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L’Homme-semence

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Message  'toM Mar 13 Juil 2021 - 18:01



Travail d’atelier sur l’histoire d’un livre, l’Homme-semence, de Violette Ailaud.

En 1852, Violette Ailhaud est en âge de se marier quand son village des Basses-Alpes est brutalement privé de tous ses hommes par la répression qui suit le soulèvement républicain de décembre 1851. Deux ans passent dans un isolement total. Entre femmes, serment est fait que si un homme vient, il sera leur mari commun, afin que la vie continue dans le ventre de chacune.

Extrait du livre : « Ça vient du fond de la vallée. Bien avant que ça passe le gué de la rivière, que l'ombre tranche, en un long clin d'oeil, le brillant de l'eau entre les iscles, nous savons que c'est un homme. Nos corps vides, de femmes sans mari, se sont mis à résonner d'une façon qui ne trompe pas. Nos bras fatigués s'arrêtent tous ensemble d'amonteiller le foin. Nous nous regardons et chacune se souvient du serment. Nos mains s'empoignent et nos doigts se serrent à en craquer les jointures notre rêve est en marche, glaçant d'effroi et brûlant de désir. »

Propositions d’écriture, la première rencontre, puis, le retour.

J’ai voulu le voir, avant. Seule. Pas le rencontrer, le voir. Sans les commentaires, sans les états d’âmes des autres. Faire connaissance avec son allure, sa charpente. J’avais besoin de quelque chose qui soit à moi, à moi seule, avant de le partager. Pour moi ce n’était pas le trahir, ce serment.
Il y a un noyer en bas, un peu en retrait. Je savais que si je me faisais petite et sans bruit, il irait sans me voir. Je me suis passé de l’eau sur la figure -on ne sait jamais, et j’ai dévalé la sente qui rejoint la drailhe, le long de l’abreuvoir. Arrivée devant l’arbre, je tremblais. Je ne sais pas d’où m’est venue l’idée, j’ai déboutonné le haut de mon corsage, et toute en désordre j’ai passé mes bras autour et je me suis serrée contre le tronc, de tout mon corps. J’ai fermé les yeux.
Il était plus près que ça. Il y a eu un bruit de caillou puis un autre, j’ai relâché mon arbre, je me suis tassée contre le tronc. Que surtout, surtout… Enfin il ne fallait pas que… Mon père, je me souviens, il me racontait quand il chassait l’écureuil, « il se cache derrière le tronc mais il est tellement curieux, il passe la tête pour voir ». Moi, c’était tout de suite. Je l’ai vu qui montait déjà un peu plus haut, son gilet sur le bras. Et son dos qui roulait comme un cheval. Et le cheval était bon, et sûr.
Je me suis sentie rouge et comme en feu. J’ai dû faire un peu de bruit et sa tête s’est légèrement inclinée sur mon côté. Mais sans se retourner il a continué son chemin.

...

Il se dit maintenant - Peut-être quand tu as fait ce que j’ai fait ici, tu en deviens quitte avec la vie, le pourquoi tu es né, ce qui était ta mission. – Mais qu’est-ce que tu as fait exactement. Ses pas cassent le chemin, ça fend la pente en deux, devant lui. – Je ne sais pas trop. Mais j’ai fait. (Plus loin) – Je l’ai fait avec mes dix doigts, avec ma force, ma sueur. Avec mon vit, aussi. Tout ça c’était de l’action, c’était sans avoir à penser, de trop. Il trébuche sur un lit de cailloux roulés là après les dernières pluies d’automne. – Et si je me fracasse un genou, est-ce que je remonte… (Plus loin) – En bas tout ce que je ferai ce ne sera qu’un peu plus que ce que j’aurais fait ici. Il se redemande car il sait avoir éludé, tout à l’heure. – Mais qu’est-ce que tu as fait exactement. Il réfléchit. - J’ai fait un pays, avec de la vie. J’ai planté solide. Il pense aux petits, ceux dans la maison de Marie, ou le fiston chez Reine. – Tu sais qu’à un moment ou un autre, tu ne sauras plus, tu n’accepteras plus. N’attends pas que l’un ou l’une, que quelqu’un d’autre que toi te le dise. – Je recommence à penser, trop. Va. Devant il y a la scierie. Et il y aura d’autres lits. Il dit – Ne te retourne pas. Il dit, aussi, fais comme si tu n’avais rien vu.
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Message  obi Ven 24 Sep 2021 - 13:50

Le premier texte me fait vraiment penser à du Giono. Simple, franc, profond. Merci.

