Au bar des amis

L’auvergnat gidouillard met en perce un tonneau
En sifflotant gaiement Aragon et Castille.
Sous le comptoir, dans les mégots, le chien roupille,
Rêvant de biftecks gras et d’os de jambonneau.

D’un gros index jauni se grattant le poireau,
L’ennemi de la sauge et de la camomille,
Le bon Captain Beaujol sur ses gigots vacille
Et jette, fin bourré, du cœur sur le carreau.

Entre les guéridons mangés par la poussière
La serveuse aux seins lourds tortille son derrière
Et flanque aux peloteurs mornifles et taquets.

Moi, du bar des amis familière pratique,
Au milieu des crachats d’un vieux poste asthmatique,
J'étrangle sans pitié deux ou trois perroquets.

je me suis toujours dit , je vais au bar , il se passe toujours quelque chose
comme dans les brèves de Gouriot

Sympa ta cantine
Outre les pratiques familières, on y croise aussi Bobby Lapointe et René Fallet.
J'ai déjà fréquenté ton troquet mais si je ne m'abuse, le Captain Beaujol n'y étais pas encore.
En tout cas, c'est super de te voir traîner tes galoches sur ce forum.

Legone,

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une petite remontée maintenant que libéré.

Oui, Bobby Lapointe, René Fallet, et aussi Pierre Perret avec son "Au tord boyaux..."
La forme romantique du sonnet revisitée par un langage à la Michel Audiard.
Mais cessons de t'envoyer des noms connus à la face !
C'est du Legone, c'est du très bon et on en redemande.

Tout y est : le patron auvergnat (peut-être un peu dépassé, quand même), le poivrot invétéré, les joueurs de cartes, la serveuse "chatouillée"... et surtout l’atmosphère.

J'ai bien aimé

Bravo pour ce débit de boissons à consommer sans modération.

du grand art pour un poème qui se situe entre les joueurs de cartes de Cézanne, la Maline de Rimbaud, quelques poèmes de Charles Cros,
les westerns d'Eastwood et les chansons du Montmartre d'il y a quarante ans

Je me permets une tite réponse. Donc merci à ceux qui ont sans trop de déplaisir lu ce patchwork.

C'est un tableau si bien dressé qu'on l'imagine comme une séquence de cinéma.

Je ne te connaissais pas dans ce registre, Legone.

Une petite merveille de mise en scène !

jfmoods je ne te connais pas mais je crois que tu es le vieil homme :o)

Un texte admirable.

Je ne l'avais pas encore croisé celui-là !
Atout coeur sur le carreau, voilà vraiment un pli de maître. Bravo cap'tain !

Je tiens à préciser qu'il n'est fait aucune allusion à une partie de carte.
Merci Arielle, lauréate des jeux floraux, si je ne m'abuse ? C'est trop d'honneur que vous me faites. Manque plus qu'un com de Seyne et je fais pipi dans mon slip, d'émotion.

C'était là, aux vestiaires. Mais je crains que l'incommunicabilité entre nous persiste dans ce lieu inhospitalier.
Une bonne vraie discussion enflammée au bar des amis permettrait peut-être de se comprendre, sinon de tomber d'accord, et ça tournerait sûrement moins à l'aigre.  Mais moi, ici, je vais en rester là.

J'aurais revu le vers 12...

« Moi, du bar des amis (familière pratique), »

J'aime beaucoup revoir le sens ancien du mot « pratique » (client, clientèle). On le trouve, par exemple, dans le poème « La marchande de journaux » de François Coppée...

« La bonne femme, active à servir la pratique,
Derrière un vasistas... »

En incorporant un contenu trivial (ivrognerie et sexe) et un niveau de langue relâché (« le chien roupille », « se grattant le poireau », « sur ses gigots », « fin bourré », « jette du cœur sur le carreau », « aux peloteurs mornifles et taquets », « étrangle... deux ou trois perroquets ») à une forme poétique éminemment élective, le poète fait preuve d'un sens certain de la provocation. Au fil d'une description qui dresse un micro-inventaire du lieu annoncé par le titre (« tonneau », « comptoir », « mégots », « guéridons », « vieux poste »), cinq personnages très typés sont dévoilés au lecteur dans un contexte peu avantageux. Le passage le plus savoureux est sans nul doute la périphrase du vers 6 (« L'ennemi de la sauge et de la camomille »).

Merci pour ce partage !

Travail précis, un plaisir de lecture.