SPORT: All Ireland ou rien!

Devant l'ancienne prison de Kilkenny, 12 septembre 2004
Un homme et une femme imaginent les supplices infligés aux personnes qui ont côtoyé ces lieux, un jour ou l'autre. La conversation est orientée vers l'histoire de la ville. Et c'est alors que...

- (Elle) Avec qui tu tiens?
- (Lui) Hein?
- (Elle) Avec quelle équipe tu tiens?
- (Lui) Tenir quoi?
- (Elle) Ben... au hurling malin!
- (Lui) Hurling? Quel hurling?
- (Elle) De bleu, t'as pas vu tous les drapeaux partout?
- (Lui) Ha oui... je croyais que c'était pour décorer la ville moi
- (Elle) C'est ça, pour fêter notre arrivée ici...
- (Lui) C'est quoi le hurling?
- (Elle) Sport national
- (Lui) Ho... du sport...
- (Elle) Ben ouais!
- (Lui)....
- (Elle) Alors?
- (Lui) Alors quoi?
- (Elle) Tu tiens avec qui?
- (Lui) J'en sais rien moi! Qui c'est qui joue?
- (Elle) Cork contre Kilkenny, la grande finale de All Ireland!
- (Lui) Ha... je sais pas... Cork
- (Elle) Heu.... te rappelle qu'on est à Kilkenny juste là à l'instant présent et...
- (Lui) Et quoi?
- (Elle) Rien. Juste que si tu tiens avec Cork, faut peut-être pas le crier sur tous les toits
- (Lui) Mais c'est toi qui me demande de choisir!
- (Elle) Je demande rien, ho! Juste avec qui tu tiens!
- (Lui) Bon sang, je m'en fous du hurling!

Les mêmes. Cimetière de Kilkenny. Une heure plus tard. Longue dissertation sur les tours rondes, les pilleurs de villages et les difficulté à faire rentrer toute une population via une simple échelle et une ouverture aussi haute.

- (Elle) Tout de même, je me demande qui va gagner
- (Lui) Gagner quoi?
- (Elle) Ce soir
- (Lui) Y a quoi ce soir?
- (Elle) Le hurling!
- (Lui) Mais on s'en fout!
- (Elle) Non on s'en fout pas! T'as pas vu tout à l'heure sur la route toutes les bagnoles avec des drapeaux de Cork?
- (Lui) Quel rapport?
- (Elle) Sont plus nombreux!
- (Lui) Ça arrive
- (Elle) Oui mais si ils gagnent!
- (Lui) Quoi?
- (Elle) Ça va peut-être bastonner
- (Lui) Parce que tu crois que les gars de Cork vont se pointer ici ce soir?! Non, mais ça va pas bien toi, je trouve
- (Elle) Ça doit être à cause du chien
- (Lui) Quel chien?
- (Elle) Celui de tout à l'heure
- (Lui) La mocheté couleur crème qui arrêtait pas d'aboyer?
- (Elle) Il était pas moche d'abord! Et puis je suis sûre qu'il était abandonné
- (Lui) Je comprendrais ça! Quelle horreur
- (Elle) T'es vraiment vache! Pauvre bête...
- (Lui) Et toi, ça tourne pas rond du chapeau! On dirait que t'as des alouettes dans la tête.

Silence total. L'un et l'autre déambulent dans la rue principale, muets et boudeurs. Un semblant de galerie commerçante aux boutiques closes distille une musique au kilomètre que Barbara Cartland ne renierait pas.

- (Lui) Dis donc, c'est ville morte!
- (Elle) C'est dimanche
- (Lui) Oui mais tout de même
- (Elle) Et puis ils se réservent pour ce soir
- (Lui) Quoi ce soir?
- (Elle) De bleu! Le hurling! Tu le fais exprès ou bien?!
- (Lui) P... puisque je te dis que je me fiche de ça!!
- (Elle) T'aimes rien, t'es qu'un rabat-joie
- (Lui) Non mais ça va pas?
- (Elle) D'ailleurs je me tire
- (Lui) C'est ça, c'est ça... Tu vas reprendre l'avion?
- (Elle) Ben non... c'est toi qui a les clés de la voiture... Je vais à l'hôtel. Je regarderai le match dans la chambre à la télé
- (Lui) Pas question que je regarde la finale du sport à la télé dans une chambre d'hôtel! On est en vacances bon sang!
- (Elle) Fais comme tu veux, ça m'est égal
- (Lui) Je vais boire un coup, me poser dans un pub
- (Elle) T'y échapperas pas là non plus
- (Lui) A quoi?
- (Elle) Au hurling, pardi!
- (Lui) Rhôôô saleté de truc! Vous m'emm... tous avec votre hurling!

