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L'Ivresse

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Message  Janis Mar 27 Mar 2012 - 14:43


Texte effacé pour publication : http://www.vosecrits.com/t11540p520-pour-les-demandes-a-la-moderation-modifications-catalogue-vos-ecrits-c-est-ici#359159



L'Ivresse


Ce qui reste, c'est ce moment où on sonne à six heures un matin.
Hagarde elle va ouvrir, en chemise, toute ensommeillée.

Deux policiers se tiennent dans l'encadrement de la porte.
Ils sont jeunes, ils ont l'air perdu. Il y en a un qui a de petits grains de beauté dans le cou. Et l'autre, une cicatrice sur la joue, fine, d'à peine quelques millimètres. Son œil enregistre tout ça, cette intrusion étrange dans sa cuisine si tôt le matin, ces garçons mal réveillés sous le plafond. Mais la soirée d'hier a été longue, et arrosée, elle n'a pas bu son café, elle ne comprend pas ce qu'ils font là.

Avant toute chose, ils veulent vérifier son identité.
Ses papiers. Ya un problème ?
Elle renverse son sac, tandis qu'une sorte de peur la gagne : a-t-elle commis un délit, la soirée d'hier a-t-elle dégénéré pendant qu'elle dormait sur le canapé ? Ils disent il s'agit de votre fils. Qu'a-t-il fait, encore un tag ? Un vol je parie. Il va m'entendre celui-là. C'est un gamin difficile. Vous verrez, c'est pas si simple. Elle essaye de dire les mots courants, les mots qui parlent de ce que c'est d'être la mère d'un adolescent. Vous permettez que je fasse du café ? Vous en faites une tête.

Parlant de plus en plus, elle cherche à retarder le moment, le moment où ils vont devoir expliquer quelque chose. Ils veulent bien du café. Ils sont assis sur les chaises. Ils ne savent pas quoi dire.

Dans le lit, l'homme dort encore. Les policiers demandent à le voir aussi. Or, il n'est pas le père.
Elle lui dit lève-toi, je crois qu'il y a un problème avec les enfants.
Car le prénom de sa fille à lui a été prononcé soudain, il a surgi au milieu de la confusion; elle a dit, mais ils sont tous les deux dans un camping quelque part à la campagne, qu'est-ce qu'ils ont fait ?
Calmez vous, asseyez-vous.
Je suis calme, pourquoi ?
Ses mains se sont mises à trembler.
Mon fils à moi, sa fille à lui, vous comprenez ? Au camping sans nous, pour la première fois.

L'homme arrive debout, pieds nus, embroussaillé, il avance vers elle et pose une main sur son épaule, la ravissante jeune femme et le beau ténébreux.
Ils sont maintenant tous assis autour de la table.
Bon, on va vérifier vos identités.
Ils regardent longtemps les papiers, ils les tournent et les retournent.
Ils sont indécis. On ne sait pas ce qu'ils attendent.
On entend le bruit des cuillères dans les tasses à café.
Le plus jeune baisse la tête, quelques secondes. Quand il se redresse, il a des larmes dans les yeux. Il ouvre la bouche. Il parle en la regardant.

Votre fils, votre garçon, est mort cette nuit - il avale sa salive - dans un accident de voiture.
Puis il se tourne vers l'homme, et votre fille est dans le coma.
Elle va s'en sortir ?
Il y a de l'espoir.
Et pour moi ?
C'est fini, il est mort.
Observant ce pauvre jeune homme, elle comprend qu'il aurait voulu être plus doux, amener les choses d'une façon moins entière, elle a envie de l'aider, il peut encore faire marche arrière.

Elle dit non, vous vous trompez, les enfants sont au camping.
C'est vrai, c'est vrai. Mais ils ont eu un accident, et votre fils est décédé cette nuit.
Ils ont seize ans, ils ne conduisent pas.
C'est un individu qui conduisait le véhicule.
L'homme d'un geste l'arrête : Où sont-il ? Où est ma fille ?
Et ils apprennent le nom d'un hôpital dans une ville lointaine.
Mais, dit-elle, c'est définitif ?
Hélas, madame.
Mais, dit-elle.
Et elle entend les deux syllabes qu'elle a choisi un jour franchir ses lèvres, elle entend ce prénom, incrédule, elle essaye encore, encore, encore.
L'homme lui dit ne crie pas, je t'en prie. Je suis là.
Pourtant, il la laisse assise sur la chaise, les mains sur les cuisses.
Déjà il est ailleurs, loin d'elle.
Elle le voit sortir une bouteille et des verres, elle se souvient du goût et d'avoir fumé parfois dans la cuisine, et fait brûler les steaks, et trop cuire les pâtes, encore du gruyère s'il te plaît, elle se souvient de tout. Elle boit cul sec. Ça se met à tourner.

