Folie monochrome
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Folie monochrome
C'est peut-être un peu tôt pour déjà poster un texte ici, moi qui ne suis parmi vous que depuis deux jours (?). Tant pis, j'avais envie d'apporter contribution. En vous souhaitant une bonne lecture !
Folie monochrome
Pitoyable, pensa-t-elle.
Vraiment, vraiment, vraiment pitoyable.
Elle est en colère. Ça ne lui arrive pas souvent – pour ainsi dire jamais – mais là, elle ne peut plus contenir cette rage, mêlée de honte, d’un sentiment de trahison et d’un bouillant désir de vengeance.
Les mots, ces mots, ses mots, dans sa tête, n’arrêtent pas leur course folle.
Ces mots. Dégueulasses, haïs, fourbes et violents.
Ses mots. Pour se donner bonne conscience, ou une contenance ; pour rien, en fait…
Les mots, ceux qui mentent tellement bien qu’ils se fichent dans le mille du coeur.
Des mots tellement lamentables, tellement bas qu’elle en tremble des pieds à la tête, adossée au mur, les genoux contre sa poitrine.
S’il pouvait la voir, il jubilerait. Elle parie qu’il se délecte rien qu’en l’imaginant : il faudra qu’elle se prépare à faire bonne figure, à ne pas prêter attention, à ne pas prêter à confusion, à rester digne et surtout à ne pas rosir.
Elle s’assied devant son chevalet. Une large toile lui offre un fond ocre orangé, peint la veille.
Elle se tourne vers le tabouret de plastique qui supporte tout son matériel. Elle saisit sa palette, qui porte de multiples reliefs colorés : peignant d’accoutumée jusqu’à l’épuisement, elle lave rarement son outil. D’un tube de carmin qu’elle débouche adroitement coule un filet liquoreux. Puis vient un jaillissement ambré, quelques giclées d’azur, et elle empoigne d’une main décidée l’un des pinceaux.
Déplorable, navrant, détestable. Scandaleux, tout de même !
Le pinceau va et vient, tantôt flavescent, tantôt céruléen, liant les couleurs, les formes, les sentiments.
Une explosion de larmes brouille sa vue depuis un bon moment, elle barbouille à l’aveuglette, le nez rouge et la bouche bougeant à peine, dans une respiration qui siffle, filtrée par ses dents étroitement serrées.
En fait, il n’avait tout simplement pas le droit. Elle gueule à sa toile cet éclair de génie, cette putain d’injustice.
Il lui faudrait bien plus que trois heures de peinture pour calmer ses pulsions mortifères.
Lorsqu’elle ramena trop vivement le pinceau à elle, une balafre saumon vint rencontrer la laine améthyste de son pull-over. Elle avait oublié d’enfiler sa blouse.
Elle arrêta net son geste, ses renâclements, ses larmes.
Elle contempla dans un silence glacé la longue bavure.
Puis tout se précipita.
Elle se leva prestement, posa tout en vrac sur le pauvre tabouret. Tout en ne cessant de maugréer des qualificatifs tous plus douteux les uns que les autres, elle ferma les trois volets de la pièce, ôta son pull et son t-shirt, défit son pantalon, enleva adroitement ses sous vêtements. Puis elle retourna auprès de ses peintures.
On lui avait offert cette teinte indigo dont elle ne s’était jamais servie, un pot suffisamment grand. Elle soupesa et toisa un moment, accroupie, le lourd cylindre. Une fois le couvercle dévissé, elle plongea la main dans l’ouverture béante et fit jouer ses doigts au dessus du réceptacle, la peinture visqueuse dégoulinant par paquets et s’écrasant mollement dans la masse d’un bleu profond.
Le premier incident, une goutte de couleur sur une de ses cuisses, déclencha le mouvement. Ses jambes furent bientôt totalement recouvertes du pigment, non sans maculer généreusement les papiers journaux protégeant le sol de l’artiste habitué.
Sa folie monochrome l’envahi bientôt toute entière. Elle laissa seulement deux pointes rose foncé émerger de la silhouette assombrie.
Le miroir accueilli enfin son reflet.
« On dirait une ombre », pensa-t-elle.
