Fragments #358, 359, 360, 361
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Fragments #358, 359, 360, 361
Fragment #358 - Tout finira par s'arranger
Evidemment, elle est en retard. Non seulement cette garce m'invite à prendre un café comme si de rien n'était après m'avoir foutu à la porte de chez elle parce que son mec -dont elle m'a caché l'existence- débarque sans prévenir, mais en plus, elle est en retard. Depuis la terrasse du café Beaubourg, je contemple le grand édifice, gigantesque assemblage de tuyaux enchevêtrés. Un automate elfique peint en gris amuse les enfants. C'est son job. Il fait ça tous les jours en échange de quelques pièces de monnaie. Est-ce qu'il ne préfèrerait pas travailler à McDo, lui ? Aucune idée. Je regarde sans le voir un pigeon picorant une flaque de vomi séché.
Laura me rejoint, les joues rougies par le froid.
« Désolée pour le retard, s'excuse-t-elle avec un grand sourire, avant de m'embrasser avec force sur les deux joues, comme si j'étais un bébé. »
Je grogne. Ca va, il fait beau, donc je lui pardonne. Le soleil
de février rend clément. Nous commandons un chocolat chaud et un café, et Laura ôte son foulard et son petit bonnet. Autour du cou, j'ai encore l'écharpe de la grand-mère de Jed. Grâce à elle, je ne tombe plus malade.
« Alors, lance Laura, ça se passe bien dans ton appart ? »
Je lui lance un regard féroce. Sans trop savoir pourquoi. Je ne veux pas être méchant, après tout je m'en fous complètement, puisque j'ai quelque part où dormir et qu'en plus, je n'ai même pas de loyer à payer tout en habitant en Ile-de-France. Mais mon attitude me rend passablement glacial, sans que je puisse m'en empêcher. Comme si tout mon être aspirait à la faire culpabiliser.
« Je suis vraiment désolée, dit-elle tandis qu'on nous amène deux tasses bien brûlantes, accompagnées d'une sévère addition. J'aurais dû te parler avant, c'est vrai. »
Et le pire, dans tout ça, c'est qu'elle semble vraiment désolée. Elle aura été d'une froideur inconcevable tout au long de mon séjour chez elle, et voilà que maintenant elle se montre compatissante, amicale.
« Tu m'en veux vraiment ? demande-t-elle face à mon imperturbable silence. Julian ?
- Mais non, ça va... Comment se porte ton petit ami alors ?
- Il va bien... Il a pas changé. Il est parti trois mois à New York pour son putain de stage -il est en fac de ciné avec moi, il veut être scénariste- et du coup il se la pète comme c'est pas permis.
- Les étudiants en art sont tous un peu comme ça non ? je suggère, entre deux gorgées de café. »
Laura me fusille des yeux.
« Non, moi je suis pas comme ça, réplique-t-elle, acide. Simon c'est particulier, il est tellement pas sûr de lui que ça le rend insupportablement péteux en société.
- Au lit, il est plus naturel, je suppose, il te fait du bien. »
Laura soupire d'agacement, puis sourit.
« Il te vaut très bien, si tu veux tout savoir... J'aime les mecs dont on soupçonne pas le potentiel au premier regard...
- Comment ça on soupçonne pas mon potentiel ?!
- Julian ! Tu as l'air d'un mec tout gentil, tout calme, alors qu'au lit tu deviens une véritable bête sanguinaire !
- « tout gentil, tout calme », tu dis ça parce que tu m'as pas vu en boîte à Rome ou à Londres...
- Avec ta chère « Laetitia », oui... J'aurais bien aimé la rencontrer cette fille.
- Je t'assure que vous vous seriez pas du tout entendue... Laetitia n'aime pas la concurrence des jolies filles dans son champ visuel.
- Merci. Et sinon, tu cherches un autre boulot ou bien tu comptes rester toute ta vie à McDo ?
- J'ai pas beaucoup le temps tu sais...
- Mouais, dis plutôt que tu ne prends pas le temps. »
Je ne réponds rien et détourne les yeux. Ca lui apprendra.
« Ca fait bizarre, hein ? relance-t-elle.
- Quoi ?
- De se retrouver ici, tous les deux.
- Ouais, c'est marrant. Avant j'étais enfermé dans mon petit présent angoissé, je flippais de perdre les gens qui m'entouraient, j'étais tout le temps mal. Si on m'avait dit qu'on se retrouverait comme ça, qu'on s'entendrait si bien - et à Paris en plus ! Ben je sais pas si j'aurais été si possessif, si mal de te voir partir...
