Les couloirs du mystère

1

...sentiment de se retrouver devant un mur, une page blanche... pas de fil pour avancer.
En fait, dès le début tout lui était paru compliqué dans cette affaire. Il avait suivi des dédales d'empreintes enjôleuses, avait fait halte dans les plis de la cachotterie et de plinthes gondolées en salades de bruits, il était arrivé devant la fosse aux virgules.
Là, sa mémoire à bascule n'avait fait qu'un tour.
- Victor, tu as encore oublié tes comprimés !
Une assistante, tout de blanc vêtue, était venue le chercher.
Pour aujourd'hui encore, l'énigme restait entière.

C'est très court mais expressif. Et assez habile dans la mesure où une réplique suffit à désembuer la situation pour le lecteur, alors même que le protagoniste continue à patauger. Si je ne me trompe pas sur le sens de ce qui m'apparaît comme un extrait d'un travail plus long (à venir ?), ça ne peut que rappeler On n'est pas là pour disparaître de Olivia Rosenthal

J’aime beaucoup les salades de bruits et la mémoire à bascule.
C’est court oui, et ça dit effectivement beaucoup en si peu. Très réussi.

Bonsoir,

Perdre la mémoire en vieillissant ... une façon de réinventer le passé ?
Joli petit texte très énigmatique ...

... tout lui était apparu compliqué ... ?

Amicalement,
midnightrambler

Bien aimé les "empreintes enjôleuses" . Le texte court mais efficace m'a rappelé l'atmosphère de Mémento.

2

Alors Annie entrait dans le jeu et prenait le relais de Victor. C’était devenu son affaire.
Dans le salon, les voilà presque tous au complet. Je les tiens à l’œil. Philippe scotché à la fenêtre à nommer les voitures qui passent, passent, passeront. André, Pierre et Françoise plongés dans une rêverie participe. Pascal sur un coin de table, l'extase en cavale. Jean-Louis ravi hoche la tête. Il vient de se rouler un bout de papier brillant et fume sa clope. Anis et Charlotte se taquinent. Y seraient pas un peu amoureux, nos animateurs ? Autour d'eux, y en a d'autres qui déchirent des papiers colorés pour enfiler dans des bouteilles en plastique. Ils préparent la kermesse. Celui qui me tient en souci, c'est Patrick. Il a perdu 2 pièces de son jeu Fischerprice, une tempête se prépare. Son puzzle chéri au bout des doigts comme le serveur son plateau, il se balance plus que jamais. Sourcils déchaînés, oreilles tirées, traits tirés... Y a mieux à faire qu'à jouer aux petits papiers. On a tout fouillé, rien trouvé. Mais moi, j'arpente et je ramasse. Dans mon sac je cache mes trésors. Tiens ! une corde à linge, qu'est-ce-qu'elle fait là ?

Des formules originales, des bribes, fragments qui s'entrechoquent... On a un peu de mal au début, ça semble décousu, puis ça filtre...
Me fait penser à une scène d'anthologie dans le chef-d'oeuvre de Gilliam, "Twelve monkeys", L'armée des douze singes.
Style agréable, "faussement simple", comme je disais récemment... Bien qu'il y ait eu un second morceau, sinon c'eut été hyper court.
Suite, pas suite ? Quoi qu'il en soit, pour moi j'en ai assez pour dire que ça tient la route et que c'est joliment tourné.

Ubik.

Une énumération de personnages trop rapide pour qu’on s’y attache mais formant un ensemble intéressant, qui permet de comprendre de suite où on est.

Une petite répétition ici : Sourcils déchaînés, oreilles tirées, traits tirés

Ah j'aime beaucoup ! Ce narrateur enfermé dans son univers et pourtant complètement à l'écoute (et à l'oeil !) des autres. Un tourbillon de mots, à l'image de cette pensée vagabonde.