C’était une réponse possible. Il suffirait de n’être plus que cela, avec lui. Une ombre. Inaperçue, sans saillie et sans brèche. Un être lisse sur lequel l’autre ne trouve rien à quoi se raccrocher. Une pellicule glissante faisant échouer toute tentative de percée vers l’individu qui se cache en dessous.
D’ailleurs, existe-t-elle encore, après cela ?
Ne se résume-t-elle pas juste à cet objet ténébreux qui lui fait face dans la presque obscurité ?
Ses larmes se sont arrêtées de couler, ses cheveux tombent en pagaille le long de son dos, la couleur les contamine alors.
Elle se tourne le dos, demi-tour sur ses journaux. Son corps s’allonge tout près du radiateur, ses yeux se ferment, sa respiration se fait lente.
Demain, la colère passée, sa haine refoulée, la peinture craquellera son corps défait.
Folie monochrome
Pitoyable, pensa-t-elle.
Vraiment, vraiment, vraiment pitoyable.
Elle est en colère. Ça ne lui arrive pas souvent – pour ainsi dire jamais – mais là, elle ne peut plus contenir cette rage, mêlée de honte, d’un sentiment de trahison et d’un bouillant désir de vengeance.
Les mots, ces mots, ses mots, dans sa tête, n’arrêtent pas leur course folle.
Ces mots. Dégueulasses, haïs, fourbes et violents.
Ses mots. Pour se donner bonne conscience, ou une contenance ; pour rien, en fait…
Les mots, ceux qui mentent tellement bien qu’ils se fichent dans le mille du coeur.
Des mots tellement lamentables, tellement bas qu’elle en tremble des pieds à la tête, adossée au mur, les genoux contre sa poitrine.
S’il pouvait la voir, il jubilerait. Elle parie qu’il se délecte rien qu’en l’imaginant : il faudra qu’elle se prépare à faire bonne figure, à ne pas prêter attention, à ne pas prêter à confusion, à rester digne et surtout à ne pas rosir.
Elle s’assied devant son chevalet. Une large toile lui offre un fond ocre orangé, peint la veille.
Elle se tourne vers le tabouret de plastique qui supporte tout son matériel. Elle saisit sa palette, qui porte de multiples reliefs colorés : peignant d’accoutumée jusqu’à l’épuisement, elle lave rarement son outil. D’un tube de carmin qu’elle débouche adroitement coule un filet liquoreux. Puis vient un jaillissement ambré, quelques giclées d’azur, et elle empoigne d’une main décidée l’un des pinceaux.
Déplorable, navrant, détestable. Scandaleux, tout de même !
Le pinceau va et vient, tantôt flavescent, tantôt céruléen, liant les couleurs, les formes, les sentiments.
Une explosion de larmes brouille sa vue depuis un bon moment, elle barbouille à l’aveuglette, le nez rouge et la bouche bougeant à peine, dans une respiration qui siffle, filtrée par ses dents étroitement serrées.
En fait, il n’avait tout simplement pas le droit. Elle gueule à sa toile cet éclair de génie, cette putain d’injustice.
Il lui faudrait bien plus que trois heures de peinture pour calmer ses pulsions mortifères.
Lorsqu’elle ramena trop vivement le pinceau à elle, une balafre saumon vint rencontrer la laine améthyste de son pull-over. Elle avait oublié d’enfiler sa blouse.
Elle arrêta net son geste, ses renâclements, ses larmes.
Elle contempla dans un silence glacé la longue bavure.
Puis tout se précipita.
Elle se leva prestement, posa tout en vrac sur le pauvre tabouret. Tout en ne cessant de maugréer des qualificatifs tous plus douteux les uns que les autres, elle ferma les trois volets de la pièce, ôta son pull et son t-shirt, défit son pantalon, enleva adroitement ses sous vêtements. Puis elle retourna auprès de ses peintures.
On lui avait offert cette teinte indigo dont elle ne s’était jamais servie, un pot suffisamment grand. Elle soupesa et toisa un moment, accroupie, le lourd cylindre. Une fois le couvercle dévissé, elle plongea la main dans l’ouverture béante et fit jouer ses doigts au dessus du réceptacle, la peinture visqueuse dégoulinant par paquets et s’écrasant mollement dans la masse d’un bleu profond.
