Focale (17)
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coline dé
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Focale (17)
Sous le ciel de ce matin-là, j’ai eu l’impression de marcher sur une neige tassée. Le marbre de la place, de ses dalles, était si blanc que j’ai failli poser ma main entre mes pieds pour sentir le froid. Pourtant on était en mars et jamais il n’y eut de neige, en mars, dans cette ville.
Je devais avoir trop rêvé cette nuit-là : les tables rondes avec leurs pieds de fer forgé ressemblaient à des insectes, celles dont le plateau était vertical ayant trouvé la mort pendant les heures nocturnes, leur dessous noir exposé au regard, alors que les autres continuaient leur vie de tables horizontales, attendant que le jour s’avance un peu et que viennent les clients.
C’est peut-être parce que je sais depuis longtemps l’histoire de cette place, et d’où viennent ces dalles carrées, nobles et candides, parce que je suis allée à Carrare, cinq siècles après qu’on les ait découpées dans la montagne, polies, transportées et si bien assemblées. Moi qui les balaie et lave chaque soir, je les rends ainsi à leur nature montagnarde et pure, évacuant mégots et souillures de toutes sortes.
Et surtout, parce que mon balais puis ma serpillière sont si caressants, si souples, j’ajoute encore à leur lisse beauté, à l’éclat soyeux de leur nature, au temps qui est passé. J’ai mal au dos souvent, il faut bouger les tables et leurs pieds de fer, il faut traquer le sale, contourner les volutes de métal noir. Mais croyez-moi, quand j’ai fini, la place est aussi belle que lorsqu’elle a été terminée, et les dames pourraient y laisser traîner leurs robes longues.
Moi je vis dans un immeuble. Ma vie bizarre s’est toujours passée dans des immeubles, dont rien de ce qui avait été utilisé pour la construction n’était fait pour durer longtemps. Je sais comment celui-ci finira, comme ces tours qu’on fait un jour imploser dans un nuage de poussière (savamment limité) - et leurs anciens habitants sont là debout pour les voir disparaître, et ils partent songeurs, pleins du souvenir de ce qu’ils y ont vécu, qui pourtant n’était pas si rose. Je pourrais être la femme de ménage qui nettoie mon immeuble et je serais épuisée dès le début du travail, car rien n’est fait pour être beau et propre dans ces escaliers, ces halls d’entrée, ces paliers.
Mais ici, c’est le contraire. Je rends à la place, aux dalles, leur éternité, leur beauté. Même les tables-insectes sont dans leur propre nature géométrique et ne font qu’embellir à mes yeux avec le temps. Je nettoie ce qui est passé dans la journée, je gratte le chewing-gum collé par un adolescent sous un plateau de table, et puis je me repose, quand tout est beau.
Je devais avoir trop rêvé cette nuit-là : les tables rondes avec leurs pieds de fer forgé ressemblaient à des insectes, celles dont le plateau était vertical ayant trouvé la mort pendant les heures nocturnes, leur dessous noir exposé au regard, alors que les autres continuaient leur vie de tables horizontales, attendant que le jour s’avance un peu et que viennent les clients.
C’est peut-être parce que je sais depuis longtemps l’histoire de cette place, et d’où viennent ces dalles carrées, nobles et candides, parce que je suis allée à Carrare, cinq siècles après qu’on les ait découpées dans la montagne, polies, transportées et si bien assemblées. Moi qui les balaie et lave chaque soir, je les rends ainsi à leur nature montagnarde et pure, évacuant mégots et souillures de toutes sortes.
Et surtout, parce que mon balais puis ma serpillière sont si caressants, si souples, j’ajoute encore à leur lisse beauté, à l’éclat soyeux de leur nature, au temps qui est passé. J’ai mal au dos souvent, il faut bouger les tables et leurs pieds de fer, il faut traquer le sale, contourner les volutes de métal noir. Mais croyez-moi, quand j’ai fini, la place est aussi belle que lorsqu’elle a été terminée, et les dames pourraient y laisser traîner leurs robes longues.
Moi je vis dans un immeuble. Ma vie bizarre s’est toujours passée dans des immeubles, dont rien de ce qui avait été utilisé pour la construction n’était fait pour durer longtemps. Je sais comment celui-ci finira, comme ces tours qu’on fait un jour imploser dans un nuage de poussière (savamment limité) - et leurs anciens habitants sont là debout pour les voir disparaître, et ils partent songeurs, pleins du souvenir de ce qu’ils y ont vécu, qui pourtant n’était pas si rose. Je pourrais être la femme de ménage qui nettoie mon immeuble et je serais épuisée dès le début du travail, car rien n’est fait pour être beau et propre dans ces escaliers, ces halls d’entrée, ces paliers.
