sables
+2
danie
seyne
6 participants
Page 1 sur 1
sables
(je crois que je ne l'ai pas posté, celui-ci)
C’est à Berck-plage, un jour de grand vent. Le sable si fin et d’un beige si doux file à ras
des kilomètres de marée basse, en nappe, cingle les mollets des enfants, on doit lui tourner
le dos pour se protéger les yeux. On marche en marche arrière, fixant l’horizon parallèle à
notre progression cahotante. C’est drôle de marcher en arrière longtemps dans le sable. De
temps en temps on se retourne pour vérifier la trajectoire : on va au blockhaus.
Je suis en vacances ici parce que j’ai un frère hospitalisé dans ces hôpitaux où on soigne
les os. Il a un problème de colonne vertébrale, lui il se balade le matin, son chat sur le
ventre, couché sur un chariot plat, Maman le pousse. A Berck il y a beaucoup de chariots
plats comme le sien. Des fois il fait un peu beau, mais aujourd’hui il y a des nuages, la mer
est gris-vert et à cause du sable qui vole je pense à ce poème de Verlaine que j’ai appris le
mois dernier : « le ciel est de cuivre…»
Moi je n’ai pas de problème de vertèbre, et Maman est trop occupée par mon frère pour
me surveiller, alors je vais où je veux, je vadrouille. Dès le premier jour, en escaladant les
sortes de hautes murailles inclinées qui bordent la plage, j’ai vu un garçon qui faisait la
même chose, mais à la vitesse de l’éclair ! Normal, lui il habite ici, il fait ça depuis qu’il est
tout petit. Il m’a attendue assis en haut, on s’est présentés comme font les enfants :
prénom, âge. Lui non plus, personne ne le surveille.
On va partout : dans les dunes où traînent des barbelés rouillés et traîtres qu’il repère de
loin. Il est plus vieux que moi un peu, il a l’air très content de me montrer les grands pins
presque couchés par le vent où il est si facile de monter. On joue au Uno dans l’arbre, c’est
moi qui ai amené le jeu et qui lui ai appris. Je suis une fille raisonnable, parce que Maman
se fait tellement de souci pour mon frère, alors je l’ai amené pour qu’elle le voie, pour
qu’elle le connaisse un peu, elle a demandé son nom et le numéro de ses parents, c’est
normal. Elle veut me voir toutes les heures, c’est normal. Je fais attention, on revient, on
repart. Mon frère me demande le soir de lui raconter. Il paraît que l’année prochaine il sera
guéri. Maman a amené le chat depuis Paris, elle lui lit des livres, elle discute avec les
infirmière et de temps en temps tous les enfants en chariot se retrouvent dans la grande
salle de la télé. J’aime bien ces vacances.
Mon copain m’a amenée partout : dans les rues de derrière où les petits jardins pleins de
sable ont encore des vieux jouets abandonnés, blanchis de sel et à moitié cassés. Tout en
haut de la dune la plus raide où on peut glisser. On est même montés dans les bateaux de
pêche que personne ne surveille dans le port, qui sentent très fort le poisson, on a pris un
bout de filet. On est même allées à la bibliothèque un jour où il pleuvait. Il n’a pas de carte
mais on n’en a pas besoin pour lire. Et bien sûr on a pêché toutes les sortes de coquillages,
il s’y connaît très bien.
Il m’a donné une Barbie de sa soeur qui est trop grande pour y jouer. Elle est toute nue et
très décoiffée – celles qui étaient encore belles elle les a vendues dans les réderies – mais je
lui ai fait une robe avec un joli sac en plastique rouge. Moi je lui ai donné une BD.
Mais aujourd’hui, à cause du vent, on ne peut pas se promener, alors il m’emmène au
blockhaus. D’habitude il y va avec ses copains, c’est pas mal interdit, parce qu’autrefois il
restait des trucs qui n’avaient pas explosé, mais il n’y en a plus. Ses copains sont tous partis
cet été. Il me montre comment on fait pour descendre entre deux piliers, verts de mousse.
Le sable reste toujours mouillé à l’intérieur. Ils ont installé des sacs par terre, des fois ils
font du feu juste en-dessous de l’espèce de fenêtre profonde, le vent du dehors aspire la
fumée. Ca sent un peu le pipi, mais pas trop. Il y a un tas de pommes de pin et de
brindilles. On ne peut rien laisser à manger parce que c’est très humide.
On a goûté. Et puis il est allé tout au fond, il a creusé dans le sable et il a sorti un sac en
plastique. Il y avait un pistolet, un vrai, très rouillé, qu’ils ont trouvé. Et puis il y a des
balles très jolies, moitié en cuivre moitié en autre chose. Il m’en a donné une et m’a dit : ça
c’est un cadeau pour ton frère.
