Je voudrais...
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Ratz19
midnightrambler
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anotherday
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Je voudrais...
Je voudrais...
Je voudrais que ça s’arrête. J’aime pas trop dire ça, ça fait vieille pute qui racole les clients, mais c’est pourtant vrai. Je ne fais rien pour. Plus maintenant, j’ai passé l’âge. Je crois que c’est ce qui m’embête le plus, dans le fait de vieillir, n’avoir plus cette liberté-là ou penser ne plus l’avoir. Mon frère est mort à près de quarante ans, mais il n’a pas eu de mérite, il était resté un gosse. C’est peut-être pour ça qu’il s’est tué, d’ailleurs.
C’est pas cool, ce que je fais là. Un auteur, ça maquille, ça habille, ça filtre la lumière crue pour pas qu’elle saute à la gueule du lecteur, pour pas qu’il soit gêné, pour qu’il ait la possibilité de se dire ouf, ce n’est qu’une histoire, même s’il n’en est pas certain. Et moi, je vous déballe en trois mots que mon frère s’est laissé crever dans une vieille voiture, moteur en marche, sur un parking même pas désert, devant un immeuble dont les volets se sont ouverts comme si de rien n’était. Une belle journée de septembre…
Je sais, je devrais pas faire ça. Pas vous dire non plus que mon père en est mort deux ans plus tard, parce qu’il s’est laissé tomber, parce que ce fils qu’il avait foutu à la porte à dix-sept ans, qu’il n’avait jamais voulu aider, qu’il avait toujours refusé de revoir, ben, ce fils, c’était pourtant son préféré, celui dont la rage lui rappelait la sienne. Deux ans d’agonie, deux ans à vivre avec l’idée qu’on n’a été qu’un gros con, c’est long. Honnêtement, je n’ai pas pleuré quand il est mort parce que je pense que ça a sauvé la vie de ma mère. Sordide, sans doute, mais sincère. Un peu comme quand on est gamin et qu’une tatie pas finaude nous demande, « qui tu préfères, ton père ou ta mère ? ». Ben, ma mère, sans discussion, sans hésitation. Avez-vous déjà osé demander à vos parents s’ils ont été heureux, si la vie qu’ils ont vécue les a fait vibrer, s’ils s’attendaient à ça, s’ils se sentent floués, déçus, ou bien satisfaits, comblés plus qu’ils n’auraient pensé l’être ? Il a fallu la mort de mon frère, puis celle de mon père pour que j’ose demander à ma mère. En même temps, je savais déjà, bien sûr. On voit beaucoup de choses quand on est môme, même si on ne les analyse pas, elles s’impriment en nous, pas besoin de ressortir les albums photos, les images sont déjà là, les regards vides, les yeux cernés, les pilules sur la table de nuit, les sommeils qui bouffent les journées, les absences…
Un jour, je vous parlerai de ma mère parce que… parce que ça me brûlera la gorge et que je pourrai pas faire autrement, mais pas ce matin. Ce matin, mon frère est mort, comme tous les matins depuis bientôt sept ans. Il s’appelait Ronan. Et je voudrais que ça s’arrête.
C’est pas cool, ce que je fais là. Un auteur, ça maquille, ça habille, ça filtre la lumière crue pour pas qu’elle saute à la gueule du lecteur, pour pas qu’il soit gêné, pour qu’il ait la possibilité de se dire ouf, ce n’est qu’une histoire, même s’il n’en est pas certain. Et moi, je vous déballe en trois mots que mon frère s’est laissé crever dans une vieille voiture, moteur en marche, sur un parking même pas désert, devant un immeuble dont les volets se sont ouverts comme si de rien n’était. Une belle journée de septembre…
Je sais, je devrais pas faire ça. Pas vous dire non plus que mon père en est mort deux ans plus tard, parce qu’il s’est laissé tomber, parce que ce fils qu’il avait foutu à la porte à dix-sept ans, qu’il n’avait jamais voulu aider, qu’il avait toujours refusé de revoir, ben, ce fils, c’était pourtant son préféré, celui dont la rage lui rappelait la sienne. Deux ans d’agonie, deux ans à vivre avec l’idée qu’on n’a été qu’un gros con, c’est long. Honnêtement, je n’ai pas pleuré quand il est mort parce que je pense que ça a sauvé la vie de ma mère. Sordide, sans doute, mais sincère. Un peu comme quand on est gamin et qu’une tatie pas finaude nous demande, « qui tu préfères, ton père ou ta mère ? ». Ben, ma mère, sans discussion, sans hésitation. Avez-vous déjà osé demander à vos parents s’ils ont été heureux, si la vie qu’ils ont vécue les a fait vibrer, s’ils s’attendaient à ça, s’ils se sentent floués, déçus, ou bien satisfaits, comblés plus qu’ils n’auraient pensé l’être ? Il a fallu la mort de mon frère, puis celle de mon père pour que j’ose demander à ma mère. En même temps, je savais déjà, bien sûr. On voit beaucoup de choses quand on est môme, même si on ne les analyse pas, elles s’impriment en nous, pas besoin de ressortir les albums photos, les images sont déjà là, les regards vides, les yeux cernés, les pilules sur la table de nuit, les sommeils qui bouffent les journées, les absences…
Un jour, je vous parlerai de ma mère parce que… parce que ça me brûlera la gorge et que je pourrai pas faire autrement, mais pas ce matin. Ce matin, mon frère est mort, comme tous les matins depuis bientôt sept ans. Il s’appelait Ronan. Et je voudrais que ça s’arrête.
anotherday- Nombre de messages : 69
Age : 57
Date d'inscription : 27/01/2012
Re: Je voudrais...
