux filles.
J'avais une petite amie mais elle était très jolie et je voulais être sérieux avec elle. Ne pas la salir. Un pote connaissait une fille facile dans le quartier, elle faisait tout et avec tout le monde. Il m'avait amené la voir pour mon anniversaire et je m’étais dépucelé aux frais de la princesse. Elle s'appelait Lætitia, on n'oublie pas sa première fois, surtout si elle était très laide et que sa chatte sentait la fin du monde. On avait fait ça dans un corridor de cave, on était quatre types et Lætitia nous avait pris un par un. Pendant que je la limais, un arrière goût immonde me trottait à l'esprit. Je crois que je me disais, le plus innocemment du monde, que ce qui était en train de se passer était tout, sauf normal. C'est là, le pouvoir de l’être humain, qui est capable de faire n'importe quoi, tout en sachant qu'il fait n'importe quoi, et en continuant à le faire. Le groupe l'emporte toujours. On aura beau avoir raison, voir juste, incarner la vérité, le bon sens, on sera dans le mensonge, parce que les autres partageront une autre vérité, que la vôtre, alors cette vérité de groupe sera forcement « La vérité » parce qu'une vérité qui ne fonctionne pas au sein d'un système, ne peut être qu'un mensonge.


Moi j'aime le mensonge, parce qu'il permet de rester dans le circuit de la vérité générale quand on n'a pas les moyens véritables de la suivre. Donc, si un groupe d'individus fornique dans une cave, et que vous ne forniquez pas, vous avez tort et eux raison.
Alors forniquez donc....
Je crus entendre l'impact d'un gifle. « Salope ! hurla mon père. Salope ! »

Mon père s'était décidé à refaire sa vie peut-être?

Je baissai la poignée et poussai la porte. La chambre était baignée par la lumière aveuglante du soleil. Les volets étaient grand ouverts. Sur le lit une femme nue se tenait inerte contre la tête de lit. Sur sa tête était enfoncé un globe terrestre. Son corps était magnifique, sa peau translucide. Ses pieds dépassaient du matelas. Mon père, lui, était avachi contre le mur qui me faisait face, à poil, bourré, le menton sur la poitrine, marmonnant des trucs incompréhensibles. La scène était surréaliste. Dans cette clarté totale, aveuglante, il était comme pris en flagrant délit par le divin en personne. Des bouteilles vides était savamment disposées tout autour du lit. Le sol était jonché de détritus, mégots, paquets de chips, taches de vomi...une odeur de souillure me traversa pour aller conquérir le salon. Sur le sexe rabougri de mon père mourait une capote pleine. Je restai comme ça un instant. Entre l'amusement et la peine. Le globe terrestre s'agita lentement de droite à gauche, comme pour se débarrasser de chaînes invisibles. Elle abandonna et retomba dans un bruit ridicule contre la tête de lit. Je voyais très nettement l'Australie de là où j'étais.

Sans écraser un déchet, je me frayai un chemin jusqu'à mon père. En passant, j'aperçus nettement la chatte du globe. Accroupi, je tapotai le genou de mon vieux, l'appelant à voix basse.-

— Papa...papa...ça va?

Au début il n' eut aucune réaction puis comme un vieil ascenseur, il remonta son visage et ses yeux firent face aux miens. Son regard pétillait, humide. Il ne me reconnut pas tout de suite.

— Mon fils...fit-il d'un filet de voix.

— Oui papa ! Tu vas bien?

Il me sourit puis dit:

— J'ai enfin baisé le monde....ça va mieux...

Puis il me tira contre lui et me serra fort.

— Joue bien au foot mon fils, aujourd'hui, me dit-il dans l'oreille. Amuse-toi bien, mon fils.

Jamais, je ne me suis sentis aussitôt proche de lui par la suite.

L'arbre était au sol, la pomme sur le lit, et la graine accroupie. C'était un grand cadeau qu'un père puisse faire à son fils. Jamais je ne serais comme lui. Jamais.

Dans cet endroit qu'il appelle le monde, là où les hommes font la guerre, s'enculent, attendent après un dieu, acceptent la mort, courbent l'échine devant l'amour, parasitent, espèrent, se tuent à la tâche, sans poser de questions, sans volonté, sans réel courage d'affronter ce qui ce cache sous la nature, je resterai debout, je trouverai cette émotion que personne n'a jamais ressentie et je la planterai profond dans les entrailles de la terre.

Mon père me tendit, coincé entre ses doigts, un billet de cinq euros. Je le pris et aussitôt son menton retourna contre sa poitrine. Le temps était magnifique. Les oiseaux chantaient dans le jardin. Je pensai à fermer les volets mais me ravisai. Sur la pointe des pieds je quittai la chambre tout en admirant le monde sur le lit et refermai la porte derrière moi.

J'avais tout juste le temps pour être à l'heure au rendez-vous. Je me servis un verre de jus d'orange frais et retournai me coucher.

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Message  midnightrambler Sam 21 Déc 2019 - 12:56

Enormément de choses, du mirage footballistique à l'image du père et de la femme en général, dans une perspective venue d'ailleurs !
J'ai bien aimé ...
La forme est bien maîtrisée ... beaucoup de "-ant" cependant, surtout au début.
Peut-être y avons nous perdu une nouvelle étoile du football ?
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Message  HELLION Dim 22 Déc 2019 - 0:47

ça commence comme un petit récit bien gentillet puis ça se termine de manière sauvage et.., comment dire ...?  grandiose oui, voilà, grandiose et puissante. En tout cas, bravo !
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