La lune dans le caniveau
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La lune dans le caniveau
Spéciale dédicasse à Panda :-)))
La nuit était glauque. J’allais titubant, marquant mon territoire, pissant, de réverbère en réverbère, comme un chien errant cherchant un os à ronger, ça faisait un bail que je n avais plus rien à me mettre sous la dent, ni sous la plume. Il pleuvait dru, et je n’en menais pas large, je naviguais à vue mais j’avais perdu mes lunettes, en même temps que mon stylo, emportés par le caniveau dégorgeant de toutes parts et dans lequel je m’étais efforcé de dégueuler tout ce qui me restait de dignité.
Mes frusques commençaient à sentir salement le moisi , et en réalité je n’avais nulle part où aller. J’avais envie de m’abandonner là, de me laisser tomber, comme on quitte ses illusions, je cherchais juste le point de rupture. Je me réfugiai sous un porche, pour allumer ma dernière clope, la clope du pauvre con damné voué aux gémonies et autres avanies. Evidemment, mes allumettes étaient trempées et je les craquai toutes dans un scrouiiiiitch totalement ridicule et surtout définitivement inopérant.
Une lumière vacilla dans la nuit. Tremblant, je me protégeai de mes deux bras, non pas ça ! Pas le coup du surin brillant dans l’opalescente clarté de la lune avant de me transpercer comme il se doit, puisque c’est ainsi que s’écrivent les destins tragiques dans les faubourgs mal famés du Londres romanesque, dont j’avais fait le décor de ma dernière nouvelle. Avortée.
A force de fréquenter les bas quartiers du plagiat littéraire, il me semblait être devenu moi-même une de ces créatures qui ne pouvant avouer ses infâmes procédés, ses crimes et ses lâchetés, devait expier dans le sang, dans la fange et le vomi. Bon, j’avais conscience de forcer le trait, peut être un chouilla, mais j’avais forcé sur la bouteille aussi. Et puis forcer sur les clichés, c’était mon style, ces derniers temps, inimitable. Inimité, du reste.
-« Mité tu veux dire. Alors tu veux que je t’allume ou tu préfères continuer de gémir dans les ténèbres et de flipper ta race d’écrivain maudit qui n’a plus rien à dire ? »
Brutalement ramené à la réalité, j’ouvris les yeux et distinguai la flamme d’un Zippo qui tremblait, mais moins que moi, flegmatique sous la pluie et méritante, vu la brume environnante qui tentait de colmater mon désespoir.
-« C’est ton cerveau qu’est pas mal embrumé, tu l’as arrosé à quoi ce soir ? »
-« Whisky pur malt » rétorquai-je légèrement vexé, me dandinant sur mes deux pieds. (Deux, est-il utile de le préciser ? me questionnai-je finement ) .
Curieusement mes semelles faisaient scrouiiitch aussi mais ce scrouiiitch me rassurait (le genre de détail qui faisait vrai, j’étais pas en plein delirium tremens).
Je sentis qu’on m’enlevait prestement mon clope du bec et tandis qu’elle l’allumait, sa bouche m’apparut brutalement, rouge et assez bellement ourlée, comme flottant dans le vide. Puis l’obscurité retomba et le silence me frappa.
Il m’aspirait tandis que je cherchai une nouvelle réplique, pagayant dans un océan de perplexité, et qu’elle fumait tranquillement ma cigarette, comme si de rien n’était.
-« Te fatigue pas », elle dit, « et arrête de ramer, t’es arrivé. »
- « ? »
- « Pas la peine de me faire ton regard de noyé, t’es à bon port j’te dis. »
-« Euh, on se connait ? »
-« Un peu, ouais. J’sais pas comment tu m’as retrouvée, mais maintenant j’vais plus te quitter. »
Elle me prit par le bras. Je protestai. Elle se rebiffa.
-« Eh tu crois que ça m’amuse d’être ta Muse ? Non, mais c’est ainsi. C’est prévu comme ça dans le scénario. Alors laisse-moi te ramener à la maison, et à la raison, sinon t’as plus qu’à écrire ton épitaphe. Ci -git dans le caniveau John Chatterton, qui cherchant sa Muse a trouvé la Mort. »
Oui, dit comme ça, ça laisse à réfléchir.
Tout de même en passant sous le réverbère, j’ai bien vu que ma Muse avait l’air chiffonnée, un peu tapée. Avec ses bas résille tout troués et ses yeux glauques qui semblaient revenus de tout, je ne pus me retenir de penser qu’ elle faisait un peu pétasse. Un peu radasse blondasse.
