La fille de Madame Glenisson
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CROISIC
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La fille de Madame Glenisson
Mes parents viennent de mourir. Accident de voiture. Un comble, mon père, taxi professionnel, a fait des milliers de kilomètres dans sa vie, jamais une faute de conduite, et puis, l’erreur fatale, dans un virage.
Ils sont morts ensemble, comme ils ont vécu.
J’étais leur poupée, leur amour, leur secret.
Pourtant, je n’aimais pas être leur fille.
_ Leur mort est naturelle après une telle chute dans ce ravin.
_ Une autopsie ?
_ Non, une simple recherche d’ADN.
_ Le temps de faire la demande officielle. Nous vous tiendrons au courant.
C’est écrit en caractères noirs et gras, là, sur ce papier offensif.
Le laboratoire G….. confirme, cet ADN n’appartient qu’à moi, je ne le partage pas avec mes parents.
_ Votre mère a peut-être accouché sous X… quoiqu’à l’époque, vous me dites ? 1945 ?
_ Puis-je vous demander pourquoi si tard ?
_ Quoi ?
_ Et bien… ces recherches !
Comprendre.
En 1955, j’avais 10 ans, papa nous a emmenées maman et moi à Royan, là où il travaillait comme chauffeur pendant la guerre. Maman n’était pas d’accord pour faire ce long voyage qui allait lui « faire de la peine » disait-elle.
Je voulais voir la mer. Papa voulait revoir sa jeunesse. Nous sommes partis dans le taxi.
J’étais très excitée, maman coléreuse, papa exaspéré. Le voyage fut long et pénible.
Paris-Royan, combien d’heures à l’époque, dans la vieille Mercedes ?
Nous sommes enfin arrivés à la pension de famille. De la fenêtre de notre chambre je pouvais contempler la mer à mon aise, puisque maman ne voulait pas sortir en dehors des repas que nous prenions dans la salle à manger au rez-de-chaussée. Elle était nerveuse et irascible. Elle pleurait tout le temps.
Tous les matins, papa m’emmenait jouer sur le sable. J’avais remarqué une dame très bien habillée qui marchait d’un pas menu sur la plage en secouant la tête. Elle regardait tous les enfants avec beaucoup d’insistance. Je l’avais trouvé très belle et lorsque j’ai parlé d’elle au déjeuner, un grand silence pesant s’est installé. Maman a suggéré que nous écourtions nos vacances. Papa a dit oui.
Revenus à Paris, ma vie d’écolière m’a fait oublier la belle dame de la plage.
Je m’ennuyais avec mes parents. Eux, s’ennuyaient ensemble, c’était moins triste.
Ils chuchotaient tout le temps et semblaient porter tous les malheurs de la terre.
J’imaginais qu’ils m’avaient kidnappée et que toute cette grisaille autour de nous servait à nous cacher de la police.
Il y a tellement de choses que les enfants ne peuvent comprendre, sous peine de souffrir beaucoup, et qu’ils comprennent sans rien dire ; quitte à porter jusqu’au bout le poids du secret inviolé et… sûrement le désir de sa révélation.
Régulièrement, la belle dame de Royan venait dans mes rêves et m’emmenait dans sa maison au bord de la mer. Lorsque je m’éveillais, troublée et trempée de sueur je descendais à la cave à pas feutrés. Je savais y trouver mon père écrivant, noircissant des pages et des pages qui ne remontaient jamais l’escalier.
Il m’avait demandé de ne pas en parler à maman, qu’un jour je comprendrais.
J’ai fugué. Plusieurs fois. J’ai épousé le père de l’enfant que je portais. J’ai divorcé très vite.
J’ai aimé vieillir. La cinquantaine m’a apporté la sérénité. Je ne voyais plus mes parents qu’aux fêtes incontournables. Je ne supportais plus leurs têtes de chiens abandonnés.
Il y a eu cet accident libérateur.
Mon rêve d’enfance est revenu me visiter.
Je suis allée dans la cave.
J’ai fait procéder à ces tests ADN.
Madame Glenisson,
Je vous envoie des fleurs et cette lettre à l’adresse que j’ai trouvée sur le cahier d’écolier de mon père, votre chauffeur.
Je sais maintenant que vous m’avez cherchée sans relâche, je sais que vous avez reconstruit à l’identique votre maison détruite par les bombardements, celle où mon père, vous a sauvé la vie et pris la mienne.
Je sais que vous n’avez jamais cru à ma mort et que vos courriers adressés à la famille de mon père sont restés lettres mortes.
