La vie est ailleurs

Je voulais t’expliquer ô mon petit poète
Que la simplicité que tu trouves trop bête
Est pourtant le terreau d’où tes mots doivent sourdre,
Loin des roses, des fards, des rimmels et des poudres.

Je te vois tant et tant courir après le vent
Déclamer les longs vers des poètes d’avant
Astiquer les vernis de cette forme usée,
Compter chaque syllabe, et la phrase usinée

Proposer au lecteur que ce souffle de vie
Se réduise à errer parmi ce blanc parvis...
Crois-tu que le bonheur se cache au coin des rimes
Comme un oiseau niché dans les plus hautes cimes ?

Je vois d’ici ta chambre aux fenêtres fermées
Gueule d’ombre fétide où les lèvres aimées
N’ont jamais bourdonné ces doux airs printaniers,
Que ta plume nous dit dans tes vers remaniés.

Ta chambre, bon poète est un Capharnaüm
De linge abandonné : c’est une chambre d’homme
Où git dans les couverts, le reste d’un repas,
Des feuilles chiffonnées et des livres épars.

Le papier peint fleuri qui recouvre les murs,
Trahit que ça et là le plâtre s’est jauni,
Où sont les cieux nouveaux et les univers purs
Que ton esprit fertile imagina la nuit ?

......Un côté XIXè siècle qui ne me déplaît pas. En prime un bref et parlant tableau de la chambre de garçon. Vous nous laissez pénétrer un instant les tortures de l'homo fa vers. Tendre et nue métafiction.

Juste une observation: à
Astiquer les vernis de cette forme usée,
Compter chaque syllabe, et la phrase usinée
j'aurais plutôt vu une infinitive (astiquer/compter/usiner)
avec tant pis pour la rime pour l'oeil.

Une suggestion à propos de la fausse rime (repas / épars):
De linge abandonné : c’est une chambre d’homme
Où git dans les couverts, le reste d’un repas,
Des feuilles chiffonnées et des livres épars.

Où git dans les couverts, le reste d’un repas,
Des feuilles chiffonnées, des livres sous le pas.

et pourquoi ne pas régler le problème du gît qui vaut pour le reste mais pas pour la suite:

Où gisent des couverts, le reste d’un repas,
Des feuilles chiffonnées, des livres sous le pas.

http://www.onesttousdesartistes.tv/histoire-art/le-pauvre-poete-carl-spitzweg

Merci pour la lecture.

Pas trop d'accord avec qq remarques / propositions précédemment formulées et notamment "usinées" par "usiner" (le sens est changé me semble-t-il).

Merci Arielle. Il y a bien du XIXè s., c'est l'aspect "poète mouillé" (avant le poète engagé...).

Au passage sur ce tableau j'aime bien la dominance des ocres, ils confèrent une tonalité lumineuse qui transmute la misère représentée par le noir du parapluie (qui protège des pluies noires? -cf. ma théorie sur le soleil noir et les fumées industrielles du XIXè s. d'ailleurs au parapluie répond le noir du poêle...).

J'aime beaucoup ce texte, avec un petit bémol pour la dernière strophe : trop de "qui - que" à mon goût.

Peut-être une formulation de ce genre :

Le papier peint fleuri recouvrant les murs, (enlever le qui)
Trahit ça et là le plâtre jauni,
Où sont les cieux nouveaux et les univers purs
Que ton esprit fertile imagina la nuit ?


Mais ça n'en reste pas moins un très beau texte...

D'un pur classicisme dans la forme et le propos. On peut s'en satisfaire, apprécier même, et j'apprécie la fluidité de l'ensemble mais j'aimerais être étonnée au détour d'un vers et sortie, malgré moi, de cette belle image...

J'ai beaucoup aimé les deux premières strophes, moins les dernières avec ce passage sur la chambre du poète...
Y a-t-il une référence au livre de Kundera ou le rapprochement entre les titres est-il un pur hasard?

non c'est une pure coïncidence par rapport au titre de ce livre que je me rappelle avoir lu ado,

Un crayon et du papier suffisent à se créer un univers qui fait oublier les tristes décors et les gamelles vides.

Une lecture qui m'a séduite par sa simplicité.

Être poète n'est-il pas d'inventer avec des mots un univers plus beau que le sien...pour rompre souvent la monotonie de la vie quotidienne.
J'ai bien apprécié ce texte.
Je bloque cependant sur ``petit poète`` bon poète`` qui me semble un peu condescendant mais bon...

Quand on aime, on ne compte pas. Cela ne rime à rien.
J'aime.

Amusant et bien enlevé.
Bravo Arielle pour nous avoir découvert ce tableau.
Le poème en est il une illustration, ou bien est ce une rencontre de hasard?

Moi j'aime beaucoup.

Isis30

isis30 a écrit:Moi j'aime beaucoup.
Isis30

Le tableau ou bien le texte de NZenou ?

...ou bien les deux ?

J'apprécie l'harmonie de l'ensemble, la prosodie respectée à la lettre. Mais peut-être est-ce trop sage, trop classique dans la forme pour emporter pleinement mon adhésion.

Ce poème très bien écrit correspond, après tout , à la littérature qu'il critique . Alfred de Musset n'aurait pas mieux dit.

Comment expliquer simplement les "travers" du poète. Est-ce de l'auto-dérision ?
Peu encline à pénétrer la poésie classique, je me suis là, régalée, merci.

en réponse à Marvejols,
pour le

épars et repas qui ne riment pas je l'avais fait exprès:
je voulais symboliser avec ces anagrammes le désordre de la pièce où vit le poète,
en "secouant les lettres" epars / repas