- Si malheureux...
- Oui.
- Peut-être qu'on devrait avoir un peu plus confiance en notre avenir, non ? »
Fragment #359 - Je hais la Saint Valentin
Des coeurs partout. Des je t'aime à foison. Rouge piquant, couleur harissa. C'est la fête de l'amour, et je repense à l'an dernier, lorsque j'ai découvert la grossesse de Lola, lorsque notre relation a signé son arrêt de mort. Et puis je lis sa lettre. La première que je reçois enfin. Elle s'excuse pour son retard, elle ne voit pas le temps passer.
Tu m'étonnes...
Et Kokhavah se porte bien. Kokhavah par-ci, Kokhavah par-là. Putain, c'est de ma fille qu'elle parle, et je suis là, et j'existe, vraiment, et ce n'est pas une histoire, ce n'est pas un rêve, je suis à Paris, dans le métro, dans le métro, je vais bosser à McDo et je lis une lettre qui parle de l'enfant que j'ai, quelque part dans ce monde, un être qui vit, qui respire. Un être qui me haïra parce que je n'étais pas là, parce que je n'étais qu'un pauvre con qui n'a pas eu les couilles d'assumer une connerie de jeunesse. Une connerie de jeunesse. C'est ce qui se passera, je le sais. Les enfants ne pardonnent pas. Regardez, moi je suis implacable avec mes parents, je sais que tout vient d'eux, tout ce qui dans ma vie ne va pas, c'est leur faute. Même si ça n'est pas vrai, c'est ce que je me dis. Ca soulage, il faut dire, de se décharger sur eux. Ils sont là pour ça.
Mais eux ils ont choisi de devenir parents. Tu as été désiré.
Et qu'est-ce que je dirai à Kokhavah moi ? « Désolé, je ne t'ai pas désirée... » Comment elle le prendra ?
A ton avis ?
Je prends mon visage entre mes mains et me recroqueville sur le strapontin. Le métro sillonne les galeries souterraines ; des suites de néon, le bruit brinquebalant, des visages anonymes et apathiques tout autour de moi. Et des larmes percent de mes yeux. Des larmes amères qu'il me faut effacer, non, ne pleure pas ici, pas devant eux. Joàn est là devant moi et sèche mes pleurs silencieux, un sourire amical sur le visage. Quelle vie... Entre mon esprit éclaté en mille morceaux, ce bébé, cet amour raté, et McDonald's... Et ça continue, ce grand jeu, ça ne s'arrêtera pas. Un frisson glacé remonte de mes jambes jusqu'à mes poumons. Je presse la lettre contre mon ventre douloureux.
Lorsque j'arrive Place de la République, je tente de me ressaisir. Vite, retrouver une contenance, s'efforcer à sourire. Juliette me parlera de sa vie sexuelle débridée, comme d'habitude.
Et peut-être que le beau Goran, le grillman, me sourira. Des coeurs, des coeurs partout. Des je t'aime à foison. Rouge piquant, couleur harissa.
Je hais la Saint-Valentin.
Fragment #360 – Soirée parisienne
Juliette est toute excitée, parce que ce soir, l'équipe de McDo fait une virée nocturne en boîte. Elle s'amuse à me pincer les fesses pendant que je suis en caisse, et je ronchonne un peu avant de répliquer en attaquant ses tétons. Juliette crie -parce que c'est une fille- et Max vient pour nous engueuler. Je resitue : Max, c'est le manager. Un type insupportable avec une boucle d'oreille en diamant à l'oreille droite, des cheveux ras plein de gel, légèrement redressés sur l'avant. Il porte un costard impeccable, et se montre glacial quand on essaye de le dérider, et jovial dans les moments où l'on a pas envie de rire. Le boulet par excellence. Sauf qu'en plus, c'est lui qui commande, et moi je déteste qu'on me dirige. Au Dionysos, c'était autre chose. J'aimais bien Louis, il avait le don de me remettre à ma place sans me vexer. Avec lui je n'avais pas honte d'être le gamin qui doit tout apprendre de son aîné, car d'un autre côté notre amitié nous plaçait sur le même niveau.
Moui, il y a eu quelques tensions, parfois...
Si tu veux oui, mais c'était plus à cause de nos barrières respectives. Et puis merde, ça n'était pas pareil qu'ici. Même si l'ambiance est sympa, je ne me sens pas à ma place.
