Miguel
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Miguel
Miguel.
Ils t’appellent Miguel, mais combien de fois tu as changé de nom, avant de t’occuper de leur jardin. Les enfants sont venus te voir travailler sous les fenêtres, pendant que tu plantais, gestes simples et répétitifs, des lignes de petites fleurs violettes et jaunes.
- Comme elles sont grosses ses mains, Miguel.
Oui j’ai de grandes mains, larges, épaisses, avec des nœuds, de la terre sous les ongles et entre les lignes, aussi. Un trou, un plant, deux poignées de terre, une lampée d’eau, un trou un plant… C’est faire, sans se dire, sans parler de soi.
- Comme il va vite Miguel.
- Tu veux essayer ?
Mais le gosse, le chico, il a décapité la fleur orange. Elle était laide, cette fleur, comme toutes les autres sur le catalogue. Comme il va vite Miguel, ses mains ne tremblent pas, un trou, une plante un peu de terre ses mains ne tremblent pas. Comme ce jour derrière l’ayuntamiento où elles ont étranglé Alvarez, qui était anarchiste ou républicain, enfin, pas du bon côté, avec ses mains petites, blanches, soignées.
Un trou, un plant, c’est faire. Sans se dire. Sans parler de rien.
Ils t’appellent Miguel, mais combien de fois tu as changé de nom, avant de t’occuper de leur jardin. Les enfants sont venus te voir travailler sous les fenêtres, pendant que tu plantais, gestes simples et répétitifs, des lignes de petites fleurs violettes et jaunes.
- Comme elles sont grosses ses mains, Miguel.
Oui j’ai de grandes mains, larges, épaisses, avec des nœuds, de la terre sous les ongles et entre les lignes, aussi. Un trou, un plant, deux poignées de terre, une lampée d’eau, un trou un plant… C’est faire, sans se dire, sans parler de soi.
- Comme il va vite Miguel.
- Tu veux essayer ?
Mais le gosse, le chico, il a décapité la fleur orange. Elle était laide, cette fleur, comme toutes les autres sur le catalogue. Comme il va vite Miguel, ses mains ne tremblent pas, un trou, une plante un peu de terre ses mains ne tremblent pas. Comme ce jour derrière l’ayuntamiento où elles ont étranglé Alvarez, qui était anarchiste ou républicain, enfin, pas du bon côté, avec ses mains petites, blanches, soignées.
Un trou, un plant, c’est faire. Sans se dire. Sans parler de rien.
'toM- Nombre de messages : 287
Age : 68
Date d'inscription : 10/07/2014
Re: Miguel
Quelque notes :
Je suis frappée de voir ressurgir dans ce texte la guerre d'Espagne, parce que je suis en train de lire, justement, un livre de Javier Cercas, remarquable : "Le monarque des ombres", sorte d'e récit d'enquête sur un de ses grands-oncles, mort à 19 ans dans les ranges phalangistes en 1938.
Je me dis que beaucoup de tes écrits sont comme des jeux de pistes, apparitions allusives d'un passé sinistre, qui ressurgit à travers une scène du présent. L'importance de la mémoire.
Derrière, en filigrane, l'opposition faire/dire, et tuer/donner vie. Mais rien de lourdement philosophique, seulement la réalité et des points d'interrogation.
Certaines personnes de mon enfance (surtout des femmes) restent dans ma mémoire surtout par leurs gestes et leurs mains, épaissies, brunies, mais d'une habileté parfaite dans des gestes mille fois répétés. La beauté était là, dans ce long temps passé à faire. Et il n'y avait rien à expliquer, j'apprenais avec les yeux.
Je suis frappée de voir ressurgir dans ce texte la guerre d'Espagne, parce que je suis en train de lire, justement, un livre de Javier Cercas, remarquable : "Le monarque des ombres", sorte d'e récit d'enquête sur un de ses grands-oncles, mort à 19 ans dans les ranges phalangistes en 1938.
Je me dis que beaucoup de tes écrits sont comme des jeux de pistes, apparitions allusives d'un passé sinistre, qui ressurgit à travers une scène du présent. L'importance de la mémoire.