J’étais le cadeau inespéré qu’il apportait à sa femme. Un nouveau-né.
Une mère qui allait sûrement mourir sous un autre bombardement. Le silence définitif sur un vol inqualifiable.
Je sais que vous êtes la dame du bord de mer… la dame de mes rêves.
Vous allez ouvrir votre porte.
Je suis trop vieille pour devenir votre enfant.
Je veux juste humer votre parfum…
Et sentir le poids de votre regard sur moi.
Ils sont morts ensemble, comme ils ont vécu.
J’étais leur poupée, leur amour, leur secret.
Pourtant, je n’aimais pas être leur fille.
_ Leur mort est naturelle après une telle chute dans ce ravin.
_ Une autopsie ?
_ Non, une simple recherche d’ADN.
_ Le temps de faire la demande officielle. Nous vous tiendrons au courant.
C’est écrit en caractères noirs et gras, là, sur ce papier offensif.
Le laboratoire G….. confirme, cet ADN n’appartient qu’à moi, je ne le partage pas avec mes parents.
_ Votre mère a peut-être accouché sous X… quoiqu’à l’époque, vous me dites ? 1945 ?
_ Puis-je vous demander pourquoi si tard ?
_ Quoi ?
_ Et bien… ces recherches !
Comprendre.
En 1955, j’avais 10 ans, papa nous a emmenées maman et moi à Royan, là où il travaillait comme chauffeur pendant la guerre. Maman n’était pas d’accord pour faire ce long voyage qui allait lui « faire de la peine » disait-elle.
Je voulais voir la mer. Papa voulait revoir sa jeunesse. Nous sommes partis dans le taxi.
J’étais très excitée, maman coléreuse, papa exaspéré. Le voyage fut long et pénible.
Paris-Royan, combien d’heures à l’époque, dans la vieille Mercedes ?
Nous sommes enfin arrivés à la pension de famille. De la fenêtre de notre chambre je pouvais contempler la mer à mon aise, puisque maman ne voulait pas sortir en dehors des repas que nous prenions dans la salle à manger au rez-de-chaussée. Elle était nerveuse et irascible. Elle pleurait tout le temps.
Tous les matins, papa m’emmenait jouer sur le sable. J’avais remarqué une dame très bien habillée qui marchait d’un pas menu sur la plage en secouant la tête. Elle regardait tous les enfants avec beaucoup d’insistance. Je l’avais trouvé très belle et lorsque j’ai parlé d’elle au déjeuner, un grand silence pesant s’est installé. Maman a suggéré que nous écourtions nos vacances. Papa a dit oui.
Revenus à Paris, ma vie d’écolière m’a fait oublier la belle dame de la plage.
Je m’ennuyais avec mes parents. Eux, s’ennuyaient ensemble, c’était moins triste.
Ils chuchotaient tout le temps et semblaient porter tous les malheurs de la terre.
J’imaginais qu’ils m’avaient kidnappée et que toute cette grisaille autour de nous servait à nous cacher de la police.
Il y a tellement de choses que les enfants ne peuvent comprendre, sous peine de souffrir beaucoup, et qu’ils comprennent sans rien dire ; quitte à porter jusqu’au bout le poids du secret inviolé et… sûrement le désir de sa révélation.
Régulièrement, la belle dame de Royan venait dans mes rêves et m’emmenait dans sa maison au bord de la mer. Lorsque je m’éveillais, troublée et trempée de sueur je descendais à la cave à pas feutrés. Je savais y trouver mon père écrivant, noircissant des pages et des pages qui ne remontaient jamais l’escalier.
Il m’avait demandé de ne pas en parler à maman, qu’un jour je comprendrais.
J’ai fugué. Plusieurs fois. J’ai épousé le père de l’enfant que je portais. J’ai divorcé très vite.
J’ai aimé vieillir. La cinquantaine m’a apporté la sérénité. Je ne voyais plus mes parents qu’aux fêtes incontournables. Je ne supportais plus leurs têtes de chiens abandonnés.
Il y a eu cet accident libérateur.
Mon rêve d’enfance est revenu me visiter.
Je suis allée dans la cave.
J’ai fait procéder à ces tests ADN.
Madame Glenisson,
Je vous envoie des fleurs et cette lettre à l’adresse que j’ai trouvée sur le cahier d’écolier de mon père, votre chauffeur.