Mais ici, c’est le contraire. Je rends à la place, aux dalles, leur éternité, leur beauté. Même les tables-insectes sont dans leur propre nature géométrique et ne font qu’embellir à mes yeux avec le temps. Je nettoie ce qui est passé dans la journée, je gratte le chewing-gum collé par un adolescent sous un plateau de table, et puis je me repose, quand tout est beau.
Re: Focale (17)
Quelques corrections, j’ai posté trop vite, désolée.
Dans la lumière de ce matin-là, j’ai eu l’impression de marcher sur une neige tassée. Le marbre de la place, de ses dalles, était si blanc que j’ai failli poser ma main entre mes pieds pour sentir le froid. Pourtant on était en mars et jamais il n’y eut de neige, en mars, dans cette ville.
Je devais avoir trop rêvé cette nuit-là : les tables rondes avec leurs pieds de fer forgé ressemblaient à des insectes, celles dont le plateau était vertical ayant trouvé la mort pendant les heures nocturnes, leur dessous noir exposé au regard, alors que les autres continuaient leur vie de tables horizontales, attendant que le jour s’avance un peu et que viennent les clients.
C’est peut-être parce que je sais depuis longtemps l’histoire de cette place, et d’où viennent ces dalles carrées, nobles et candides, parce que je suis allée à Carrare, cinq siècles après qu’on les ait découpées dans la montagne, polies, transportées et si bien assemblées. Moi qui les balaie et lave chaque soir, je les rends ainsi à leur nature montagnarde et pure, évacuant mégots et souillures de toutes sortes.
Et surtout, parce que mon balais puis ma serpillière sont si caressants, si souples, j’ajoute encore à l’éclat soyeux de leur nature, au temps qui est passé, les a lissés. J’ai mal au dos souvent, il faut bouger les tables et leurs pieds de fer, il faut traquer le sale, contourner les volutes de métal noir. Mais croyez-moi, quand j’ai fini, la place est aussi belle que lorsqu’elle a été terminée, et les dames pourraient y laisser traîner leurs robes longues.
Moi je vis dans un immeuble. Ma vie bizarre s’est toujours passée dans des immeubles, dont rien de ce qui avait été utilisé pour la construction n’était fait pour durer longtemps. Je sais comment celui-ci finira, comme ces tours qu’on fait un jour imploser dans un nuage de poussière (savamment limité) – et leurs anciens habitants sont là debout pour les voir disparaître, et ils partent songeurs, pleins du souvenir de ce qu’ils y ont vécu, qui pourtant n’était pas si rose. Je pourrais être la femme de ménage qui nettoie mon immeuble et je serais épuisée dès le début du travail, car rien n’est fait pour être beau et propre dans ces escaliers, ces halls d’entrée, ces paliers.
Mais ici, c’est le contraire. Je rends à la place, aux dalles, leur éternité. Même les tables-insectes sont dans leur propre nature géométrique et ne font qu’embellir à mes yeux avec le temps. Je nettoie ce qui est passé dans la journée, je gratte le chewing-gum collé par un adolescent sous un plateau de table, et puis je me repose, quand tout est à nouveau ce qu’il doit être.
Dans la lumière de ce matin-là, j’ai eu l’impression de marcher sur une neige tassée. Le marbre de la place, de ses dalles, était si blanc que j’ai failli poser ma main entre mes pieds pour sentir le froid. Pourtant on était en mars et jamais il n’y eut de neige, en mars, dans cette ville.
Je devais avoir trop rêvé cette nuit-là : les tables rondes avec leurs pieds de fer forgé ressemblaient à des insectes, celles dont le plateau était vertical ayant trouvé la mort pendant les heures nocturnes, leur dessous noir exposé au regard, alors que les autres continuaient leur vie de tables horizontales, attendant que le jour s’avance un peu et que viennent les clients.
C’est peut-être parce que je sais depuis longtemps l’histoire de cette place, et d’où viennent ces dalles carrées, nobles et candides, parce que je suis allée à Carrare, cinq siècles après qu’on les ait découpées dans la montagne, polies, transportées et si bien assemblées. Moi qui les balaie et lave chaque soir, je les rends ainsi à leur nature montagnarde et pure, évacuant mégots et souillures de toutes sortes.
