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L'autre

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Message  Legone Mer 15 Aoû 2012 - 7:55

C'est le soir du grand soir. Depuis la mort de maman, je sais que je le ferai. Maman m'aidait à tenir l'autre à distance. « Tu verras, tu oublieras, avec le temps. »

« Pauvre maman. De là-haut, elle me juge. Tant pis ! »
Il faut passer outre mes derniers scrupules ! Je ne le supporte plus. J'ai trop souffert de ses reproches, de ses moqueries. Il suffit d'un sarcasme de l'autre pour réduire à néant ma bonne volonté. Je n'en peux plus de toute cette saleté. J'ai beau la nettoyer, elle reste collée à moi comme un vieux chewing-gum sous un pupitre. Je suis à bout. Tous mes efforts détruits par un brocard. Depuis dix ans, l'autre me mène une vie d'enfer. Et ces migraines chroniques. A se taper la tête contre les murs à longueur de journées.

J'ai attendu trop longtemps !
« Pardonne-moi maman, je veux me libérer de l'autre. Et pour ça, une seule chose à faire ! »

Je me dirige vers la salle de bains, saisis un savon sur la pile et le fait mousser dans mes mains. « Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix. » La gauche. « Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix. » La droite.
Je me passe de l'eau sur les tempes, sur les joues. M'essuie méthodiquement. Jette le savon à la poubelle, puis le linge. En suspends un autre au porte-serviettes. Être propre, faire les choses dans l'ordre. Toujours. Je regarde mon visage hâve, mais déjà moins tendu qu'à l'ordinaire. Visage de celui qui va trouver la paix. Pas trop tôt ! L'autre me nargue dans le miroir. Je le vois qui m’adresse un sourire moqueur.
D'un direct surpuissant, j'en brise la vitre. Je ris. La tête de l'autre s'est cassée en mille morceaux.

Je sors une boîte de pansements du placard à pharmacie, du coton, me fabrique une poupée informe. Regagne le petit salon, m'affale sur le divan.
C'est mon anniversaire. Vingt-quatre ans. J'ai acheté ce matin deux douzaines d'huîtres. Et une bouteille de vin. Je vais bouffer à m'en faire péter la bedaine.

Sur l'étagère, je prends une cassette vidéo, allume la télévision, donne la bande à manger au magnétoscope. . Dans un restaurant italien, deux chiens amoureux prennent dans le plat le même spaghetti et leurs lèvres finissent par se joindre. Ah ! leurs mines étonnées et ravies, quoiqu'un peu honteuses, quel touchant spectacle… D'une telle naïveté…

Je regardais cette même scène il y a dix ans. Quand l'étudiant de l'étage au-dessus était venu m'aider dans mon travail pour la première fois. Avec ses manières patelines, son sourire onctueux, il avait trompé maman. Ç'avait duré deux années scolaires. L'autre s'en souvient. Il n'a jamais essayé d'oublier. Moi, si. Quand j'avais fréquenté Véronique. Elle m'aimait mais l'autre l’avait frappée alors qu'elle glissait la main dans mon pantalon. Elle qui m'avait aidé, compris, avec laquelle j'avais retrouvé un peu goût à la vie. Du jour au lendemain, l'autre n'avait plus voulu la voir.

Terminées les balades bucoliques sur les rives de la Saône, main dans la main.
Je vais fêter dignement mon anniversaire. Et après le festin, je me débarrasserai de l'autre une bonne fois pour toutes !
Je suis sûr de moi.

« Il faut prendre confiance en toi. » Maman n'arrêtait pas de me le dire quand elle était encore là.

Confiance ! Deux mois déjà que je me suis procuré l'arme. Inspiration. Expiration.
Je rejoins la cuisine. Sifflote. Comme si rien d'extraordinaire ne devait se produire. Ne pas éveiller les soupçons de l'autre. S'il se rebellait ? S'il ne voulait pas mourir ?