Le deuxième (qui peut-être est plus travaillé ?) me semble moins clair, trop pensé, moins honnête.

ce n'est qu'une impression....

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Message  'toM Mar 30 Nov 2021 - 14:33

C'est sans doute vrai. Le premier est écrit dans la justesse du spontané. En tout cas je l'avais trouvé juste. Et le deuxième, le même jour mais après le repas, est à la fois plus chaotique et plus laborieux. Il essaie de reprendre le fil du matin, et ça, je pense que c'est une erreur.
Autre chose en relisant deux-trois travaux, je me demande si mes personnages féminins ne s'en sortent pas mieux, à l'écriture, j'entends. Comme s'ils étaient plus libres d'être, alors que les mâles doivent faire attention à ce qu'ils disent, font, pensent.
Bref...
(je vais quand même le reprendre)
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Message  seyne Sam 4 Déc 2021 - 17:11

C'est drôle, je suis en train de lire "Que ma joie demeure". On ne peut plus parallèle à ton texte et à ce livre dont il s'inspire. Pendant longtemps Giono ça a été "Le chant du monde", un livre qui m'a éblouie, m'a donné envie d'écrire un livre...pourquoi suis-je si agacée par "Que ma joie demeure" ? Je crois qu'il y a dedans trop de volonté, trop d'idéalisation d'un monde paysan rêvé, communautaire. Du coup tout me semble sonner faux, la façon dont les personnages parlent, leurs actes, leurs émotions.
Pour avoir côtoyé des paysans bien intéressants, bien profonds, je ne les retrouve pas du tout dans tout ça. Et le livre, "L'homme semence", m'agace de la même façon, je l'ai lu, je n'"y crois pas".
Alors que "Le chant du monde n'était qu'images, sensations, récit atemporel, presque mythique.

Et tout ça résonne avec ton texte.
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Message  seyne Lun 6 Déc 2021 - 9:56

tiens, en cherchant un peu je trouve ça sur "L'homme semence" : "L'Homme semence est un court récit, à l'origine incertaine, attribué par son éditeur à Violette Ailhaud ..."


Mais je suis partie sur Giono et je n'ai pas rendu justice à ton texte. C'est vrai que la première partie sonne juste, à part peut-être la façon de parler du haut du corsage déboutonné : on ne fait pas ça sans savoir très précisément pourquoi.
Et c'est vrai que ce que dit l'homme est un peu confus, est-ce avant ou après être arrivé au village ? Il fait tous les villages de femmes de la région ?

Pour en revenir à Giono, je ne lâche pas la lecture malgré mes agacements, parce que c'est tellement beau, aussi.
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Message  'toM Ven 10 Déc 2021 - 13:31

J'ai toujours lu Giono avec beaucoup de plaisir. Ou de gourmandise.
Sans m'enlever de l'idée que c'était un fieffé "menteur", mais que j'aimerais savoir mentir comme lui.
Il y a pratiquement toujours deux ou trois choses chez tout un chacun (comme chez tes paysans), qui touchent au merveilleux.
Écrire, c'est souvent laisser la place à ce merveilleux, cet étonnant, ce curieux, sans gommer tout le reste.
Alors, c'est vrai, la réalité dont tu parles s'éloigne. Peut-être que gommer juste est plus difficile que de juste écrire.
(tu me donnes une idée...)
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Message  seyne Lun 13 Déc 2021 - 14:49