Soudain, je vois Juliette lancer une offensive par la gauche avec ses gros doigts boudinés. Je n'ai pas le temps de lui échapper, et ses doigts se referment sur un pli de peau de mon postérieur. Furtivement, je lance un regard en direction du grill que Goran s'applique à nettoyer, espérant qu'il ne voit rien de notre petit manège.
Une fois le boulot terminé, notre équipe se rassemble sur le trottoir. Juliette se remaquille à outrance et me fait des grimaces coquines. Ben fume une cigarette et m'en propose une. C'est un mec très petit, mignon, mais franchement stupide. Pas bien méchant, non, mais il doit avoir le QI d'une drosophyle et ses sujets de conversation ne rejoignent jamais les miens. Nous n'attendons plus que Maalik et Goran, les deux grillmen, qui se font réprimander par Max. Lorsqu'ils arrivent enfin, suivis de notre insupportable manager, Goran me lance un sourire et je me sens fondre comme une glace en plein soleil. Merde, non, qu'est-ce que c'est que ces conneries ?! Hors de question que je flanche pour qui que ce soit. Oh, et puis ce type est vraiment mignon... Mais non. Après Laetitia, je ne veux plus entendre parler de sentiment. L'amour n'existe pas. L'amour n'existe pas.
Alors pourquoi ton coeur bat-il si fort ?
A quelques mètres de là, Joàn me regarde en plissant les sourcils.
« Youhou, Juuulian ? Tu reviens parmi nous ? »
Juliette passe sa main grassouillette devant mes yeux.
« Désolé, je fais, en reprenant mes esprits. On va où ?
- Maalik connait une boîte sympa, il nous emmène en voiture. »
J'acquiesce et suis les autres jusqu'au parking où se trouve la voiture de Maalik. Lui, c'est un grand black, plus âgé que nous. Il doit avoir dans les 27 ou 28 ans. Souvent il s'amuse à nous faire tâter ses muscles d'athlète, et prétend être un champion de boxe américaine. Nous nous entassons tous les cinq à bord de sa voiture, après avoir semé Max en lui laissant croire qu'il pourrait venir aussi. Juliette éclate de rire entre Ben et moi, et sort de son sac à main une bouteille de champagne.
« Surpriiise ! »
Ainsi commence ma première soirée avec l'équipe McDo. J'ai peur, car je suis le nouveau de la bande, parce qu'ils ne savent rien de moi et que j'ai tout à leur prouver. Non, je ne suis pas immature, non, je ne suis pas un gentil petit garçon. Je connais la décadence, l'alcool, la drogue et le sexe. Je connais tout ça. Ne doutez pas de moi...
Bientôt vous me verrez à l'oeuvre, enfant des dieux sur la piste de danse. Vous verrez mon corps fait d'une autre substance que la vôtre se mouvoir parmi les pantins. Samedi soir, c'est l'ivresse à Paris. Les gens sortent, les gens veulent oublier le monde. Peut-être que les gens ne vivent que pour cet instant où ils sortent de leur existence. Mon dieu, qu'avons nous fait de la vie ? Travailler comme des bêtes et ne rêver à qu'à se détruire afin de ne plus y penser.
Etait-ce là ta triste Volonté ?
Fragment #361 - Le retour de l'écriture
L'écriture est revenue. Je l'ai attendue pendant si longtemps, j'avais peur qu'elle ne revienne pas. Mais enfin, ça y est, la revoilà. J'écris partout. Le soir à l'appartement, dans le métro, sur des bancs, ou même à McDo quand j'arrive en avance pour mon service. Juliette trouve que je suis très classe, avec ma veste de dandy, mes cheveux qui bouclent sur ma nuque, la lueur mystérieuse de mon regard acajou, et cette attitude, perdu dans le vague, dans d'autres mondes. Elle adore lire ce que j'écris, même quand ça ne fait qu'une page, même lorsque ça n'est pas terrible. Et elle dit que c'est bien. Je crois qu'elle se fout du style, c'est l'intrigue qui l'intéresse. « Il va se passer quoi, ensuite ? ». J'aime qu'on s'intéresse à ce que je fais. Je n'aime pas cacher ce qui fourmille en moi. C'est un roman de science-fiction, pourrait-on dire, avec quelques petites considérations philosophiques. Toujours ces jeunes gens et leurs pouvoirs étranges. Reliés par un terrible destin. Ils ont des pseudonymes pour passer inaperçus, en fonction de leurs aptitudes surnaturelles : Hypérion, celui qui localise les autres, Bastet, la guérisseuse, Thétis, qui contrôle l'eau, Vulcain, qui génère du feu, Fenrir, et sa force surhumaine, ou Jupiter, l'empathe, le plus puissant de tous... Des dieux antiques revenus à la vie, dans une époque qui ne les attendait pas. .