Le premier incident, une goutte de couleur sur une de ses cuisses, déclencha le mouvement. Ses jambes furent bientôt totalement recouvertes du pigment, non sans maculer généreusement les papiers journaux protégeant le sol de l’artiste habitué.
Sa folie monochrome l’envahi bientôt toute entière. Elle laissa seulement deux pointes rose foncé émerger de la silhouette assombrie.
Le miroir accueilli enfin son reflet.
« On dirait une ombre », pensa-t-elle.
C’était une réponse possible. Il suffirait de n’être plus que cela, avec lui. Une ombre. Inaperçue, sans saillie et sans brèche. Un être lisse sur lequel l’autre ne trouve rien à quoi se raccrocher. Une pellicule glissante faisant échouer toute tentative de percée vers l’individu qui se cache en dessous.
D’ailleurs, existe-t-elle encore, après cela ?
Ne se résume-t-elle pas juste à cet objet ténébreux qui lui fait face dans la presque obscurité ?
Ses larmes se sont arrêtées de couler, ses cheveux tombent en pagaille le long de son dos, la couleur les contamine alors.
Elle se tourne le dos, demi-tour sur ses journaux. Son corps s’allonge tout près du radiateur, ses yeux se ferment, sa respiration se fait lente.
Demain, la colère passée, sa haine refoulée, la peinture craquellera son corps défait.
Cédille- Nombre de messages : 7
Age : 35
Localisation : Bordeaux
Date d'inscription : 07/10/2011
Re: Folie monochrome
Sympa le body art à la Klein mais dommage et bizarre ce passage au passé simple en milieu de texte, rien ne le justifie. Et en plus cela casse le rythme, l'impression d'urgence que donne la première partie écrite au présent.
Des fautes ici et là, que je t'indique :
enleva adroitement ses sous vêtements. (sous-vêtements)
On lui avait offert cette teinte indigo dont elle ne s’était jamais servie (servi)
Sa folie monochrome l’envahi bientôt toute entière. (envahit)
Le miroir accueilli enfin son reflet (accueillit)
Ses larmes se sont arrêtées de couler, (arrêté)
Et sinon, il n'est pas trop tôt pour poster, non, bien sûr que non. Bienvenue ici.
Des fautes ici et là, que je t'indique :
enleva adroitement ses sous vêtements. (sous-vêtements)
On lui avait offert cette teinte indigo dont elle ne s’était jamais servie (servi)
Sa folie monochrome l’envahi bientôt toute entière. (envahit)
Le miroir accueilli enfin son reflet (accueillit)
Ses larmes se sont arrêtées de couler, (arrêté)
Et sinon, il n'est pas trop tôt pour poster, non, bien sûr que non. Bienvenue ici.
Invité- Invité
Re: Folie monochrome
je rejoins esther pour le passage au passé simple, alors qu'on naviguait si bien avec ton personnage. Parfois, tu pourrais un peu élaguer, par exemple :
Une pellicule glissante faisant échouer toute tentative de percée vers l’individu qui se cache en dessous.
je me serais arrêtée à tentative : Une pellicule glissante faisant échouer toute tentative
J'aime beaucoup ça : D’ailleurs, existe-t-elle encore, après cela ?
et ça : la peinture craquellera son corps défait
Globalement, j'aime, j'aurais un peu écourté mais il est vrai que j'ai un penchant pour les textes courts et rapides !
en tout cas, ravie d'avoir découvert cette vein prometteuse
Une pellicule glissante faisant échouer toute tentative de percée vers l’individu qui se cache en dessous.
je me serais arrêtée à tentative : Une pellicule glissante faisant échouer toute tentative
J'aime beaucoup ça : D’ailleurs, existe-t-elle encore, après cela ?
et ça : la peinture craquellera son corps défait
Globalement, j'aime, j'aurais un peu écourté mais il est vrai que j'ai un penchant pour les textes courts et rapides !
en tout cas, ravie d'avoir découvert cette vein prometteuse
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Folie monochrome
oui c'est déstabilisant le changement de temps en cours de route. Des réajustements nécessaires indiqués ci-dessus mais l'écriture en elle-même est nerveuse, foisonnante et en tout cas très prometteuse.