3

Voilà que Louise se rapplique. Louise, c'est la directrice. Elle a quitté sa blouse blanche et elle a son air rissolant. Ça grésille parce que demain kermesse et demain y a les responsables, Bénédicte et Raoul, qui débarquent. Je saurais pas dire ce qu'ils viennent faire, mais ils viennent surtout pour deux stagiaires, Charlotte et Suzie.
- Bon alors, deux animateurs dans le salon : Anis et Charlotte. Mais où sont les deux autres ?
- Charline fait les lits avec ses 4 pensionnaires.
- Et Suzie range le préau pour demain.
- Comment? Mais c'est elle qui devait préparer le chamboule-tout ! Les boîtes ne seront jamais peintes ! Elle va me faire tourner en bourrique, celle-là !
- On a presque rempli nos quilles en plastique , ils ont tous bien travaillé. A part un ou deux rêveurs.
Oh! Oh! y a du gaz dans l'eau et des bulles dans l'air. Louise en colère, et mon Patrick en ballottage qui fonce sur la foule Un poing c'est tout ! Victor, Jean-Louis, Philippe, faites gaffe. Louise, grouille-toi. C'est du fauvissimo. Mais Anis est fort et Louise a tout ce qu'il faut.

J'ai moins accroché à celui-ci qu'aux précédents, la profusion de prénoms un peu, d'une part - bien que je puisse m'en accommoder... Non, ce qui m'a le plus déroutée, ce sont les deux dernières phrases : " Louise, grouille-toi. C'est du fauvissimo. Mais Anis est fort et Louise a tout ce qu'il faut." D'une façon ou d'une autre, et malgré une relecture attentive, je me suis sentie larguée à ce stade de la chose, et tout le paragraphe en a pâti...

J’ai adoré l’air rissolant. Pour le reste, je suis toujours par petits bouts, Anis et Louise vont-ils maîtriser Patrick le fauve ?
La suite au prochain extrait je suppose.

4

Patrick s'est assoupi et Charlotte a fabriqué deux pièces en carton. Elle est super chouette, Charlotte . Mais tout ce tournis, ça donne faim. Jean-Louis jette sa clope. Pascal galope se mettre à table. Philippe roule ses yeux veloutés gourmands. Moi, j'aime m'asseoir entre Victor et Françoise. Victor sent bon le pain de campagne et il a la main chaude. On partage les vermicelles complices et les promesses caramel. Françoise a du mouliné chiné dans l'assiette et les mains glacées. Suzie lui a enfilé deux vestes en flocons, avec poches cicatrices. Dans une poche décollée, mazette ! J'aperçois deux pièces, mais quelles pièces ! Les pièces que Patrick a perdues. On peut même pas se lever de table. Vite ! Les fourrer dans mon sac à fossettes...
Y a pas mal de laisser aller, qu'elle a dit Louise. C'est ça, laisse-nous aller, Louise, prendre notre « jus de chaussette » dans la petite cour. Pelouse éponge et murette écailles. C'est l'heure de la timbale musicale avec Anis dans la danse des canards. J'aime me balancer avec lui ou valser avec Victor, corps contre corps. Cet après-midi on va pêcher aux miracles. Demain c'est vite arrivé.

Bon sang, mais c'est bien sûr ! Merci elea :-)
Parfois j'ai tellement le nez sur le texte que j'ai du mal à prendre de la distance, voire de la hauteur...
Le nouvel extrait m'enchante, je perçois une douceur, une tendresse, mais aussi un mélange d'innocence et de (petite) malice très bien rendues, avec de petites touches d'humour ("Y a pas mal de laisser aller, qu'elle a dit Louise. C'est ça, laisse-nous aller, Louise,"). Sans oublier qu'il y a d'extrait en extrait un vrai fil conducteur, ténu mais bien présent. Un plus pour l'expression imagée, pleine de poésie : "On partage les vermicelles complices et les promesses caramel. Françoise a du mouliné chiné dans l'assiette et les mains glacées", "Pelouse éponge et murette écailles. ", "Cet après-midi on va pêcher aux miracles. ".
J'aime vraiment beaucoup ces lectures, c'est frais, ça fait du bien. Tu tiens quelque chose là, chrystie, quelque chose d'inhabituel et empreint de délicatesse.

Non, pas "ténu", le fil. Discret.