Et ils ne comprennent pas ce qu'ils font là.
Bien sûr, je me suis inspiré de Nathan, de Lola, Jed, Alexandre ou Déborah. Pourquoi eux ? Qu'est-ce qui me fascine chez eux ? Je l'ignore. Est-ce leur incroyable beauté ? Leur grâce quasi divine, leur charisme ? Je me demande si Nathan a vu la même chose en eux. Ce qui est dingue, c'est que nous ayons flashé sur les mêmes personnes. Coïncidence ? J'ai de plus en plus de mal à croire au destin, même si je continue à utiliser cette excuse pour justifier ce qui relie mes personnages. Plus le temps passe, plus j'ai besoin d'autre chose, de dépasser ça. Depuis que je suis revenu ici, j'essaye d'entrer dans l'ordinateur de Nathan. Il a sans doute tout effacé sur son disque dur avant de partir, mais sait-on jamais ? Si j'arrivais à trouver son mot de passe... Peut-être qu'une piste nouvelle pourrait m'éclairer. Bon sang Nathan, pourquoi es-tu parti si loin ? Ne pouvais-tu pas m'éclairer un peu ? Paris-Dakar... Je veux dédier à ma vie à comprendre ce qui nous relie.
Mais peut-être faut-il rester dans l'ombre pour saisir toute la vérité de la chose. Ne pas éclairer.
Tu crois ?
Est-ce que tu y crois, toi ?
Je ne sais pas.
Alors j'écris.
Samedi 9 février 2008
à Paris
à Paris
Evidemment, elle est en retard. Non seulement cette garce m'invite à prendre un café comme si de rien n'était après m'avoir foutu à la porte de chez elle parce que son mec -dont elle m'a caché l'existence- débarque sans prévenir, mais en plus, elle est en retard. Depuis la terrasse du café Beaubourg, je contemple le grand édifice, gigantesque assemblage de tuyaux enchevêtrés. Un automate elfique peint en gris amuse les enfants. C'est son job. Il fait ça tous les jours en échange de quelques pièces de monnaie. Est-ce qu'il ne préfèrerait pas travailler à McDo, lui ? Aucune idée. Je regarde sans le voir un pigeon picorant une flaque de vomi séché.
Laura me rejoint, les joues rougies par le froid.
« Désolée pour le retard, s'excuse-t-elle avec un grand sourire, avant de m'embrasser avec force sur les deux joues, comme si j'étais un bébé. »
Je grogne. Ca va, il fait beau, donc je lui pardonne. Le soleil
de février rend clément. Nous commandons un chocolat chaud et un café, et Laura ôte son foulard et son petit bonnet. Autour du cou, j'ai encore l'écharpe de la grand-mère de Jed. Grâce à elle, je ne tombe plus malade.
« Alors, lance Laura, ça se passe bien dans ton appart ? »
Je lui lance un regard féroce. Sans trop savoir pourquoi. Je ne veux pas être méchant, après tout je m'en fous complètement, puisque j'ai quelque part où dormir et qu'en plus, je n'ai même pas de loyer à payer tout en habitant en Ile-de-France. Mais mon attitude me rend passablement glacial, sans que je puisse m'en empêcher. Comme si tout mon être aspirait à la faire culpabiliser.
« Je suis vraiment désolée, dit-elle tandis qu'on nous amène deux tasses bien brûlantes, accompagnées d'une sévère addition. J'aurais dû te parler avant, c'est vrai. »
Et le pire, dans tout ça, c'est qu'elle semble vraiment désolée. Elle aura été d'une froideur inconcevable tout au long de mon séjour chez elle, et voilà que maintenant elle se montre compatissante, amicale.
« Tu m'en veux vraiment ? demande-t-elle face à mon imperturbable silence. Julian ?
- Mais non, ça va... Comment se porte ton petit ami alors ?
- Il va bien... Il a pas changé. Il est parti trois mois à New York pour son putain de stage -il est en fac de ciné avec moi, il veut être scénariste- et du coup il se la pète comme c'est pas permis.