Elle était perspicace, elle lisait dans mes pensées, elle précisa « et me prends pas pour une connasse, ou une pouffiasse, sinon je me recasse, normalement les types à la ramasse, c’est pas ma tasse. »
C’est pas ma tasse de thé on dit, je faillis rétorquer, nonobstant sa bonne volonté qui lui faisait compléter mes rimes, avec son style inimitable, plaqué à la truelle, comme le mascara sur ses cils.
Mais je m’abstins. Parce que d’une part, elle devait pas boire souvent du thé ma Muse. Et d’autre part, ça tombait bien. J’me serais pas senti à l’aise dans un roman d’Agatha Christie.
Ceci dit, quand je vis la lune tomber dans le caniveau, je ne pus retenir un frisson, peut-être me ramenait-elle à la maison, mais à la raison, rien n’était moins sûr.
.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: La lune dans le caniveau
j'aime un peu et même beaucoup !
je ne sais pas à qui et pourquoi ce texte est dédicacé mais à près tout peu importe. J'adore ce style au second degré, humour un peu noir, la décadence, ce jeu de miroir entre écrivain et personnage, cette auto dérision sur les écrivains, tout cela très bien écrit...bref j'adore.
je ne sais pas à qui et pourquoi ce texte est dédicacé mais à près tout peu importe. J'adore ce style au second degré, humour un peu noir, la décadence, ce jeu de miroir entre écrivain et personnage, cette auto dérision sur les écrivains, tout cela très bien écrit...bref j'adore.
Invité- Invité
Re: La lune dans le caniveau
Beaucoup d'humour dans ce texte Christiesque. Un personnage attachant ce John Chatterton.
Vive le second degré.
"voué aux gémonies" : sauf à être trainé par un croc de boucher jusqu'au Tibre (ou la Seine pour faire plus contemporain et coller à l'actualité), je trouve le mot un peu trop fort. Même dans son sens plus traditionnel : accabler de mépris, outrager publiquement. "le silence me frappa" : c'est tout de même moins violent.
Vive le second degré.
"voué aux gémonies" : sauf à être trainé par un croc de boucher jusqu'au Tibre (ou la Seine pour faire plus contemporain et coller à l'actualité), je trouve le mot un peu trop fort. Même dans son sens plus traditionnel : accabler de mépris, outrager publiquement. "le silence me frappa" : c'est tout de même moins violent.
Invité- Invité
Re: La lune dans le caniveau
ahaha ! t'as fait exprès ?luluberlu a écrit:Un personnage attachant ce ... Chatterton.
Bon, désolé Reb, je reviens lire, promis.
Re: La lune dans le caniveau
J'aime tout, du début à la fin, les personnages et les jeux de mots " à la truelle". Une verve inspirée. Tu as dû bien de divertir à écrire ce texte. Bravo Rebecca !
Invité- Invité
Re: La lune dans le caniveau
les petits morceaux que tu sais capter et rendre, bien, plus que bien
un plaisir de lecture, je n'ose pas fouiller pour chercher les références
chouilla, c'est pour le jeux de mot entre chouille et chouia ou c'est juste comme ça ?
le "bellement ourlé" me gêne
sinon, ben, fallait que je le lise pour finir Mort
et le commente pour qu'il remonte
un plaisir de lecture, je n'ose pas fouiller pour chercher les références
chouilla, c'est pour le jeux de mot entre chouille et chouia ou c'est juste comme ça ?
le "bellement ourlé" me gêne
sinon, ben, fallait que je le lise pour finir Mort
et le commente pour qu'il remonte
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: La lune dans le caniveau
Bravo, c'est vraiment bien. Déjà, j'aime cette sorte de tangage qu'ont tes phrases, ce rythme. On dirait un peu le roulis d'un homme éméché. Et puis, les mots, les images... Sinon, j'aime les trucs comme "me dandinant sur mes deux pieds. (Deux, est-il utile de le préciser ? me questionnai-je finement ) " pour ce que ça révèle d'auto-dérision. La dernière phrase est chouette, aussi. (et les références au post de Panda, trouvées !).
Merci !
Merci !
Lizzie- Nombre de messages : 1162
Age : 57
Localisation : Face à vous, quelle question !
Date d'inscription : 30/01/2011
Re: La lune dans le caniveau
Excellent ! Jouissif à lire, probablement à écrire aussi et ça se ressent. Ambiance, humour, un poil de glauque et de détresse tournée en dérision, que de bons ingrédients.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: La lune dans le caniveau
Bonsoir,
Il faut être perspicasse ...
cf. Rebecca on march 16th, 2012 at 6.16 a.m. in Débats, billevesées et causette ...
Amicalement,
midnightrambler
Il faut être perspicasse ...
cf. Rebecca on march 16th, 2012 at 6.16 a.m. in Débats, billevesées et causette ...
Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Re: La lune dans le caniveau
C'est glauque, c'est drôle, c'est vif, un chouette esprit et puis j'aime bien quand tout n'est pas beau et rose dans les textes :-) Beaucoup de plaisir à te lire et à plonger dans cet univers sombre.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: La lune dans le caniveau
Un récit en effet assez glauque mais le mélange de mots crus et de formules grandiloquentes m'a un peu dérangée. Je n'ai pas réussi à rentrer dans l'esprit du texte...
frisonng- Nombre de messages : 14
Age : 30
Date d'inscription : 13/06/2012
Re: La lune dans le caniveau
Un chouilla, un chouïa.
En cherchant l'étymologie, trouvé ça sur le net: De l'arabe maghrébin chouya, de l'arabe classique chouaya, diminutif de شيء /ʃaj/ (« chose »)
Pas qu'un, plusieurs d'ailleurs. Caractéristique d'une démarche aux antipodes d'une littérature coincée et propre sur elle. La dérision érigée en seconde nature.
Ma lune dans le caniveau... dans un tout autre registre !
La fin est superbe.
++
En cherchant l'étymologie, trouvé ça sur le net: De l'arabe maghrébin chouya, de l'arabe classique chouaya, diminutif de شيء /ʃaj/ (« chose »)
Pas qu'un, plusieurs d'ailleurs. Caractéristique d'une démarche aux antipodes d'une littérature coincée et propre sur elle. La dérision érigée en seconde nature.
Ma lune dans le caniveau... dans un tout autre registre !
La fin est superbe.
++
Re: La lune dans le caniveau
J'ai raté une étape. "Clope", c'est masculin ?!Je sentis qu’on m’enlevait prestement mon clope du bec
Sinon, je voulais te dire que "pouffiasse" s'écrit avec un seul F, mais après vérification, les deux versions existent, alors je ne dis rien =)
Habituellement, je n'aime pas les textes qui parlent d'écriture, ça m'ennuie, et souvent, ça vient de gens qui sont tout simplement en manque d'inspiration. Je ne sais pas si c'était ton cas pour celui-ci, mais si oui, tu l'as bien caché ! J'ai trouvé ce texte créatif, joueur, frais. J'ai souvent souri. Bien joué =)
Re: La lune dans le caniveau
on a l'impression que tu t'es amusé à écrire ce truc et c'est ce qui le rend agréable je trouve, je suis pas trop pour le thème de l'auteur qui parle de rien d'autre que de son œuvre et de lui mais là l'humour sauve le truc, il y a un petit côté je tape à la machine à écrire à l'arrière d'une cadillac lancée à fond pour rendre à temps mon dernier et fracassant roman
pachyderme- Nombre de messages : 72
Age : 37
Date d'inscription : 10/12/2011
Re: La lune dans le caniveau
J'ai aimé cette auto-dérision. Facile à lire et bien mené jusqu'au bout ce texte. L'humour est bien présent pour le plaisir du lecteur.
Legone- Nombre de messages : 1121
Age : 50
Date d'inscription : 02/07/2012
Re: La lune dans le caniveau
Merci à Sahkti d'avoir fait remonter ce texte !
Une lecture vraiment sympathique pour poursuivre cette journée, Muse ou pas Muse.
Une lecture vraiment sympathique pour poursuivre cette journée, Muse ou pas Muse.
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 46
Date d'inscription : 31/03/2008
Re : La lune dans le caniveau
Tu te souviens de Bukowski avec sa bouteille de whisky chez Pivot ? Ton texte c'est ça. Bravo de pouvoir maîtriser la bouteille et le stylo ensemble. Moi, je ne pourrais pas. Quand je l'ai fait j'ai déchiré le texte ensuite.
Maintenant avec Internet, on ose publier ces fulgurances rimbaldiennes. Sans doute ainsi, dans quelques années les critères d'écriture s'en trouveront modifiés. Merci, Rebecca, de faire bouger les lignes.
Maintenant avec Internet, on ose publier ces fulgurances rimbaldiennes. Sans doute ainsi, dans quelques années les critères d'écriture s'en trouveront modifiés. Merci, Rebecca, de faire bouger les lignes.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: La lune dans le caniveau
A force de fréquenter les bas quartiers du plagiat littéraire, il me semblait être devenu moi-même une de ces créatures qui ne pouvant avouer ses infâmes procédés, ses crimes et ses lâchetés, devait expier dans le sang, dans la fange et le vomi
J'ai adoré cette identification qui peut effectivement se produire quand on fréquente à outrance un auteur.
Et puis ton style,alerte, vigoureux et truffé de jeux de mots, reconnaissable entre mille.
J'ai adoré cette identification qui peut effectivement se produire quand on fréquente à outrance un auteur.
Et puis ton style,alerte, vigoureux et truffé de jeux de mots, reconnaissable entre mille.
Invité- Invité
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