Et surtout, parce que mon balais puis ma serpillière sont si caressants, si souples, j’ajoute encore à l’éclat soyeux de leur nature, au temps qui est passé, les a lissés. J’ai mal au dos souvent, il faut bouger les tables et leurs pieds de fer, il faut traquer le sale, contourner les volutes de métal noir. Mais croyez-moi, quand j’ai fini, la place est aussi belle que lorsqu’elle a été terminée, et les dames pourraient y laisser traîner leurs robes longues.
Moi je vis dans un immeuble. Ma vie bizarre s’est toujours passée dans des immeubles, dont rien de ce qui avait été utilisé pour la construction n’était fait pour durer longtemps. Je sais comment celui-ci finira, comme ces tours qu’on fait un jour imploser dans un nuage de poussière (savamment limité) – et leurs anciens habitants sont là debout pour les voir disparaître, et ils partent songeurs, pleins du souvenir de ce qu’ils y ont vécu, qui pourtant n’était pas si rose. Je pourrais être la femme de ménage qui nettoie mon immeuble et je serais épuisée dès le début du travail, car rien n’est fait pour être beau et propre dans ces escaliers, ces halls d’entrée, ces paliers.
Mais ici, c’est le contraire. Je rends à la place, aux dalles, leur éternité. Même les tables-insectes sont dans leur propre nature géométrique et ne font qu’embellir à mes yeux avec le temps. Je nettoie ce qui est passé dans la journée, je gratte le chewing-gum collé par un adolescent sous un plateau de table, et puis je me repose, quand tout est à nouveau ce qu’il doit être.
Re: Focale (17)
seyne a écrit:
Mais ici, c’est le contraire. Je rends à la place, aux dalles, leur éternité.
C'est une hyperbolisation de la poésie ménagère en milieu laborieux … j'ai toutefois un peu de mal à croire à la persistance de cette poésie chaque jour maniant inlassablement la serpillière, hier comme aujourd'hui, pour participer, modestement soit, mais avec lucidité et constance, à la patine magique du temps.
Je t'accorde que faire le ménage dans un café historique est certainement moins désagréable que de la faire dans un relais routier jonché de salissures et sur du linoléum usé…dont acte !
Re: Focale (17)
A la fin de chaque focale, j'ai envie de ranger la photo dans un album !
Celle-ci me parle un peu moins : je vois la place et les tables, je n'arrive pas à visualiser l'attitude de la femme. Mais c'est un détail : le texte en lui-même me plaît, surtout cette notation :
et leurs anciens habitants sont là debout pour les voir disparaître, et ils partent songeurs, pleins du souvenir de ce qu’ils y ont vécu, qui pourtant n’était pas si rose. qui dit bien que les souvenirs des petites gens est rarement pérennisé dans la pierre... (sauf cimetières).
Celle-ci me parle un peu moins : je vois la place et les tables, je n'arrive pas à visualiser l'attitude de la femme. Mais c'est un détail : le texte en lui-même me plaît, surtout cette notation :
et leurs anciens habitants sont là debout pour les voir disparaître, et ils partent songeurs, pleins du souvenir de ce qu’ils y ont vécu, qui pourtant n’était pas si rose. qui dit bien que les souvenirs des petites gens est rarement pérennisé dans la pierre... (sauf cimetières).
coline dé- Nombre de messages : 353
Age : 24
Date d'inscription : 24/12/2019
Re: Focale (17)
Je ressens bien le sentiment de cette femme, qui fait et refait chaque jour les mêmes gestes simples et y trouve quelque chose, peut-être du plaisir, ou le but de sa vie, pourquoi pas ?
"Je devais avoir trop rêvé cette nuit-là..." : bien. "... les tables rondes avec leurs pieds de fer forgé ressemblaient à des insectes" : bien vu.
Par contre, je préférais "Sous le ciel de ce matin-là". Je n'ai pas trop compris l'histoire des tables avec un plateau vertical, je crois qu'il faudrait un point après "insectes" et dire "avaient trouvé la mort".
"Je devais avoir trop rêvé cette nuit-là..." : bien. "... les tables rondes avec leurs pieds de fer forgé ressemblaient à des insectes" : bien vu.
Par contre, je préférais "Sous le ciel de ce matin-là". Je n'ai pas trop compris l'histoire des tables avec un plateau vertical, je crois qu'il faudrait un point après "insectes" et dire "avaient trouvé la mort".