Invité- Invité
Texte corrigé
Bonsoir,
Je poste le texte corrigé de ses fautes, merci Easter(Island).
Pour ce qui est du passage au passé simple, cela casse peut-être le rythme, sûrement, puisque c'est ce que vous avez ressenti, mais le mettre au présent me perturbe... ! Qui sait, peut-être arriverai-je à le retravailler plus tard.
Ces éléments sont certainement en partie liés au fait que j'écris de manière quasiment automatique. J'ai beaucoup de mal à me relire, et beaucoup de mes écrits ne sont que des premiers jets. Je sais que c'est dommage et que pour les présenter il faut qu'ils soient un minimum soignés... Mais ça reste un de mes défauts.
Je prends également note, Janis, du fait qu'il faut parfois écourter pour laisser deviner, laisser flotter, sans donner tout cuit...
Merci en tout cas pour vos avis et encouragements !
Folie monochrome
Pitoyable, pensa-t-elle.
Vraiment, vraiment, vraiment pitoyable.
Elle est en colère. Ça ne lui arrive pas souvent – pour ainsi dire jamais – mais là, elle ne peut plus contenir cette rage, mêlée de honte, d’un sentiment de trahison et d’un bouillant désir de vengeance.
Les mots, ces mots, ses mots, dans sa tête, n’arrêtent pas leur course folle.
Ces mots. Dégueulasses, haïs, fourbes et violents.
Ses mots. Pour se donner bonne conscience, ou une contenance ; pour rien, en fait…
Les mots, ceux qui mentent tellement bien qu’ils se fichent dans le mille du coeur.
Des mots tellement lamentables, tellement bas qu’elle en tremble des pieds à la tête, adossée au mur, les genoux contre sa poitrine.
S’il pouvait la voir, il jubilerait. Elle parie qu’il se délecte rien qu’en l’imaginant : il faudra qu’elle se prépare à faire bonne figure, à ne pas prêter attention, à ne pas prêter à confusion, à rester digne et surtout à ne pas rosir.
Elle s’assied devant son chevalet. Une large toile lui offre un fond ocre orangé, peint la veille.
Elle se tourne vers le tabouret de plastique qui supporte tout son matériel. Elle saisit sa palette, qui porte de multiples reliefs colorés : peignant d’accoutumée jusqu’à l’épuisement, elle lave rarement son outil. D’un tube de carmin qu’elle débouche adroitement coule un filet liquoreux. Puis vient un jaillissement ambré, quelques giclées d’azur, et elle empoigne d’une main décidée l’un des pinceaux.
Déplorable, navrant, détestable. Scandaleux, tout de même !
Le pinceau va et vient, tantôt flavescent, tantôt céruléen, liant les couleurs, les formes, les sentiments.
Une explosion de larmes brouille sa vue depuis un bon moment, elle barbouille à l’aveuglette, le nez rouge et la bouche bougeant à peine, dans une respiration qui siffle, filtrée par ses dents étroitement serrées.
En fait, il n’avait tout simplement pas le droit. Elle gueule à sa toile cet éclair de génie, cette putain d’injustice.
Il lui faudrait bien plus que trois heures de peinture pour calmer ses pulsions mortifères.
Lorsqu’elle ramena trop vivement le pinceau à elle, une balafre saumon vint rencontrer la laine améthyste de son pull-over. Elle avait oublié d’enfiler sa blouse.
Elle arrêta net son geste, ses renâclements, ses larmes.
Elle contempla dans un silence glacé la longue bavure.
Puis tout se précipita.
Elle se leva prestement, posa tout en vrac sur le pauvre tabouret. Tout en ne cessant de maugréer des qualificatifs tous plus douteux les uns que les autres, elle ferma les trois volets de la pièce, ôta son pull et son t-shirt, défit son pantalon, enleva adroitement ses sous-vêtements. Puis elle retourna auprès de ses peintures.
On lui avait offert cette teinte indigo dont elle ne s’était jamais servi, un pot suffisamment grand. Elle soupesa et toisa un moment, accroupie, le lourd cylindre. Une fois le couvercle dévissé, elle plongea la main dans l’ouverture béante et fit jouer ses doigts au dessus du réceptacle, la peinture visqueuse dégoulinant par paquets et s’écrasant mollement dans la masse d’un bleu profond.