Passablement énervé, l'homme pénètre dans le premier pub ouvert qu'il trouve et hurle à la cantonade: Vive Cork! Puis sort en claquant la porte.
Médusée, elle le regarde...

- (Elle) Ha ça c'est malin...
- (Lui) C'est ta faute aussi!

Leurs yeux se croisent. Silence, hésitation puis chacun éclate de rire.

- (Lui) Tu cours vite?
- (Elle) Non, pas trop
- (Lui) Ben va falloir!

Personne n'a quitté la chambre d'hôtel ce soir-là...


PS1: Cork l'a emporté devant Kilkenny. Le lendemain matin, la ville avait la tête des mauvais jours

PS2: Ce texte est en partie fictif. L'un et l'autre ont suivi la finale. Au pub. Et même que lui, il tenait vraiment pour Cork.

j'aime bien ton texte sahkti!! :-))))

Y a pas à dire, des dialogues plus vrais que nature, avec un rien d 'absurde comme j'aime et qui installe une ambiance, une couleur.
Bref on s'y croirait et puis en pointillé un renvoi à la triste réalité (le dernier match de championnat de foot en Italie) de ce que peut parfois être le sport aussi ;-(
Bref bien ficelé et up to date ;-)

très bonne vision du sport et de son importance dans la vie des gens c'est tellement vrai qu'il n'y a rien à ajouter

J'ai eu peur au début... que ça s'enlise dans quelque chose de morne..
Et puis la répétition de la scène de dialogue dans des conditions différentes donne de la valeur à ceux-ci: l'intérêt du texte se bonifie en avancant.

Il m'a fait sourire ce texte. De belles expressions.
"une musique que Barbara Cartland ne renierait pas", c'est drôle!

J'aime bien aussi, ça sonne gai, vrai ... Mais c'est quoi le hurling !?! :-)

Alors le hurling... c'est un sport qui se joue depuis très longtemps en Irlande et qui est élevé au rand de sport national. Pour faire court, je dirais que ça ressemble à du hockey sur gazon (pour le jeu) mélangé à du rugby (pour le but à marquer avec la balle).
Deux équipes de 15, une crosse (le hurley) pour chaque joueur et une balle qu'il faut faire passer au-dessus d'une barre située entre deux poteaux.

aaah ! le hurling, ce n'est donc pas jouer au curling après avoir fumé du h !

ok, c'est nul... mais bon, suis fatigué ;-)

Les dialogues fonctionnent bien, et Aegis a raison, le changement de décors et les indications entre deux scènes permettent d'échapper à une certaine monotonie. Le décalage entre les deux personnages prête à sourire et en même temps, la complicité est là, partout entre les lignes.
J'aurais peut-être aimé que tu allèges parfois, l'épisode du chien n'apporte, par exemple, pas grand chose et ne semble être là que pour répondre à la liste de contraintes.

J'ai eu du mal à saisir au début, mais ça doit être parce que j'ai le cerveau en compote
Ce que j'ai apprécié dans ton texte, c'est sa vie.
Je m'explique: avec tes didascalies, quand je lisais les dialogues je m'imaginais la scène mentalement comme si je regardais un film et je trouve que ça enrichit vraiment les dialogues de planter un décor concret justement. Ca l'ancre dans l'espace.

J'aime bien me dire que c'est auto-biographique, ça rend encore plus vivant. ;-)
Bons les dialogues. Ca sent le vrai, l'exaspération qui monte, et au fait : merci pour les explications sur ce sport !
"Tenir avec", c'est une expression que je ne connaissais pas mais qui se comprend bien.
J'aime beaucoup ce texte Sahkti.

Les dialogues fonctionnent bien, tu recrées aussi l'ambiance, et donc c'est réussi. Petit bémol par rapport aux contraintes : on voit les supporters mais que tu ne parles pas vraiment directement du sport. Ce qui n'est pas bien grave car le texte est vraiment très plaisant.