Oh oh ! "Ça" semble très prometteur, qui balance entre mystère et amertume.
J'aime beaucoup l'écriture, maîtrisée mais pas rigide, harmonieuse, expressive.
J'aime beaucoup l'écriture, maîtrisée mais pas rigide, harmonieuse, expressive.
Invité- Invité
Re: Je voudrais...
Et moi je dis wouahh,
on pourrait être dans le pathos ce qui n'est pas ce que j'aime lire
et pourtant on y est pas, ça prend aux trips d'emblée : de la douleur brute, massive, incontournable
J'ai pensé tout de suite à Olivier Adam
on pourrait être dans le pathos ce qui n'est pas ce que j'aime lire
et pourtant on y est pas, ça prend aux trips d'emblée : de la douleur brute, massive, incontournable
J'ai pensé tout de suite à Olivier Adam
Invité- Invité
Re: Je voudrais...
Je voudrais que cela n’en reste pas là.
Pouvoir en lire encore, aussi bien dit et écrit. Avec ce ton juste et émouvant, cette apparente simplicité qui m’emmène dans l’émotion, délicatement.
Pouvoir en lire encore, aussi bien dit et écrit. Avec ce ton juste et émouvant, cette apparente simplicité qui m’emmène dans l’émotion, délicatement.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Je voudrais...
belle écriture, sobre, au service d'un texte dur sur un sujet pas facile
une réussite
une réussite
Re: Je voudrais...
Bonsoir,
On n'est pas dans le pathos, ni dans l'imaginaire mais sûrement dans le souvenir à l'état brut ... Tout cela est tellement ordinaire et tellement vrai et magnifiquement conté !
Amicalement,
midnightrambler
On n'est pas dans le pathos, ni dans l'imaginaire mais sûrement dans le souvenir à l'état brut ... Tout cela est tellement ordinaire et tellement vrai et magnifiquement conté !
Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Re: Je voudrais...
Ouais. J'adore. C'est direct et bien dit. Ça me rappelle un peu les chansons d'une amie.
Re: Je voudrais...
C'est vrai qu'en voyant le titre, j'ai eu peur d'un texte sombrant dans le pathos.
Mais non, l'histoire n'en est que plus intrigante, parce que justement, c'est très réel et l'écriture est belle.
Mais non, l'histoire n'en est que plus intrigante, parce que justement, c'est très réel et l'écriture est belle.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Je voudrais...
tout pareil
ben dites moi, on meurt pas mal ces temps-ci
ben dites moi, on meurt pas mal ces temps-ci
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Je voudrais...
Deux petites remarques :
– « Je voudrais... » : « … » (Alt + 0133) ;
– « nous demande, « qui tu » : pourquoi cette virgule ?
Je me joins au concert d'éloges avant moi. Cela sonne juste.
– « Je voudrais... » : « … » (Alt + 0133) ;
– « nous demande, « qui tu » : pourquoi cette virgule ?
Je me joins au concert d'éloges avant moi. Cela sonne juste.
Invité- Invité
Re : Je voudrais...
Parfait pour le style, le ton, tenu jusqu'au bout. Cependant une question stupide ; tout ceci est-il imaginaire ? Ta remarque est juste concernant la fiction des auteurs qui dissimule ou détourne la réalité. Pour cela justement j'aimerais que ton texte soit inventé, car il sonne si vrai et juste, alors dans ce cas tu aurais réussi un joli tour de passe ; faire passer pour vrai ce qui est inventé. Jouer avec ce que tu dénonces. Merci de ta réponse.
Raoul
Raoul
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Je voudrais...
Moi, je m'en fiche pas mal de savoir si c'est vrai ou pas. parce que pour décrire une douleur comme ça, il faut en avoir une en travers de la gorge, en travers de la vie. Même si c'est pas la même.
Pour les compliments... ben je crois que tu sais déjà !
Pour les compliments... ben je crois que tu sais déjà !
Invité- Invité
Re: Je voudrais...
Quand la violence des mots et du rythme épousent la violence du sujet, c'est quelque chose ! On ne sort pas indemne d'une telle lecture, surtout quand la narratrice écrit pour vous et vous parle direct, vous interpelle... et vous laisse sans voix.
Misra- Nombre de messages : 33
Age : 73
Localisation : parciparla
Date d'inscription : 17/02/2012
Page 1 sur 1
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