Le premier incident, une goutte de couleur sur une de ses cuisses, déclencha le mouvement. Ses jambes furent bientôt totalement recouvertes du pigment, non sans maculer généreusement les papiers journaux protégeant le sol de l’artiste habitué.
Sa folie monochrome l’envahit bientôt toute entière. Elle laissa seulement deux pointes rose foncé émerger de la silhouette assombrie.
Le miroir accueillit enfin son reflet.
« On dirait une ombre », pensa-t-elle.
C’était une réponse possible. Il suffirait de n’être plus que cela, avec lui. Une ombre. Inaperçue, sans saillie et sans brèche. Un être lisse sur lequel l’autre ne trouve rien à quoi se raccrocher. Une pellicule glissante faisant échouer toute tentative de percée vers l’individu qui se cache en dessous.
D’ailleurs, existe-t-elle encore, après cela ?
Ne se résume-t-elle pas juste à cet objet ténébreux qui lui fait face dans la presque obscurité ?
Ses larmes se sont arrêté de couler, ses cheveux tombent en pagaille le long de son dos, la couleur les contamine alors.
Elle se tourne le dos, demi-tour sur ses journaux. Son corps s’allonge tout près du radiateur, ses yeux se ferment, sa respiration se fait lente.
Demain, la colère passée, sa haine refoulée, la peinture craquellera son corps défait..
Je poste le texte corrigé de ses fautes, merci Easter(Island).
Pour ce qui est du passage au passé simple, cela casse peut-être le rythme, sûrement, puisque c'est ce que vous avez ressenti, mais le mettre au présent me perturbe... ! Qui sait, peut-être arriverai-je à le retravailler plus tard.
Ces éléments sont certainement en partie liés au fait que j'écris de manière quasiment automatique. J'ai beaucoup de mal à me relire, et beaucoup de mes écrits ne sont que des premiers jets. Je sais que c'est dommage et que pour les présenter il faut qu'ils soient un minimum soignés... Mais ça reste un de mes défauts.
Je prends également note, Janis, du fait qu'il faut parfois écourter pour laisser deviner, laisser flotter, sans donner tout cuit...
Merci en tout cas pour vos avis et encouragements !
Folie monochrome
Pitoyable, pensa-t-elle.
Vraiment, vraiment, vraiment pitoyable.
Elle est en colère. Ça ne lui arrive pas souvent – pour ainsi dire jamais – mais là, elle ne peut plus contenir cette rage, mêlée de honte, d’un sentiment de trahison et d’un bouillant désir de vengeance.
Les mots, ces mots, ses mots, dans sa tête, n’arrêtent pas leur course folle.
Ces mots. Dégueulasses, haïs, fourbes et violents.
Ses mots. Pour se donner bonne conscience, ou une contenance ; pour rien, en fait…
Les mots, ceux qui mentent tellement bien qu’ils se fichent dans le mille du coeur.
Des mots tellement lamentables, tellement bas qu’elle en tremble des pieds à la tête, adossée au mur, les genoux contre sa poitrine.
S’il pouvait la voir, il jubilerait. Elle parie qu’il se délecte rien qu’en l’imaginant : il faudra qu’elle se prépare à faire bonne figure, à ne pas prêter attention, à ne pas prêter à confusion, à rester digne et surtout à ne pas rosir.
Elle s’assied devant son chevalet. Une large toile lui offre un fond ocre orangé, peint la veille.
Elle se tourne vers le tabouret de plastique qui supporte tout son matériel. Elle saisit sa palette, qui porte de multiples reliefs colorés : peignant d’accoutumée jusqu’à l’épuisement, elle lave rarement son outil. D’un tube de carmin qu’elle débouche adroitement coule un filet liquoreux. Puis vient un jaillissement ambré, quelques giclées d’azur, et elle empoigne d’une main décidée l’un des pinceaux.
Déplorable, navrant, détestable. Scandaleux, tout de même !
Le pinceau va et vient, tantôt flavescent, tantôt céruléen, liant les couleurs, les formes, les sentiments.