Derrière, en filigrane, l'opposition faire/dire, et tuer/donner vie. Mais rien de lourdement philosophique, seulement la réalité et des points d'interrogation.
Certaines personnes de mon enfance (surtout des femmes) restent dans ma mémoire surtout par leurs gestes et leurs mains, épaissies, brunies, mais d'une habileté parfaite dans des gestes mille fois répétés. La beauté était là, dans ce long temps passé à faire. Et il n'y avait rien à expliquer, j'apprenais avec les yeux.
Re: Miguel
C'était un travail sur les mains. L'expression d'un personnage par ses mains, que j'ai doublée par des éléments "pensés".
Jeu de pistes ? Pas particulièrement, sauf si je pense que toute écriture, voire toute création est un jeu de pistes. Qu'est-ce qu'il y a de moi, qu'est-ce qui est purement fictif, qu'est-ce qui est gris ? Mais ce n'est pas ça qui guide l'écriture. Ce qui rapproche Miguel d'autres personnages, c'est je pense plutôt une interrogation sur "qu'est-ce que j'aurais fait si ?", ou "en face de ?". Comme je n'ai jamais eu à prendre ce type de décision -je n'ai pas de passé sinistre à ce point...- le questionnement restera toujours. Ce n'est pas un débat sur la valeur morale de quelqu'un, mais sur sa potentielle lâcheté au moment d'agir.
Décrire un "homme ordinaire" - au sens que lui donne Christopher Browning dans son livre, qui ne résiste pas, qui se soumet au moment d’obéir et de commettre. Et plus encore, qui se consolide dans cette construction. C'est une façon de m'avouer : ce sera toujours plus compliqué que ce que tu imagines. Je me souviens avoir lu dans un couloir souterrain de Paris l'expression, à peu de choses près : Above all, remember you're human. Donc je dessine des personnages gris. Eux n'arrivent jamais à effacer ce qu'ils sont ou ce qu'ils ont été.
C'est curieux aujourd'hui j'ai pu lire à la médiathèque un article sur Ivar Ch'var, que je crois tu as connu. Dont je me souviens de quelques articles sur "Pleut-il ?" Quelqu'un d’intéressant, en tout cas.
Jeu de pistes ? Pas particulièrement, sauf si je pense que toute écriture, voire toute création est un jeu de pistes. Qu'est-ce qu'il y a de moi, qu'est-ce qui est purement fictif, qu'est-ce qui est gris ? Mais ce n'est pas ça qui guide l'écriture. Ce qui rapproche Miguel d'autres personnages, c'est je pense plutôt une interrogation sur "qu'est-ce que j'aurais fait si ?", ou "en face de ?". Comme je n'ai jamais eu à prendre ce type de décision -je n'ai pas de passé sinistre à ce point...- le questionnement restera toujours. Ce n'est pas un débat sur la valeur morale de quelqu'un, mais sur sa potentielle lâcheté au moment d'agir.
Décrire un "homme ordinaire" - au sens que lui donne Christopher Browning dans son livre, qui ne résiste pas, qui se soumet au moment d’obéir et de commettre. Et plus encore, qui se consolide dans cette construction. C'est une façon de m'avouer : ce sera toujours plus compliqué que ce que tu imagines. Je me souviens avoir lu dans un couloir souterrain de Paris l'expression, à peu de choses près : Above all, remember you're human. Donc je dessine des personnages gris. Eux n'arrivent jamais à effacer ce qu'ils sont ou ce qu'ils ont été.
C'est curieux aujourd'hui j'ai pu lire à la médiathèque un article sur Ivar Ch'var, que je crois tu as connu. Dont je me souviens de quelques articles sur "Pleut-il ?" Quelqu'un d’intéressant, en tout cas.
'toM- Nombre de messages : 287
Age : 68
Date d'inscription : 10/07/2014
Re: Miguel
J'ai vraiment beaucoup aimé toute la première partie.