- Les étudiants en art sont tous un peu comme ça non ? je suggère, entre deux gorgées de café. »
Laura me fusille des yeux.
« Non, moi je suis pas comme ça, réplique-t-elle, acide. Simon c'est particulier, il est tellement pas sûr de lui que ça le rend insupportablement péteux en société.
- Au lit, il est plus naturel, je suppose, il te fait du bien. »
Laura soupire d'agacement, puis sourit.
« Il te vaut très bien, si tu veux tout savoir... J'aime les mecs dont on soupçonne pas le potentiel au premier regard...
- Comment ça on soupçonne pas mon potentiel ?!
- Julian ! Tu as l'air d'un mec tout gentil, tout calme, alors qu'au lit tu deviens une véritable bête sanguinaire !
- « tout gentil, tout calme », tu dis ça parce que tu m'as pas vu en boîte à Rome ou à Londres...
- Avec ta chère « Laetitia », oui... J'aurais bien aimé la rencontrer cette fille.
- Je t'assure que vous vous seriez pas du tout entendue... Laetitia n'aime pas la concurrence des jolies filles dans son champ visuel.
- Merci. Et sinon, tu cherches un autre boulot ou bien tu comptes rester toute ta vie à McDo ?
- J'ai pas beaucoup le temps tu sais...
- Mouais, dis plutôt que tu ne prends pas le temps. »
Je ne réponds rien et détourne les yeux. Ca lui apprendra.
« Ca fait bizarre, hein ? relance-t-elle.
- Quoi ?
- De se retrouver ici, tous les deux.
- Ouais, c'est marrant. Avant j'étais enfermé dans mon petit présent angoissé, je flippais de perdre les gens qui m'entouraient, j'étais tout le temps mal. Si on m'avait dit qu'on se retrouverait comme ça, qu'on s'entendrait si bien - et à Paris en plus ! Ben je sais pas si j'aurais été si possessif, si mal de te voir partir...
- Si malheureux...
- Oui.
- Peut-être qu'on devrait avoir un peu plus confiance en notre avenir, non ? »
Fragment #359 - Je hais la Saint Valentin
Jeudi 14 Février 2008
à Paris
à Paris
Des coeurs partout. Des je t'aime à foison. Rouge piquant, couleur harissa. C'est la fête de l'amour, et je repense à l'an dernier, lorsque j'ai découvert la grossesse de Lola, lorsque notre relation a signé son arrêt de mort. Et puis je lis sa lettre. La première que je reçois enfin. Elle s'excuse pour son retard, elle ne voit pas le temps passer.
Tu m'étonnes...
Et Kokhavah se porte bien. Kokhavah par-ci, Kokhavah par-là. Putain, c'est de ma fille qu'elle parle, et je suis là, et j'existe, vraiment, et ce n'est pas une histoire, ce n'est pas un rêve, je suis à Paris, dans le métro, dans le métro, je vais bosser à McDo et je lis une lettre qui parle de l'enfant que j'ai, quelque part dans ce monde, un être qui vit, qui respire. Un être qui me haïra parce que je n'étais pas là, parce que je n'étais qu'un pauvre con qui n'a pas eu les couilles d'assumer une connerie de jeunesse. Une connerie de jeunesse. C'est ce qui se passera, je le sais. Les enfants ne pardonnent pas. Regardez, moi je suis implacable avec mes parents, je sais que tout vient d'eux, tout ce qui dans ma vie ne va pas, c'est leur faute. Même si ça n'est pas vrai, c'est ce que je me dis. Ca soulage, il faut dire, de se décharger sur eux. Ils sont là pour ça.
Mais eux ils ont choisi de devenir parents. Tu as été désiré.
Et qu'est-ce que je dirai à Kokhavah moi ? « Désolé, je ne t'ai pas désirée... » Comment elle le prendra ?
A ton avis ?
Je prends mon visage entre mes mains et me recroqueville sur le strapontin. Le métro sillonne les galeries souterraines ; des suites de néon, le bruit brinquebalant, des visages anonymes et apathiques tout autour de moi. Et des larmes percent de mes yeux. Des larmes amères qu'il me faut effacer, non, ne pleure pas ici, pas devant eux. Joàn est là devant moi et sèche mes pleurs silencieux, un sourire amical sur le visage. Quelle vie... Entre mon esprit éclaté en mille morceaux, ce bébé, cet amour raté, et McDonald's... Et ça continue, ce grand jeu, ça ne s'arrêtera pas. Un frisson glacé remonte de mes jambes jusqu'à mes poumons. Je presse la lettre contre mon ventre douloureux.