5

- Oui, Victor, c'est aujourd'hui demain ! On descend prendre le petit déjeuner et on remonte faire la toilette.
Dans le réfectoire, deux nouvelles voix :
- Bonjour les vacanciers !
Bénédicte et Raoul sont déjà là, la figure pimpante et l’œil vagabond. On a des petits croissants ce matin. Et du soleil dans les bols.
Louise en blouse blanche nous appelle l'un après l'autre dans son bureau pour les pilules.
Bénédicte fait équipe avec Charlotte pour les douches, Raoul avec Suzie. A chaque fois, le grand Pascal se cabre et ça inonde. Françoise s'oublie au moment de s'habiller et, comme toujours, Suzie lui prête une de ses vestes pour qu'elle se réchauffe. Charlotte m'a demandé mon sac aux trésors, « mon ramasse-tout » qu'elle dit, pour le vider. Mais au-secours,mon sac a disparu!
Des cris dans le bureau de Louise, alors je suis descendue. Ils étaient là en train de s'expliquer.
- Suzie, qu'est-ce que tu trouves à dire ? Le rapport de Louise est clair : Charlotte prend son stage au sérieux, mais toi tu traites tout à la légère. Et puis il se passe des choses bizarres dans ce centre de vacances : des objets disparaissent, d'autres circulent là où on ne les attend pas.
- J'ai cru voir avant-hier une corde à étendre dans le réfectoire et ce n'est pas vraiment sa place. La femme de service...
- Suzie, tu dois faire erreur : la femme de service était en congé ce jour-là...
- Charlotte, tu n'as toujours pas résolu l'énigme du puzzle ?
- Il faisait frisquet, nous ne sommes pas sortis et je n'ai pratiquement pas lâché Patrick des yeux.
La kermesse c'est une averse désopilante. Philippe roule ses boules et, à tous les coups, il chamboule-tout ! André, Pierre et Françoise sont plongés dans une pêche participe. Jean-Louis hoche sa canne miraculeuse et fume sa clope. Les animatrices se mettent toutes à taquiner Anis. Moi je danse les canards. Dans son coin, Patrick balance son plateau Fischerprice. Il sourit au miracle. Au goûter, on a eu chacun une glace.
Victor lui avait suivi des dédales d'empreintes voyageuses, avait fait halte sous les marches en suspens et contre une plinthe gondolée, il était arrivé devant les fossettes d'un sac. Là, des fourmis émotives l'avaient transpercé : le sac d'Annie !
Victor me passe toujours le relais. Il m'apporte victorieux mon sac à fossettes. J'ai mon rimmel qui coule, Raoul ! Et voilà que mon sac s'ouvre, qu'il lâche tous mes trésors... les pièces à poignée, la corde et tout mon bataclan.
Alors Raoul peut bien se lever, le doigt fléché sur Suzie. Tu es en état d'arrestation ! Moi j'ai retrouvé mon sac.
FIN

J'aime beaucoup. Cela me rappelle des petits moments vécus.
J'ai eu un peu de mal au 3. La construction faisait penser à un dialogue et je n'ai pas suivi, mais vraiment l'écriture de l'ensemble me fait vivre les scènes.
Dommage que ce soit déjà fini !

il faut que je relise tout bien mais je crois que j'aime beaucoup

Du coup j'ai tout relu, pour le plaisir, en commençant par la fin. C'est très réussi, avec des personnages attachants, une concision de l'expression qui n'exclut aucunement son originalité ; et la justesse du ton, naïveté mêlée d'une certaine roublardise. Grand bravo. D'autant que quand ça a commencé je me demandais vraiment où ça allait nous mener, et j'ai apprécié de découvrir petit à petit cet univers, les humeurs et les drames qui en font le quotidien.

J'aurais bien aimé les suivre un peu plus longtemps tous ces personnages attachants, et découvrir encore quelques expressions inventives, amusantes et poétiques, un véritable festival dans le "4" : "les yeux veloutés gourmands, les promesses caramel, le mouliné chiné, les poches cicatrices, le sac à fossettes" et j'en passe, un régal !

Un CAT en camp de vacances !
Tu es géniale !!! C'est exactement ça ! (On a fait les mêmes ? Juste les prénoms qui changent...

Merci à tous pour votre lecture.
Après avoir jeté un épisode, l'idée m'est venue du dernier. Il suffisait ensuite de parsemer quelques cailloux (un peu irréguliers...) pour se retrouver dans ces mystérieux couloirs.
Coline, tu es dans le 1000!

Tout relu. Toute émue.... je suis cernée par ses mondes parallèles et enrichissants (ma mère Alzheimer et mon fils éducateur dans un CAT)
Je ne relève pas toutes les trouvailles que j'ai adorées, notamment le "sac à fossettes". Bien vu, bien écrit.