Je sais maintenant que vous m’avez cherchée sans relâche, je sais que vous avez reconstruit à l’identique votre maison détruite par les bombardements, celle où mon père, vous a sauvé la vie et pris la mienne.
Je sais que vous n’avez jamais cru à ma mort et que vos courriers adressés à la famille de mon père sont restés lettres mortes.
J’étais le cadeau inespéré qu’il apportait à sa femme. Un nouveau-né.
Une mère qui allait sûrement mourir sous un autre bombardement. Le silence définitif sur un vol inqualifiable.
Je sais que vous êtes la dame du bord de mer… la dame de mes rêves.
Vous allez ouvrir votre porte.
Je suis trop vieille pour devenir votre enfant.
Je veux juste humer votre parfum…
Et sentir le poids de votre regard sur moi.
Re: La fille de Madame Glenisson
Eh bien voilà qui répond admirablement à toutes nos questions sur la nouvelle précédente "Madame Glénisson"
La boucle est bouclée, le mystère levé et la lectrice que je suis ravie !
Merci j'ai lu le tout avec un réel plaisir !
La boucle est bouclée, le mystère levé et la lectrice que je suis ravie !
Merci j'ai lu le tout avec un réel plaisir !
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: La fille de Madame Glenisson
Je l'ai fait pour toi Rebecca... et ne regrette rien.
Ce fut un excellent exercice et j'en ai bien besoin.
Ce fut un excellent exercice et j'en ai bien besoin.
Re: La fille de Madame Glenisson
Il faudrait tourner la page des souvenirs, Croisic, et mettre ton talent au service d'autre chose. Tu n'es pas encore à l'âge où l'on ne fait plus que se remémorer le passé mais à celui où le meilleur de la vie commence à peine.
Enfin, c'est mon avis. J'ai vraiment envie de te lire dans un autre registre.
Enfin, c'est mon avis. J'ai vraiment envie de te lire dans un autre registre.
Plotine- Nombre de messages : 1962
Age : 81
Date d'inscription : 01/08/2009
Re: La fille de Madame Glenisson
Ça boucle bien l'histoire, qui restait un peu inachevée auparavant. Une romancière en herbe se révèle...
Le ton du récit me paraît juste, allant à l'essentiel, élusif comme il faut.
Le tout me paraît très réussi, bravo !
Le ton du récit me paraît juste, allant à l'essentiel, élusif comme il faut.
Le tout me paraît très réussi, bravo !
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 66
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: La fille de Madame Glenisson
Des exercices comme celui-là, j'en lirais bien tous les jours !Ce fut un excellent exercice et j'en ai bien besoin
Le premier texte m'avait échappé, j'ai relu l'ensemble et tout se tient parfaitement. De belles images des plages de Royan, un style sans fioritures et des personnages qui ont de l'épaisseur même sur du très court comme ici. J'ai beaucoup aimé.
Re: La fille de Madame Glenisson
Ce que j'aime particulièrement dans ce texte - et il me semble l'avoir remarqué ailleurs sous ta plume- c'est cette façon de ne pas appuyer, de ne pas démontrer, expliquer mais bien au contraire de laisser le lecteur reconstruire l'histoire, recoller les bouts du puzzle en le guidant subtilement à l'aide de quelques éléments essentiels et adroitement informatifs.
Sur le fond, bien sûr que le texte me plaît, mais vraiment, une fois encore, c'est la forme qui ici m'a arrêtée. Bien joué, très bien joué.
Sur le fond, bien sûr que le texte me plaît, mais vraiment, une fois encore, c'est la forme qui ici m'a arrêtée. Bien joué, très bien joué.
Invité- Invité
Re: La fille de Madame Glenisson
Imprévu mais finalement nécessaire, sobre et efficace sans altérer la sensibilité, simple sans être simpliste, bravo
Invité- Invité
Re: La fille de Madame Glenisson
Ce texte, CROISIC, pourrait être le début de l’histoire que tu nous racontais dans « Madame Glenisson », et que tu nous aurais caché sciemment, pour nous faire imaginer, réfléchir sur tous les détails, ce qu’ont fait tes lecteurs dans leurs commentaires…
Ce pourrait être un jeu, un exercice : voici la fin d’une histoire, reconstituez le début.
C’est formidablement bien agencé, c’est du vrai talent de romancière et ton style concis, un peu elliptique sert parfaitement cette douloureuse histoire. Merci du plaisir ressenti.
Ce pourrait être un jeu, un exercice : voici la fin d’une histoire, reconstituez le début.