Lorsque j'arrive Place de la République, je tente de me ressaisir. Vite, retrouver une contenance, s'efforcer à sourire. Juliette me parlera de sa vie sexuelle débridée, comme d'habitude.
Et peut-être que le beau Goran, le grillman, me sourira. Des coeurs, des coeurs partout. Des je t'aime à foison. Rouge piquant, couleur harissa.
Je hais la Saint-Valentin.
Fragment #360 – Soirée parisienne
Samedi 16 février 2008
à Paris
à Paris
Juliette est toute excitée, parce que ce soir, l'équipe de McDo fait une virée nocturne en boîte. Elle s'amuse à me pincer les fesses pendant que je suis en caisse, et je ronchonne un peu avant de répliquer en attaquant ses tétons. Juliette crie -parce que c'est une fille- et Max vient pour nous engueuler. Je resitue : Max, c'est le manager. Un type insupportable avec une boucle d'oreille en diamant à l'oreille droite, des cheveux ras plein de gel, légèrement redressés sur l'avant. Il porte un costard impeccable, et se montre glacial quand on essaye de le dérider, et jovial dans les moments où l'on a pas envie de rire. Le boulet par excellence. Sauf qu'en plus, c'est lui qui commande, et moi je déteste qu'on me dirige. Au Dionysos, c'était autre chose. J'aimais bien Louis, il avait le don de me remettre à ma place sans me vexer. Avec lui je n'avais pas honte d'être le gamin qui doit tout apprendre de son aîné, car d'un autre côté notre amitié nous plaçait sur le même niveau.
Moui, il y a eu quelques tensions, parfois...
Si tu veux oui, mais c'était plus à cause de nos barrières respectives. Et puis merde, ça n'était pas pareil qu'ici. Même si l'ambiance est sympa, je ne me sens pas à ma place.
Soudain, je vois Juliette lancer une offensive par la gauche avec ses gros doigts boudinés. Je n'ai pas le temps de lui échapper, et ses doigts se referment sur un pli de peau de mon postérieur. Furtivement, je lance un regard en direction du grill que Goran s'applique à nettoyer, espérant qu'il ne voit rien de notre petit manège.
Une fois le boulot terminé, notre équipe se rassemble sur le trottoir. Juliette se remaquille à outrance et me fait des grimaces coquines. Ben fume une cigarette et m'en propose une. C'est un mec très petit, mignon, mais franchement stupide. Pas bien méchant, non, mais il doit avoir le QI d'une drosophyle et ses sujets de conversation ne rejoignent jamais les miens. Nous n'attendons plus que Maalik et Goran, les deux grillmen, qui se font réprimander par Max. Lorsqu'ils arrivent enfin, suivis de notre insupportable manager, Goran me lance un sourire et je me sens fondre comme une glace en plein soleil. Merde, non, qu'est-ce que c'est que ces conneries ?! Hors de question que je flanche pour qui que ce soit. Oh, et puis ce type est vraiment mignon... Mais non. Après Laetitia, je ne veux plus entendre parler de sentiment. L'amour n'existe pas. L'amour n'existe pas.
Alors pourquoi ton coeur bat-il si fort ?
A quelques mètres de là, Joàn me regarde en plissant les sourcils.
« Youhou, Juuulian ? Tu reviens parmi nous ? »
Juliette passe sa main grassouillette devant mes yeux.
« Désolé, je fais, en reprenant mes esprits. On va où ?
- Maalik connait une boîte sympa, il nous emmène en voiture. »
J'acquiesce et suis les autres jusqu'au parking où se trouve la voiture de Maalik. Lui, c'est un grand black, plus âgé que nous. Il doit avoir dans les 27 ou 28 ans. Souvent il s'amuse à nous faire tâter ses muscles d'athlète, et prétend être un champion de boxe américaine. Nous nous entassons tous les cinq à bord de sa voiture, après avoir semé Max en lui laissant croire qu'il pourrait venir aussi. Juliette éclate de rire entre Ben et moi, et sort de son sac à main une bouteille de champagne.