Marco78- Nombre de messages : 30
Age : 64
Date d'inscription : 26/12/2019
Re: Focale (17)
Moi je vis dans un immeuble. Ma vie bizarre s’est toujours passée dans des immeubles, dont rien de ce qui avait été utilisé pour la construction n’était fait pour durer longtemps
çà rattrappe l'actualité , bien vu
çà rattrappe l'actualité , bien vu
So-Back- Nombre de messages : 3652
Age : 100
Date d'inscription : 04/04/2014
Re: Focale (17)
J'aime vraiment beaucoup. Je vois tout, et ça me rappelle une place à Grenoble. Ce texte est, comme tout le temps avec toi, détaillé, en cela qu'il nous plonge dans une musique du détail.
Et puis l'opposition entre la place qui demeure et les humains qui partent est très bien vue !
Non, vraiment, c'est top.
Et puis l'opposition entre la place qui demeure et les humains qui partent est très bien vue !
Non, vraiment, c'est top.
Re: Focale (17)
merci à vous tous.
cette photo faisait partie des "difficiles" pour moi : très géométrique, graphique, on devine à peine la silhouette qui se penche sur l'envers d'un plateau de table. elle a été prise à Florence, et je suis partie sur ce qui fait sa force : la blancheur des dalles, leur évidente ancienneté.
Bien sûr le récit ne cherche pas la vraisemblance, même si on pourrait imaginer quelqu'un qui pense de cette façon et que la vie a réduit à cet emploi peu reconnu. J'ai plutôt eu envie de dire quelque chose sur l'architecture, sur cet art (ou pas).
cette photo faisait partie des "difficiles" pour moi : très géométrique, graphique, on devine à peine la silhouette qui se penche sur l'envers d'un plateau de table. elle a été prise à Florence, et je suis partie sur ce qui fait sa force : la blancheur des dalles, leur évidente ancienneté.
Bien sûr le récit ne cherche pas la vraisemblance, même si on pourrait imaginer quelqu'un qui pense de cette façon et que la vie a réduit à cet emploi peu reconnu. J'ai plutôt eu envie de dire quelque chose sur l'architecture, sur cet art (ou pas).
Re: Focale (17)
Bonjour seyne,
Le récit à la première personne du singulier m'a un peu dérangé … il introduit d'autres yeux, ceux de la personne qui passe le balai, que ceux du photographe à travers l'objectif …
Note pour Marco : Sur certaines tables de café, le plateau peut pivoter pour prendre la position verticale. Cela permet de ranger à l'intérieur ces tables qui prennent ainsi moins de place ou de les stocker au bord de la terrasse lorsqu'on n'en n'a pas besoin.
Le récit à la première personne du singulier m'a un peu dérangé … il introduit d'autres yeux, ceux de la personne qui passe le balai, que ceux du photographe à travers l'objectif …
Note pour Marco : Sur certaines tables de café, le plateau peut pivoter pour prendre la position verticale. Cela permet de ranger à l'intérieur ces tables qui prennent ainsi moins de place ou de les stocker au bord de la terrasse lorsqu'on n'en n'a pas besoin.
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 70
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Re: Focale (17)
Merci MidnightR, mais ce n'est pas d'un mode d'emploi IKEA dont j'ai besoin... Ce que je veux, c'est comprendre dans le texte pourquoi la narratrice associe la position verticale du plateau à la mort de l'insecte-table. Est-ce que c'est par analogie, par exemple : à la verticale, le plateau évoque les ailes coupées d'un insecte, ou quelque chose dans le genre ? Je ne sais pas. Mais il faut que l'auteur le précise car ce n'est pas clair.
Marco78- Nombre de messages : 30
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Date d'inscription : 26/12/2019
Re: Focale (17)
bon, je réponds quand même : c’est parce qu’ainsi on voit le dessous (sombre) des tables. Quand on voit le ventre d’un insecte c’est souvent qu’il est mort. C’est l’impression qui m’est venue.
Re: Focale (17)
OK, ben faut le dire dans le texte...
Marco78- Nombre de messages : 30
Age : 64
Date d'inscription : 26/12/2019
Re: Focale (17)
Quelque chose du genre : "leur dessous noir comme le ventre d'un insecte mort", par exemple.
Mais bon, il y a déjà le mot "insecte" pas loin, faudrait trouver mieux.
Mais bon, il y a déjà le mot "insecte" pas loin, faudrait trouver mieux.
Marco78- Nombre de messages : 30
Age : 64
Date d'inscription : 26/12/2019
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