En brume

La forêt et son souffle s’entremêlaient à l’air sauvage, les silhouettes des arbres tournoyaient sur chacun de ses côtés alors qu’il courait. Et qu’il courrait. En oubliant combien de temps s’était écoulé. Ses bottes lourdes se heurtaient au sol mou et elles semblaient davantage s’enfoncer à chacun de ses pas. La terre tentait de l’absorber en même temps que le brouillard.
Ses souvenirs s’enfuyaient à travers la forêt au même rythme que ses jambes battaient le sol. Le temps s’égrenait en l’oubliant, en l’écartant du monde réel. Et le liquide mnémique s’écoulait comme si un trou avait été percé dans son crâne handicapé. Impossible de l’empêcher, de le retenir.

L’air était peuplé, moelleux, rivière invisible brouillée par la poussière blanche qui dérivait. Celle-ci, épaisse et lourde de l’humidité qui pesait sous le ciel noir, collait à son corps comme une deuxième peau, une prison de fumée polluant ses poumons. Tout était ombres et toutes les ombres se fondaient les unes dans les autres. La peur glissait sur sa peau, se dissimulant dans l’air sans difficulté tant les deux étaient froids, saisissants. Il oubliait. Le froid s’insinuait par ses pores et dérivait dans ses veines pour empoisonner ce qui restait de sa mémoire. La nuit l’accompagnait pour le hanter.

Une goutte de pluie, unique et insistante, s’écrasa sur son front, mais il n’effectua aucun geste pour l’essuyer. Une économie d’énergie dans une tentative vaine pour combattre le futur de coquille vide qui l’attendait. La mémoire ne pouvait être retenue. Elle s’évaporait dans l’air embrumé, lentement, sournoisement. Il voulait vivre, quelques jours, quelques semaines, quelques mois. Vivre, revoir les siens et espérer que le monde en ruine qu’il venait de quitter n’avait pas déjà effacé toutes leurs traces. Ce monde victime d’un assassin invisible, sans pitié, qui tuait sans choisir. Il tuait et détruisait et tuait en ne laissant derrière lui que des morceaux de mort. Des flaques d’un rouge écœurant qui fascinaient pourtant l’homme. Et d’autres, qui régnaient dans les ruines en pièces rares du musée de l’Homme (presque) disparu. Des vestiges, mais plus rien finalement.

Il avait fuit pour survivre, exposé à sa condamnation d’oublier les horreurs en dernier et les siens en premier. Ceux qu’il avait abandonnés avec l’espoir égoïste de les sauver. Il n’avait pas eu le choix. Mais on a toujours le choix, disaient-ils.
Peut-être son oubli n’était-il que la plus agonisante des bénédictions.



(Le pas du premier texte posté est maintenant franchi. Je voulais également ajouter que c'était un texte écrit avec contraintes de longueur, ce qui explique pourquoi il est si court. Merci.)

pincez-moi !
j'ai vu une faute qu'alex n'a pas relevée !!
"il avait fui"

trop fier je suis
:-)))

Il y a de quoi ! Bravo. :-)

merci ;-)

Cela dit, ce texte m'a emporté. J'aurais du mal à dire pourquoi, le mystère sans doute de cette course
Pour moi ça demande une suite
ou alors j'ai pas trouvé la clé
belle écriture en tout cas

J'aime bien le rythme de ce texte que je ressens "cinématographique". Le décor est planté. Si le texte ne demande peut-être pas de suite, je le demande...

J’aime bien quand les informations sont distillées au compte goutte et préservent un mystère, laissent de la place à l’imagination.
C’est bien dosé ici, suffisamment clair pour que je me fasse une idée de la situation et suffisamment énigmatique pour exciter ma curiosité et me donner envie de plus.
C’est, en outre, joliment écrit, ce qui ne gâche vraiment rien.

Bienvenue !

Bon... je vais attendre le franchissement du second pas, désolée de ne pas me joindre au concert sûrement justifié. Trop descriptif pour moi, complètement nébuleux par endroits.
En revanche, beaucoup aimé cette image, sans doute parce que je la visualise parfaitement : "Une goutte de pluie, unique et insistante, s’écrasa sur son front, mais il n’effectua aucun geste pour l’essuyer."