Je ne veux pas disséquer ce que vous avez fait - ce n'est qu'une sensibilité personnelle - mais je reconnais que l'intrusion de l'assassinat d'Alvarez m'a simplement coupé dans cet élan :
"Comme ce jour derrière l’ayuntamiento où elles ont étranglé Alvarez, qui était anarchiste ou républicain, enfin, pas du bon côté, avec ses mains petites, blanches, soignées.
Un trou, un plant, c’est faire. Sans se dire. Sans parler de rien."
Les mains sont vraiment un territoire poétique fascinant, je le crois aussi. Les mains des vieux, des nourrissons, les mains en action.
S'est niché dans le début de ce texte ce très beau hiatus entre les mains tragiquement vouées à se maintenir en action, à se montrer elles-mêmes, en dévoilant le secret de leur existence alors qu'elles ne le voudraient peut-être pas, et ce jugement sur ces mains, venus de gens qui ne se posent pas la question de leurs mains.
Vous avez beaucoup de talent pour en parler et j'imaginerais bien cette première partie se poursuivre plus longuement, sans être interrompu par une suggestion trop tapageuse de l'ambivalence de cette action. C'est je crois quelque chose que vous exprimez suffisamment dès le départ.
Mais ce n'était peut-être simplement pas le sujet de votre texte.
Merci en tout cas pour ce partage.
Antoine
Je ne veux pas disséquer ce que vous avez fait - ce n'est qu'une sensibilité personnelle - mais je reconnais que l'intrusion de l'assassinat d'Alvarez m'a simplement coupé dans cet élan :
"Comme ce jour derrière l’ayuntamiento où elles ont étranglé Alvarez, qui était anarchiste ou républicain, enfin, pas du bon côté, avec ses mains petites, blanches, soignées.
Un trou, un plant, c’est faire. Sans se dire. Sans parler de rien."
Les mains sont vraiment un territoire poétique fascinant, je le crois aussi. Les mains des vieux, des nourrissons, les mains en action.
S'est niché dans le début de ce texte ce très beau hiatus entre les mains tragiquement vouées à se maintenir en action, à se montrer elles-mêmes, en dévoilant le secret de leur existence alors qu'elles ne le voudraient peut-être pas, et ce jugement sur ces mains, venus de gens qui ne se posent pas la question de leurs mains.
Vous avez beaucoup de talent pour en parler et j'imaginerais bien cette première partie se poursuivre plus longuement, sans être interrompu par une suggestion trop tapageuse de l'ambivalence de cette action. C'est je crois quelque chose que vous exprimez suffisamment dès le départ.
Mais ce n'était peut-être simplement pas le sujet de votre texte.
Merci en tout cas pour ce partage.
Antoine
Jand- Nombre de messages : 306
Age : 27
Date d'inscription : 05/04/2016
Re: Miguel
Bonjour, et merci.
C'est un texte sur les mains, mais j'ai choisi le thème de leur ambivalence.
Quitte à ce que le ressenti de la lecture le soit aussi, même si ce n'est pas ce que je cherchais.
Et je dois accepter la lecture que vous en avez.
A bientôt.
C'est un texte sur les mains, mais j'ai choisi le thème de leur ambivalence.
Quitte à ce que le ressenti de la lecture le soit aussi, même si ce n'est pas ce que je cherchais.
Et je dois accepter la lecture que vous en avez.
A bientôt.
'toM- Nombre de messages : 287
Age : 68
Date d'inscription : 10/07/2014
Re: Miguel
Le texte est magistral et magnifique. Cependant un verbe me gêne : décapiter ; j'aurais plutôt mis abîmer pour le gamin.
et une phrase aussi : "Elle était laide cette fleur...catalogue" : on hésite à l'attribuer à Miguel ou au chico et dans les deux cas je me pose la question: est-ce que le terme "catalogue" ne détone pas dans le contexte?
Si j'ai écrit des âneries pardonne-moi!
et une phrase aussi : "Elle était laide cette fleur...catalogue" : on hésite à l'attribuer à Miguel ou au chico et dans les deux cas je me pose la question: est-ce que le terme "catalogue" ne détone pas dans le contexte?
Si j'ai écrit des âneries pardonne-moi!
obi- Nombre de messages : 566
Date d'inscription : 24/02/2013
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