Chute d'os

De notre envoyée spéciale Aristide Fibula

Caucade le ...

Chers lecteurs,

Nous découvrons, en compagnie d'horreur et stupéfactions, dépêchées sur les lieux par hélicoptère, le deuxième carnage intra-tombal qui s'est produit dans la nuit de vendredi à samedi en plen coeur du week-end.
Deux bandes s'affrontent, voilà plus de cent ans déjà, pour la possession d'une concession située dans l'allée des mimosas très bien exposée sud/sud vue sur mer plein pieds.
Famille Charon contre famille Libitina.
La première dit occuper les carrés A 2025 et B 5075 depuis 1875 date à laquelle Titine la première de la lignée directe, a été enterrée.
La seconde revendique les mêmes places en arguant du fait que Félix, plus âgé que Titine, doit avoir la priorité au regard de son droit d'ainesse.
De plus ces espaces arborés, récemment restaurés par la municipalité, présentent l'avantage de disposer de petits bancs de pierre sur lesquels les familles défuntes peuvent venir prendre un bol d'air vespéral, ce qui n'est pas sans intérêt par les chaleurs qui courent.
Oui mais voilà, les Charon prétendent que les bancs de pierre ont été posés par Annonciation, l'arrière petite nièce par la main gauche de Titine, alors que les Libitina, preuves à l'appui, affirment qu'ils sont issus des carrières de Léopold, gendre de la troisième génération d'un surgeon de Félix.
Qui croire lecteurs ?
Quo vadis ?

Toujours est-il que les gardiens X et Y ont exprimé leur mécontentement :

" On en a marre de trier les os tous les samedis matins, à la fin on ne sait plus qui est qui, ça va faire dans histoires chez les voisins qui commencent à remuer de l'occiput. "

Nous avons poussé l'investigation auprès des propriétaires, voisins directs des Charon et Libitina, l'un d'eux nous précise :

" Tè ça fait plus de cinquante ans que je concessionne ici et j'en ai vu défiler, mais des comme ceuss-là, rarement. Ils profitent de l'obscurité pour sortir et se jeter des ordures dans les pots de fleurs, la dernière fois c'était Yvette, la fille Charon, avec sa grand-mère qui ont déterré des os de chats et les ont fichus dans le pot de bégonia d'Anémie, la fille Libitina. Anémie elle supporte pas les chats, alors elle s'est mise en rogne et comme Yvette déteste la charcuterie, elle en a profité pour déposer sur sa photo des bouts de madame Victoire, la dame de la troisième allée droite nord/nord exposition colline . De fil en anguille ça fait bagarre générale."
" Est-ce que madame Victoire a pu récupérer ses restes ? "
- Bé non, l'autre les a bouffés ".

Voilà qui fait désordre dans ce cimetière chic des hauteurs de notre région si fréquentée par les bons-vivants.
Au-delà de l'anecdote tragique, la journaliste s'interroge sur ce nouveau phénomène de société : la violence dans les nécropoles. Jusqu'où ira cette intolérance, ce racisme fémural ? Qu'attend le gouvernement, et plus particulièrement le ministre de l'iintégration, pour prendre des mesures radiuscales ?

Ces questions resteront-elles, une fois encore, lettres mortes ?
Nous ne le souhaitons pas car il en va de l'avenir de tous nos chers disparus.

Pour conclure mon reportage je dirai avec le poète : " Quid congemis ac fles mortem ? "

Rendez-vous la semaine prochaine pour une enquête terrifiante : les abattoirs à visage humain.

Alors là, j'ai beaucoup, beaucoup aimé (ans doute parce que ça se passe dans un cimetière...) ! Le début, déjà, arrache sec et m'a fait rire :
"Nous découvrons, en compagnie d'horreur et stupéfactions, dépêchées sur les lieux par hélicoptère (...)" Excellente idée de départ.

En outre, je trouve que l'intensité du texte est bien maintenue tout du long ; sans doute n'aurait-il pas fallu essayer d'allonger la sauce, le côté "grosse farce" aurait peut-être été indigeste. L'adresse aux pouvoirs publics, bien que logique, m'a paru un poil "trop".
Le texte, dans l'ensemble, est une réussite selon moi.

J'adore ! C'est plus difficile que ça n'en a l'air et ça change agréablement de la pléthore de textes sur : "dans un bar, la nuit" !
Bravissimo !

J'ai beaucoup aimé ce texte
relevé particulièrement:
"en compagnie d'horreur et stupéfactions"
"De fil en anguille"
"bons-vivants"
" mesures radiuscales"

J'adore le décalage et là particulièrement servi.
Je n'ai vraiment pas de remarques négatives, j'ai trop ri.
Merci beaucoup

Très bon texte, original et bien mené.
J’ai beaucoup aimé les jeux de mots qu’appelle cette situation coquasse : « carnage intra-tombal », « remuer de l'occiput », « Ces questions resteront-elles lettres mortes ? », « l'avenir de tous nos chers disparus », et j’en oublie…
Le témoignage du « voisin » est particulièrement savoureux (à lire…).
Pourquoi pleurer sur sa mort ? Parce qu’on craint d’y retrouver les mêmes querelles que dans la vie…

Quand il tombe un os, chez toi, c'est un os à moelle !
Chapeau, Ba
(tiens, je l'ai même pas fait exprès celle-là !)

Quitte à chuter sur un os, j'aurais préféré que ce fût celui-ci. Un immense bravo, c'est génial, tordu tout comme j'aime !!

Sans rire, tu nous postes un texte sur les abattoirs la semaine prochaine ?

Sans rire

"Pour rire", plutôt...

Il y a vraiment du tout bon dans ce texte, Ba ! Des réflexions amusantes, une manière de raconter faussement distante, un tas d'ingrédients piquants... Hé hé hé je me suis bien marrée, c'est une histoire triste et comique à la fois.

Ceci dit, tu aurais sans doute plus aller plus loin dans la causticité ou l'absurde, voire les deux, mais c'est déjà bien comme ça. Me manque peut-être une légère pointe de vivacité pour parfaire le tout, mais là, je chipote, parce que c'est vraiment très bien comme ça.