Qu'entendez-vous par contraintes de longueur ?


< Limitation volontaire ou imposée (exercice d'écriture) du nombre de signes, ou de lignes du texte.
La Modération >

J'ai beaucoup aimé ce texte. Les phrases courtes, les répétitions (de mots et de constructions) suggèrent parfaitement cette course haletante et désespérée. Du rythme, des images, une poésie incantatoire où tout se brouille, interfère et souligne le désarroi terrifiant d'un personnage se débattant contre l'oubli. La dernière phrase termine sur un sanglot cette lutte tragique.

Wow, je suis vraiment impressionnée d'avoir eu tant de commentaires constructifs en si peu de temps, merci à tout ceux qui ont pris deux minutes pour commenter mon en brume! Je vais répondre à tout le monde, au cas-où ils me lisent ici (si j'ai bien compris, on ne peut répondre directement sur notre texte?).

Alex > Merci de m'avoir fait remarquer la faute, c'était plutôt une erreur de ma part. Je l'ai corrigé sur la version originale et je voulais éditer mon message, mais apparemment, on ne peut pas?

Mentor < pareil, une autre erreur d'inattention de ma part! Ne t'inquiète pas, c'était seulement un fragment écrit pour les cours, voilà pourquoi c'était si court. Je n'étais pas supposée écrire de suite, mais après l'avoir tapé à l'ordinateur, je ne peux me débarrasser de cette idée de commencer à travailler sur une suite. Je vais voir, mais pour l'instant, il n'y a rien d'autre d'écrit. Merci.

RICHARD2 < Même commentaire que pour mentor. J'ai la sensation que ce texte est le début de quelque chose et je vais tenter d'y travailler.

Elea < Merci beaucoup! Je peux dire que c'était plus ou moins calculé, puisque le texte a été monté selon des pages d'écriture "automatique" que j'avais écrite.

Easter (island) < Je n'ai aucun problème avec les commentaires constructifs et je sais également que je peux être très descriptive parfois. J'ai justement comme but de tenter d'intégrer autre chose. En fait, j'avais déjà eu la remarque que mon écriture était "blanche", alors j'ai l'impression que ton commentaire va rejoindre cette remarque. Merci beaucoup à toi.

Laurent75 < Le modérateur n'aurait pas dit mieux


< heartincages, il est tout à fait normal de grouper ainsi vos commentaires et de les déposer ici. C'est exactement ce que l'on demande.
La partie "Discussions autour de nos textes" est faite pour les auteurs qui souhaitent répondre souvent ou développer un point particulier.
Merci.
La Modération >
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Bonsoir,

Je n'ai pu m'empêcher de voir, en lisant, défiler devant mes yeux des vignettes d'albums d'Enki Bilal. Ceci dit, je ne suis pas un très grand amateur des BD de cet auteur. Cette fuite dans la forêt me paraît finalement aussi vaine qu'une lecture que l'on s'oblige à poursuivre mot après mot, phrase après phrase ...
La contrainte de temps, construction architecturale artificielle, donne l'impression que les phrases ont été coulées dans le béton afin d'en dire le plus possible avec le moins de mots possibles. Cette densité m'a obligé à en relire plusieurs un certain nombre de fois afin de tenter d'en pénétrer le sens (exact) ...

Amicalement,
midnightrambler

à part les deux petites remarques ci-dessus, je ne vois rien à redire. Texte court, longueur imposée à ce que tu dis, mais justement, moi ça ne me gêne pas qu'il pose plein de questions au lecteur, que certaines choses soient un peu obscures en première lecture, laisse imaginer ce qui n'est que suggéré... Pourquoi faire long quand toute phrase est pensée pour se suffire à elle-même ?

Ce qui est intéressant là, pour moi, c'est que je suis incapable de dire si j'aime ou pas !
Premier mouvement j'ai aimé. Sans comprendre pourquoi. J'ai relu et je me suis dit que ça tenait moins bien la route que selon ma première impression. Ayant différé mon commentaire, j'ai relu aujourd'hui et de nouveau je suis séduite ! J'hésite à lire une quatrième fois... En tout cas il a un charme !
Ce texte est un mystère ! J'attends d'en lire d'autres pour tenter d'avoir une opinion...