Je la lui ai donnée en cachette et, je ne sais pas comment il s’est débrouillé, mais Maman
ne l’a jamais vue.
C’est à Berck-plage, un jour de grand vent. Le sable si fin et d’un beige si doux file à ras
des kilomètres de marée basse, en nappe, cingle les mollets des enfants, on doit lui tourner
le dos pour se protéger les yeux. On marche en marche arrière, fixant l’horizon parallèle à
notre progression cahotante. C’est drôle de marcher en arrière longtemps dans le sable. De
temps en temps on se retourne pour vérifier la trajectoire : on va au blockhaus.
Je suis en vacances ici parce que j’ai un frère hospitalisé dans ces hôpitaux où on soigne
les os. Il a un problème de colonne vertébrale, lui il se balade le matin, son chat sur le
ventre, couché sur un chariot plat, Maman le pousse. A Berck il y a beaucoup de chariots
plats comme le sien. Des fois il fait un peu beau, mais aujourd’hui il y a des nuages, la mer
est gris-vert et à cause du sable qui vole je pense à ce poème de Verlaine que j’ai appris le
mois dernier : « le ciel est de cuivre…»
Moi je n’ai pas de problème de vertèbre, et Maman est trop occupée par mon frère pour
me surveiller, alors je vais où je veux, je vadrouille. Dès le premier jour, en escaladant les
sortes de hautes murailles inclinées qui bordent la plage, j’ai vu un garçon qui faisait la
même chose, mais à la vitesse de l’éclair ! Normal, lui il habite ici, il fait ça depuis qu’il est
tout petit. Il m’a attendue assis en haut, on s’est présentés comme font les enfants :
prénom, âge. Lui non plus, personne ne le surveille.
On va partout : dans les dunes où traînent des barbelés rouillés et traîtres qu’il repère de
loin. Il est plus vieux que moi un peu, il a l’air très content de me montrer les grands pins
presque couchés par le vent où il est si facile de monter. On joue au Uno dans l’arbre, c’est
moi qui ai amené le jeu et qui lui ai appris. Je suis une fille raisonnable, parce que Maman
se fait tellement de souci pour mon frère, alors je l’ai amené pour qu’elle le voie, pour
qu’elle le connaisse un peu, elle a demandé son nom et le numéro de ses parents, c’est
normal. Elle veut me voir toutes les heures, c’est normal. Je fais attention, on revient, on
repart. Mon frère me demande le soir de lui raconter. Il paraît que l’année prochaine il sera
guéri. Maman a amené le chat depuis Paris, elle lui lit des livres, elle discute avec les
infirmière et de temps en temps tous les enfants en chariot se retrouvent dans la grande
salle de la télé. J’aime bien ces vacances.
Mon copain m’a amenée partout : dans les rues de derrière où les petits jardins pleins de
sable ont encore des vieux jouets abandonnés, blanchis de sel et à moitié cassés. Tout en
haut de la dune la plus raide où on peut glisser. On est même montés dans les bateaux de
pêche que personne ne surveille dans le port, qui sentent très fort le poisson, on a pris un
bout de filet. On est même allées à la bibliothèque un jour où il pleuvait. Il n’a pas de carte
mais on n’en a pas besoin pour lire. Et bien sûr on a pêché toutes les sortes de coquillages,
il s’y connaît très bien.
Il m’a donné une Barbie de sa soeur qui est trop grande pour y jouer. Elle est toute nue et
très décoiffée – celles qui étaient encore belles elle les a vendues dans les réderies – mais je
lui ai fait une robe avec un joli sac en plastique rouge. Moi je lui ai donné une BD.
Mais aujourd’hui, à cause du vent, on ne peut pas se promener, alors il m’emmène au
blockhaus. D’habitude il y va avec ses copains, c’est pas mal interdit, parce qu’autrefois il
restait des trucs qui n’avaient pas explosé, mais il n’y en a plus. Ses copains sont tous partis
cet été. Il me montre comment on fait pour descendre entre deux piliers, verts de mousse.
Le sable reste toujours mouillé à l’intérieur. Ils ont installé des sacs par terre, des fois ils
font du feu juste en-dessous de l’espèce de fenêtre profonde, le vent du dehors aspire la
fumée. Ca sent un peu le pipi, mais pas trop. Il y a un tas de pommes de pin et de
brindilles. On ne peut rien laisser à manger parce que c’est très humide.
On a goûté. Et puis il est allé tout au fond, il a creusé dans le sable et il a sorti un sac en
plastique. Il y avait un pistolet, un vrai, très rouillé, qu’ils ont trouvé. Et puis il y a des
balles très jolies, moitié en cuivre moitié en autre chose. Il m’en a donné une et m’a dit : ça
c’est un cadeau pour ton frère.