Juste après on la traîne à travers la pièce, ses talons glissent sur le plancher. On la soulève, on la dépose sur un lit. On lui fait boire quelque chose de fort qui râpe la gorge. Elle dit votre histoire, c'est une blague ? Avouez ?
C'est pas une blague, un individu ivre conduisait une voiture, et vos enfants étaient dedans.
Un individu ?
ivre ?
Oui, nous sommes désolés.

Plus tard elle apprend ce qui s'est passé.
L'individu avait bu, la jeune fille lui plaisait. Il a proposé un tour en voiture.

Le fils a voulu protéger cette espèce de sœur, il est monté à l'avant, en force. L'homme ivre conduisait vite, il s'est presque tout de suite encastré dans un arbre. Il n'a rien eu. Il a claqué la portière et a marché le long de la route, laissant ses passagers dans la carcasse. Il n'a donné l'alerte que plusieurs heures après, quand il a mesuré les ennuis qui l'attendaient.
Et puis : la fille à l'hôpital, le garçon à la morgue. Les coups de fil, les mots pesés.

Pendant le procès, son avocate lui tend une perche. Avez-vous un mot à dire à la famille du défunt ? Une pensée, un regret ? L'homme dit non, je ne vois pas. Et pour la jeune fille ? Il est encore temps de parler. Elle vous écoute.
Je n'ai rien à dire.
Mon client, commence l'avocate, est un garçon réservé.
C'est le moins qu'on puisse dire, répond sobrement le procureur.

A la sortie du tribunal, il fait un bras d'honneur : on lui a retiré son permis. Apercevant la famille, la petite maman blonde et défaite, le père du garçon et le beau ténébreux, la fille en fauteuil, sa mère derrière les lunettes noires, les grands-parents agrippés l'un à l'autre, les frères et sœurs, les amis, les yeux rouges, les silhouettes qui vacillent, ce monde à tout jamais inquiet et meurtri, il profère menaces et insultes.

L'avocate est aguerrie. Elle a dit avec ceux là, il n'y a rien à faire. Ça ne pénètre pas jusqu'au cerveau.

Ensuite, elle vit, elle rit, elle pleure, elle est parfois heureuse, elle élève sa fille, elle déménage, elle change de travail, elle a un autre amour.
Mais elle ce qui ne change pas, c'est qu'elle est pour toujours la mère d'un enfant mort à seize ans, une nuit de juillet.
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Message  Invité Mar 27 Mar 2012 - 16:25

Bon. Y a du lourd en ce moment en prose.

Je garde ceci, la politesse du désespoir : "Observant ce pauvre jeune homme, elle comprend qu'il aurait voulu être plus doux, amener les choses d'une façon moins entière, elle a envie de l'aider, il peut encore faire marche arrière."


Et pour alléger, je la joue Alex :

"L'homme d'un geste l'arrête : Où sont-il ?" ("ils")
"Un individu ?
ivre ?" (majuscule)

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Message  Gobu Mar 27 Mar 2012 - 17:24

Je suis désolé mais je ne marche pas. Ce n'est pas le style, excellent, ni la progression, angoissante, ni les émotions des personnages, parfaitement rendues. C'est la chute. Il me paraît impossible aujourd'hui qu'un chauffard en état d'ivresse ayant causé la mort d'un adolescent, qui s'est de plus rendu coupable d'un délit de fuite et de non-assistance à personne en danger, n'écope que d'un retrait de permis. Peut-être arriverait-il, s'il n'est pas récidiviste, à obtenir du sursis, mais ça, c'est trop invraisemblable. Ou alors il jouit de très très hautes protections, il a acheté le juge et ses assesseurs, que sais-je encore, il terrorise la contrée. Mais il faudrait alors l'expliquer. Comme ça, pour moi, la sauce ne prend pas.
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Message  Lifewithwords Mar 27 Mar 2012 - 17:28

Je suis relativement d'accord avec Gobu : c'est invraisemblable. De plus je ne trouve pas que l'horreur de la situation de la mère soit bien rendue, ni la relation avec ce père qui n'a pas perdu sa fille vraiment intéressante.
Voilà, un peu raté pour moi, mais malgré tout la recherche de style est vraiment plaisante !

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Message  midnightrambler Mar 27 Mar 2012 - 21:23

Bonsoir Janis,

J'ai beaucoup aimé, la forme, la progression et surtout l'angle de prise de vue ... aborder l'ivresse de cette façon-là est bien sûr glaçant, mais surtout très original.
Pas commun non plus de mettre une larme dans l'oeil du gendarme !