Je n'avais pas terminé "Que ma joie demeure" quand j'ai commenté ton texte. Maintenant, c'est fait et la fin que Giono donne à son histoire est bien plus subtile et ambigue que je ne l'avais imaginé. Tout démiurge, tout poète et révolutionnaire et magicien qu'il soit, Bobi est aussi un homme empêché, incapable de vivre l'amour, de le penser, même, et cela lui donne une fragilité qui rend au roman sa complexité.
Le roman renoue aussi avec ce que j'avais tant aimé dans "Le chant du monde" : l'impression d'un récit quasi mythologique.
Sinon, pour cette histoire de "menteur", je me suis souvenu d'une anecdote lue sous la plume de la fille de Giono : elle racontait avec malice comment à la saison de cueillette des olives, son père les accompagnait dans l'oliveraie, passait une demi-heure à cueillir avec eux dans le froid, puis rentrait dans son bureau et passait beaucoup plus longtemps à écrire ce que c'était, les olives, les cueillir...et sous la simplicité du récit, je trouve qu'on touche à un dilemme de l'écrivain, à ce qu'a pu en dire Duras aussi : écrire ou vivre.
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Message  'toM Mar 14 Déc 2021 - 11:03

Le livre de Giono que je feuillette le plus souvent est celui de Sylvie Giono, qui parle de la cuisine de son père, entre des extraits de romans ou de chroniques, et des recettes de sa mère Elise, juste retour. Et juste dialogue des voluptés.
Tu as du trouver au passage la cuisson du chevreau et du lièvre, dans Que ma joie demeure. Dieu du ciel....
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Message  seyne Mar 14 Déc 2021 - 20:17

C'est drôle, j'ai évoqué cette description fabuleuse avec mes amis lors du repas dont je parle dans "Hortillons, hortillonnes" et plusieurs le connaissaient très bien. On vivait un moment qui m'y avait fait penser.

Et pour revenir à des choses moins sympathiques : j'ai compris en lisant ce livre comment Gion, tout pacifiste qu'il était, avait pu avoir des faiblesses pour les rêveries d'une certaine extrême-droite, chantre de la vie agreste. L'idéalisation c'est une pente glissante, parce qu'elle désigne toujours l'envers de son idéal...
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Message  'toM Mar 4 Jan 2022 - 23:12

Bonjour. Quand je parle du "menteur", j'entends le manipulateur, celui qui usera de subterfuges pour cacher le réel. Comme tu enlève un pylône et un fil des PTT sur une photo de paysage. Le vivant ce n'est jamais comme ça, le parlé vrai, non plus. Et je sais pour te croiser de longue date que les artifices te font tiquer.
Ecrire ou vivre, c'est un peu différent. Je crois qu'on écrit différemment ce qu'on a pas vécu, ce qu'on n'a pas eu le privilège de vivre.
La glissade ? Je vis avec prudence...
Pour en revenir à Giono, je viens de voir "le Roi sans divertissement", film qu'il a supervisé après avoir écrit les dialogues et le scénario. Et surtout "le supplément", les interviews autour du film, son histoire. Ses glissades...
Pour une fois, les personnages sortent de leur arrière-plan naturel, c'est quelque chose de plus brut. Je n'en dis pas plus.
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Message  seyne Ven 7 Jan 2022 - 19:49

Je viens de tomber sur un passage éblouissant de Proust, un passage de « A l’ombre des jeunes filles en fleurs » que j’avais ouvert par hasard. Il parle de Bergotte, l’écrivain, de sa manière de parler et d’écrire. Bergotte a une façon spéciale d’articuler, de parler, mais Proust a découvert que c’était la façon de parler de tous ses frères et soeurs, un mode d’expression familial un peu saccadé, un peu bruyant, avec des alternances de joie bruyante et de lente mélancolie.
Bergotte a les mêmes intonations mais atténuées, discrètes. Et il retrouve quelque chose de cela dans le style écrit de Bergotte. Il dit que finalement peu importe ce que décrit bergotte, ce qui fait la qualité extraordinaire de son écriture, ce qui la rend éternelle, c’est qu’elle est un miroir de sa nature la plus profonde, liée à la façon de parler de toute sa famille.
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