Une explosion de larmes brouille sa vue depuis un bon moment, elle barbouille à l’aveuglette, le nez rouge et la bouche bougeant à peine, dans une respiration qui siffle, filtrée par ses dents étroitement serrées.
En fait, il n’avait tout simplement pas le droit. Elle gueule à sa toile cet éclair de génie, cette putain d’injustice.
Il lui faudrait bien plus que trois heures de peinture pour calmer ses pulsions mortifères.
Lorsqu’elle ramena trop vivement le pinceau à elle, une balafre saumon vint rencontrer la laine améthyste de son pull-over. Elle avait oublié d’enfiler sa blouse.
Elle arrêta net son geste, ses renâclements, ses larmes.
Elle contempla dans un silence glacé la longue bavure.
Puis tout se précipita.
Elle se leva prestement, posa tout en vrac sur le pauvre tabouret. Tout en ne cessant de maugréer des qualificatifs tous plus douteux les uns que les autres, elle ferma les trois volets de la pièce, ôta son pull et son t-shirt, défit son pantalon, enleva adroitement ses sous-vêtements. Puis elle retourna auprès de ses peintures.
On lui avait offert cette teinte indigo dont elle ne s’était jamais servi, un pot suffisamment grand. Elle soupesa et toisa un moment, accroupie, le lourd cylindre. Une fois le couvercle dévissé, elle plongea la main dans l’ouverture béante et fit jouer ses doigts au dessus du réceptacle, la peinture visqueuse dégoulinant par paquets et s’écrasant mollement dans la masse d’un bleu profond.
Le premier incident, une goutte de couleur sur une de ses cuisses, déclencha le mouvement. Ses jambes furent bientôt totalement recouvertes du pigment, non sans maculer généreusement les papiers journaux protégeant le sol de l’artiste habitué.
Sa folie monochrome l’envahit bientôt toute entière. Elle laissa seulement deux pointes rose foncé émerger de la silhouette assombrie.
Le miroir accueillit enfin son reflet.
« On dirait une ombre », pensa-t-elle.
C’était une réponse possible. Il suffirait de n’être plus que cela, avec lui. Une ombre. Inaperçue, sans saillie et sans brèche. Un être lisse sur lequel l’autre ne trouve rien à quoi se raccrocher. Une pellicule glissante faisant échouer toute tentative de percée vers l’individu qui se cache en dessous.
D’ailleurs, existe-t-elle encore, après cela ?
Ne se résume-t-elle pas juste à cet objet ténébreux qui lui fait face dans la presque obscurité ?
Ses larmes se sont arrêté de couler, ses cheveux tombent en pagaille le long de son dos, la couleur les contamine alors.
Elle se tourne le dos, demi-tour sur ses journaux. Son corps s’allonge tout près du radiateur, ses yeux se ferment, sa respiration se fait lente.
Demain, la colère passée, sa haine refoulée, la peinture craquellera son corps défait..
Cédille- Nombre de messages : 7
Age : 35
Localisation : Bordeaux
Date d'inscription : 07/10/2011
Re: Folie monochrome
Et bien moi, je n'ai même pas remarqué ce passage au passé simple dont parlent Easter, Janis et Vertigo, pris que j'étais par ton récit.
J'aime définitivement ton style. Les descriptions m'on fait visualiser aussi bien la scène que son état d'esprit, le tout sans arrêter la narration.
Et tu dis que tu postes principalement des premiers jets ? Moi, pour espérer en arriver à un niveau pareil, je dois retravailler mon texte pendant un mois. Et encore, je ne suis pas certain de parvenir un jour à manier les mots comme tu le fais...
Très beau texte.
J'aime définitivement ton style. Les descriptions m'on fait visualiser aussi bien la scène que son état d'esprit, le tout sans arrêter la narration.
Et tu dis que tu postes principalement des premiers jets ? Moi, pour espérer en arriver à un niveau pareil, je dois retravailler mon texte pendant un mois. Et encore, je ne suis pas certain de parvenir un jour à manier les mots comme tu le fais...
Très beau texte.
Frédéric M- Nombre de messages : 29
Age : 53
Date d'inscription : 04/10/2011
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