« Surpriiise ! »
Ainsi commence ma première soirée avec l'équipe McDo. J'ai peur, car je suis le nouveau de la bande, parce qu'ils ne savent rien de moi et que j'ai tout à leur prouver. Non, je ne suis pas immature, non, je ne suis pas un gentil petit garçon. Je connais la décadence, l'alcool, la drogue et le sexe. Je connais tout ça. Ne doutez pas de moi...
Bientôt vous me verrez à l'oeuvre, enfant des dieux sur la piste de danse. Vous verrez mon corps fait d'une autre substance que la vôtre se mouvoir parmi les pantins. Samedi soir, c'est l'ivresse à Paris. Les gens sortent, les gens veulent oublier le monde. Peut-être que les gens ne vivent que pour cet instant où ils sortent de leur existence. Mon dieu, qu'avons nous fait de la vie ? Travailler comme des bêtes et ne rêver à qu'à se détruire afin de ne plus y penser.
Etait-ce là ta triste Volonté ?
Fragment #361 - Le retour de l'écriture
Mercredi 20 février 2008
à Paris
à Paris
L'écriture est revenue. Je l'ai attendue pendant si longtemps, j'avais peur qu'elle ne revienne pas. Mais enfin, ça y est, la revoilà. J'écris partout. Le soir à l'appartement, dans le métro, sur des bancs, ou même à McDo quand j'arrive en avance pour mon service. Juliette trouve que je suis très classe, avec ma veste de dandy, mes cheveux qui bouclent sur ma nuque, la lueur mystérieuse de mon regard acajou, et cette attitude, perdu dans le vague, dans d'autres mondes. Elle adore lire ce que j'écris, même quand ça ne fait qu'une page, même lorsque ça n'est pas terrible. Et elle dit que c'est bien. Je crois qu'elle se fout du style, c'est l'intrigue qui l'intéresse. « Il va se passer quoi, ensuite ? ». J'aime qu'on s'intéresse à ce que je fais. Je n'aime pas cacher ce qui fourmille en moi. C'est un roman de science-fiction, pourrait-on dire, avec quelques petites considérations philosophiques. Toujours ces jeunes gens et leurs pouvoirs étranges. Reliés par un terrible destin. Ils ont des pseudonymes pour passer inaperçus, en fonction de leurs aptitudes surnaturelles : Hypérion, celui qui localise les autres, Bastet, la guérisseuse, Thétis, qui contrôle l'eau, Vulcain, qui génère du feu, Fenrir, et sa force surhumaine, ou Jupiter, l'empathe, le plus puissant de tous... Des dieux antiques revenus à la vie, dans une époque qui ne les attendait pas. .
Et ils ne comprennent pas ce qu'ils font là.
Bien sûr, je me suis inspiré de Nathan, de Lola, Jed, Alexandre ou Déborah. Pourquoi eux ? Qu'est-ce qui me fascine chez eux ? Je l'ignore. Est-ce leur incroyable beauté ? Leur grâce quasi divine, leur charisme ? Je me demande si Nathan a vu la même chose en eux. Ce qui est dingue, c'est que nous ayons flashé sur les mêmes personnes. Coïncidence ? J'ai de plus en plus de mal à croire au destin, même si je continue à utiliser cette excuse pour justifier ce qui relie mes personnages. Plus le temps passe, plus j'ai besoin d'autre chose, de dépasser ça. Depuis que je suis revenu ici, j'essaye d'entrer dans l'ordinateur de Nathan. Il a sans doute tout effacé sur son disque dur avant de partir, mais sait-on jamais ? Si j'arrivais à trouver son mot de passe... Peut-être qu'une piste nouvelle pourrait m'éclairer. Bon sang Nathan, pourquoi es-tu parti si loin ? Ne pouvais-tu pas m'éclairer un peu ? Paris-Dakar... Je veux dédier à ma vie à comprendre ce qui nous relie.
Mais peut-être faut-il rester dans l'ombre pour saisir toute la vérité de la chose. Ne pas éclairer.
Tu crois ?
Est-ce que tu y crois, toi ?
Je ne sais pas.
Alors j'écris.
Re: Fragments #358, 359, 360, 361
Style alerte, rapide mais pour moi le texte manque parfois de précisions dans le trait et reste superficiel.
Zou- Nombre de messages : 5470
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Re: Fragments #358, 359, 360, 361
Lu, ne commenterai pas vu tes derniers messages au sujet des commentaires avant ton "départ", désolée (mais je sais que tu t'en fiches :-)
Sahkti- Nombre de messages : 31659
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