Je la lui ai donnée en cachette et, je ne sais pas comment il s’est débrouillé, mais Maman
ne l’a jamais vue.
Re: sables
je ne l'ai pas retrouvé en cherchant dans les mois précédents, mais en fait j'ai bien peur que ce soit un doublon...Peux-tu l'effacer Sahkti si c'est le cas ? Merci à l'avance.
Re: sables
Troublant, je pense que c'est assez juste, mais qu'est-ce que j'en sais des pensées images d'une enfant?
note : juste comme justesse, musique, math, rien à voir avec justice
note : juste comme justesse, musique, math, rien à voir avec justice
danie- Nombre de messages : 149
Age : 74
Date d'inscription : 10/02/2020
Re: sables
merci danie de ces deux mots, troublant et juste, rien ne pouvait me faire plus plaisir, pour ce petit récit. J'ai surimprimé des époques très différentes, des silhouettes, un lieu émouvant, pour essayer de dire ce qu'ont été parfois pour moi des garçons, des hommes amis.
Re: sables
cf. Exercices en direct du mardi 28 janvier 2020
Mais c'est toujours aussi agréable à lire.
Mais c'est toujours aussi agréable à lire.
obi- Nombre de messages : 566
Date d'inscription : 24/02/2013
Re: sables
Que trouver à redire ? C'est troublant tellement c'est juste, de plein de détails, de choses sensorielles (le sable qui fouette, l'odeur du pipi...) la valeur propre à l'enfance (la douille, la robe rouge, précieux), le langage (ce "très rouillé"...), et tout ça empilé en quelques paragraphes presque sans histoire prend une cohérence de roche métamorphique, c'est grenu, coupant.
Le poème de Verlaine est peut-être venu à un âge différent, un peu plus tard. Mais il te va bien.
Le poème de Verlaine est peut-être venu à un âge différent, un peu plus tard. Mais il te va bien.
'toM- Nombre de messages : 287
Age : 68
Date d'inscription : 10/07/2014
Re: sables
Verlaine, oui, sans doute c'était en 6ème et cette histoire on la verrait plutôt en CM1...
Métamorphique, oui c'est très juste. Les éléments de ce récit, véridiques ou imaginaires, déformés, se rattachent pour moi à des expériences noyées dans une très grande épaisseur de temps, mais qui ont une "nature" commune.
Tiens, le mur incliné qui séparait la plage de la promenade, j'ai découvert après avoir fouillé dans des reproductions de vieilles cartes postales sur le net, qu'il venait d'être construit la première année où je suis allée en vacances à Berck.
Métamorphique, oui c'est très juste. Les éléments de ce récit, véridiques ou imaginaires, déformés, se rattachent pour moi à des expériences noyées dans une très grande épaisseur de temps, mais qui ont une "nature" commune.
Tiens, le mur incliné qui séparait la plage de la promenade, j'ai découvert après avoir fouillé dans des reproductions de vieilles cartes postales sur le net, qu'il venait d'être construit la première année où je suis allée en vacances à Berck.
Re: sables
"C’est drôle de marcher en arrière longtemps dans le sable."
"Il est plus vieux que moi un peu,"
"c’est pas mal interdit, parce qu’autrefois il
restait des trucs qui n’avaient pas explosé, mais il n’y en a plus"
"mais Maman
ne l’a jamais vue."
Merci seyne, j'ai voyagé à travers l'enfance et ce qu'on retient tout en bas du blockhaus, sur le chemin. Ce n'était pas la même vie, une vie d'enfant.
Antoine
"Il est plus vieux que moi un peu,"
"c’est pas mal interdit, parce qu’autrefois il
restait des trucs qui n’avaient pas explosé, mais il n’y en a plus"
"mais Maman
ne l’a jamais vue."
Merci seyne, j'ai voyagé à travers l'enfance et ce qu'on retient tout en bas du blockhaus, sur le chemin. Ce n'était pas la même vie, une vie d'enfant.
Antoine
Jand- Nombre de messages : 306
Age : 27
Date d'inscription : 05/04/2016
Re: sables
Je me souviens de ce texte et je le redécouvre avec un grand plaisir. Cette manière de dire à ceci naïveté et sens tragique. On attend une suite. Vraiment, tu as trouvé là un ton particulièrement prenant. Bravo !
HELLION- Nombre de messages : 477
Age : 74
Date d'inscription : 19/08/2017
Sujets similaires
» Les sables mouvants
» Le silence des sables...
» Les sables de Tombouctou
» Rose des sables
» Matin de mai aux Sables-d'Or
» Le silence des sables...
» Les sables de Tombouctou
» Rose des sables
» Matin de mai aux Sables-d'Or
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|