C’est formidablement bien agencé, c’est du vrai talent de romancière et ton style concis, un peu elliptique sert parfaitement cette douloureuse histoire. Merci du plaisir ressenti.
Invité- Invité
Re: La fille de Madame Glenisson
Je suis rouge de plaisir.
Vous avez compris que j'aimais relever des défis. Merci encore à Rebecca.
Les "autres" que j'aime tant, c'est beaucoup grâce à vous, si...
Plotine... je vais essayer autre chose que l'enfance - triste ou gaie - tu n'avais pas trop apprécié mon texte, Une bien belle journée... Je suis preneuse pour une idée/sujet !
Vous avez compris que j'aimais relever des défis. Merci encore à Rebecca.
Les "autres" que j'aime tant, c'est beaucoup grâce à vous, si...
Plotine... je vais essayer autre chose que l'enfance - triste ou gaie - tu n'avais pas trop apprécié mon texte, Une bien belle journée... Je suis preneuse pour une idée/sujet !
Re: La fille de Madame Glenisson
Le lecteur est content que le rêve touche la réalité sans se briser.
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: La fille de Madame Glenisson
...Je m’ennuyais avec mes parents. Eux, s’ennuyaient ensemble, c’était moins triste...
...Il y a tellement de choses que les enfants ne peuvent comprendre, sous peine de souffrir beaucoup, et qu’ils comprennent sans rien dire ; quitte à porter jusqu’au bout le poids du secret inviolé et… sûrement le désir de sa révélation...
Rien que ce passage, déjà !
C'est finement écrit, on peut comprendre la fille de Madame Glenisson, son besoin de vérité porté tant d'années, le secret tenu serré par les parents, le malaise des uns et des autres. La libération soudaine et la tentative pour comprendre, pour savoir enfin... Tout ça sonne juste à mon oreille et j'admire.
J'admire la simplicité de la narration et sa clarté. Je me rappelle un de mes profs au lycée qui répétait : soyez clairs, soyez simples : "ce qui se conçoit bien..."
Bravo Croisic, c'est avec un grand plaisir que je me suis attardée à rêver sur cette vie !
...Il y a tellement de choses que les enfants ne peuvent comprendre, sous peine de souffrir beaucoup, et qu’ils comprennent sans rien dire ; quitte à porter jusqu’au bout le poids du secret inviolé et… sûrement le désir de sa révélation...
Rien que ce passage, déjà !
C'est finement écrit, on peut comprendre la fille de Madame Glenisson, son besoin de vérité porté tant d'années, le secret tenu serré par les parents, le malaise des uns et des autres. La libération soudaine et la tentative pour comprendre, pour savoir enfin... Tout ça sonne juste à mon oreille et j'admire.
J'admire la simplicité de la narration et sa clarté. Je me rappelle un de mes profs au lycée qui répétait : soyez clairs, soyez simples : "ce qui se conçoit bien..."
Bravo Croisic, c'est avec un grand plaisir que je me suis attardée à rêver sur cette vie !
Invité- Invité
Re: La fille de Madame Glenisson
Le dialogue du début, à propos de l'ADN, n'est peut-être pas tout le temps très clair; on ne sait pas trop qui parle à qui. il suffirait de peu, je pense, un ou deux mots, pour changer cela.
Je trouve également qu'au centre du texte, le rythme a tendance à s'affoler, quitte à éluder certaines parties alors que tu prends pourtant le temps, avant, de détailler l'histoire, ce qui apporte un plus à l'atmosphère générale.
Il me semble aussi que la fin vire un peu au pathos et que tout n'est pas indispensable dans cette lettre.
Bref, si je reste sous le charme de ton écriture que j'aime bien Croisic, ce texte me paraît plus faible que d'autres, moins abouti au niveau de sa structure et de la profondeur des personnages. Pourtant, tout est là, pas bien loin, il suffirait de peu.
Je trouve également qu'au centre du texte, le rythme a tendance à s'affoler, quitte à éluder certaines parties alors que tu prends pourtant le temps, avant, de détailler l'histoire, ce qui apporte un plus à l'atmosphère générale.
Il me semble aussi que la fin vire un peu au pathos et que tout n'est pas indispensable dans cette lettre.
Bref, si je reste sous le charme de ton écriture que j'aime bien Croisic, ce texte me paraît plus faible que d'autres, moins abouti au niveau de sa structure et de la profondeur des personnages. Pourtant, tout est là, pas bien loin, il suffirait de peu.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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