Amicalement,
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Message  mentor Mar 27 Mar 2012 - 21:45


C'est vrai, tu pourrais juste enlever la phrase "on lui a retiré son permis", et remplacer "à la sortie du tribunal" par "en sortant de la salle".

Très fort, j'aime beaucoup cette manière de mêler la narration avec les dialogues ou les monologues, ce style indirect. J'aime l'écriture, il y a quelque chose, c'est sûr. En plus du fond, du thème. C'est très bien rendu.

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Message  Phoenamandre Jeu 29 Mar 2012 - 6:10

La vache c'était fort, très fort. Un style vraiment parfait, j'avais pas lu ça sur ce genre de situation, je suis scotché.

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Message  polgara Jeu 29 Mar 2012 - 7:11

j'ai clairement retrouvé "l'ambiance" de ces moments tragiques, de l'annonce au verdict. jusqu'à l'émotion du gendarme. Malheureusement, ton écriture est trop juste, trop réelle si je puis dire. Que l'on aimerait n'être que dans la fiction.
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Message  Lyra will Sam 31 Mar 2012 - 4:10

Janis, je trouve qu'il y a toujours une profonde justesse dans ta manière de, la bonne distance, un regard à toi, des personnages denses et vacillants, des mots perso, un rythme, mais jamais juste dans l'effet de style, plutôt au service de, et pas mal d'émotion et d'humanité.
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Message  elea Sam 31 Mar 2012 - 18:19

Ce n’est pas mon préféré de tes textes mais il y a ta patte, indéniablement. Cette manière de raconter qui prend et ne lâche plus jusqu’au dernier mot. C’est réellement un bonheur de te lire, même sur le thème du malheur.

J’ai aimé ce qui précède l’annonce, le rendu du déboussolé, le refus, la distance qui déjà, s’installe entre les parents. Ainsi que le passage de l’injustice du procès, on est avec cette famille, ces victimes face à l’incompréhensible et à un comportement qui dépasse l’entendement.

En revanche, et je ne sais pas dire exactement pourquoi, la réaction de la mère me chiffonne, je suis restée extérieure à son émotion, comme s’il y avait une distance dans la narration.
Et la phrase finale est en trop pour moi, appuyée, elle ne révèle rien que le texte n’ai déjà fait comprendre.

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Message  AGANIPPE Sam 31 Mar 2012 - 21:43

J'aime beaucoup la simplicité qui donne de la force à ce texte
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Message  Sahkti Mar 10 Juil 2012 - 16:35

Je conserve les 9/10e du texte, que je trouve excellents (s parce que pour les 9/10e en fait). Le 10e moins bon sera pour la fin, question ou non de vraisemblance, certes mais surtout, en ce qui me concerne, de moralité que j'apprécie généralement assez peu à la fin des récits, parce que je trouve ça facile, superflu, souvent décalé par rapport au ton général du texte. Un ton ici admirablement maîtrisé avec une émotion violente qui sourd du corps de cette femme, c'est raconté avec énormément de pudeur et de justesse.
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Message  Marine Mar 10 Juil 2012 - 16:53

Que de bons textes qui remontent !
Je ne t'avais pas encore beaucoup lue Janis et tu as énormément de puissance dans tes textes
Ce mélange de suspense, de sensibilité, d'émotion et d'humanité
Le coktail d'une très bonne littérature ; surtout tu décris des situations courantes mais en leur redonnant toute leur horreur ou leur singularité ; tu nous arraches de la banalisation télévisuelle des informations du vingt-heures ; tu nous fais voir la souffrance intime et personnelle, le détail, le particulier, malgré, et je le regrette un peu, des schémas un peu conventionnels comme la présence stéréotypée du garçon ivre ou le comportement de la fille ; mais je le prends comme un prétexte ; que ça soit un accident de voiture ou non, on s'en fiche, ce qui est important ou non, ce sont les conséquences et la façon dont elles sont décrites
Oui, vraiment, que ces petits lieux communs qui me gênent
Le reste bravo
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Message  Janis Mar 10 Juil 2012 - 18:49


oui, c'est vrai ce que vous dites tous les deux

ce qui fait que ce texte n'est pas tout à fait réussi, c'est qu'il a été d'abord écrit dans l'émotion, pour cette amie, la mère de robin

puis je l'ai retravaillé, sans vouloir, sans oser trop enlever de la réalité de cette histoire (le mec bourré qui voulait se faire la fille bourrée)

et je chasse aussi les morales ! (voir mes com !)
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