Bientôt finies les luttes incessantes. Place à l'oubli. Au repos.
Je dresse la table, allume les chandelles. Ouvre tant bien que mal les huîtres, malgré ma blessure, débouche le vin, le verse dans une carafe. Les huîtres sont délicieuses et coulent toutes seules dans ma gorge. Le vin c'est « le bon Dieu en culotte de velours qui vous descend dans l'estomac ». Je souris.
Maman est là, en face de moi. Elle voudrait encore m'en empêcher, mais je la fais disparaître en clignant des yeux.

J'ai prévu d'attendre minuit. Un chiffre rond. J'ai toujours aimé les chiffres ronds.
Je déplie le mouchoir de soie. La délivrance est là, qui m'attend.
Il n'est pas en plastique, celui-là. Des scènes d'avant envahissent ma tête. Heureuses. Des jeux de vacances avec mon meilleur copain.
« Je vais t'avoir Stéphane, pas la peine de te cacher. » Mais ce n'est plus de l'eau que le pistolet lancera.

Je respire. Fort. Longtemps. Comme un apnéiste, j'emmagasine le plus d'air possible dans mes poumons.
J'embouche le canon. Maman revient et ouvre des yeux en boules de loto. J'entends sa voix qui dit non. Le contact du métal froid contre mes dents me surprend. Ma main tremble un peu.

« Alors ducon ! On croit qu'on a des couilles ? » dit l’autre.

Mon doigt appuie sur la gâchette, le coup part. La cervelle rouge de l'autre gicle sur le divan blanc.
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Message  Invité Mer 15 Aoû 2012 - 8:52

Magistral. Un sans faute.
C'est tout.

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Message  Jano Mer 15 Aoû 2012 - 9:11

Une histoire d'abus sexuel qui finit par un suicide. Intéressant mais c'est dommage que vous annonciez la couleur dès le début :  « je veux me libérer de l'autre. Et pour ça, une seule chose à faire ! ».
On comprend alors que le narrateur veut en finir avec la vie, oublier cette blessure qui le hante à travers "l'autre" et du coup on attend patiemment la fin, sans surprise. Je pense que le texte aurait été plus percutant si le suicide clôturait brutalement l'histoire.

Au niveau de la crédibilité du récit, il est très surprenant que la dichotomie sévère dont souffre le narrateur n'ait pas été traitée. Un tel traumatisme se répare, plus ou moins, par une psychothérapie et évite une issue aussi dramatique. Mais c'est de la fiction …

J'ai relevé quelques tournures surprenantes ou un peu maladroites :

« C'est le soir du grand soir »
«  ses manières patelines »
«  Ç'avait duré »
«  mes efforts détruits par un brocard »
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Message  Invité Mer 15 Aoû 2012 - 9:18

Épatant !
Très différent du ton auquel tu nous a habitué sur VE.
Peut-être eut-il été judicieux de le poster en aveugle.

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Message  Rebecca Mer 15 Aoû 2012 - 9:42

Un texte puissant, bien orchestré .
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Message  Invité Mer 15 Aoû 2012 - 16:40

Bien écrit ; atmosphère bien rendue ; mais deux douzaines d'huitres pour se faire péter la panse, je trouve ça un peu léger (ou alors avec des bulots, de l'aïoli, et du pain)

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Message  Gobu Mer 15 Aoû 2012 - 18:43

Même remarque qu'Aseptans. A Lugdunum, quand on on veut se faire péter le caisson, on pourrait tout de même faire ça en beauté. Un assortiment de saladiers lyonnais, une quenelle de brochet sauce Nantua, un gâteau de foies blonds, un gras-double avec beaucoup d'oignons, une bonne cervelle de canut et une pt'ite tarte aux pralines rouges, qu'y aye pas des pralines que dans le flingue. Des bricoles, quoi, sans oublier quelques pots de beaujolais. Tu me diras que vouloir se supprimer coupe l'appétit, oui mais alors à quoi bon ?

Bon je reconnais qu'à Lyon, parfois, au petit matin en fin d'automne quand la brume s'effiloche entre les piles du pont de l'Ile Barbe, que le vent d'est balaye la Place Bellecour en faisant tourbillonner les feuilles mortes, et que même les marchands de bugnes se rencognent frileusement sous leurs houppelandes trempées, on peut avoir des envies de se praliner la calbombe, mais enfin, un double café arrosé aux Négociants suivi d'une petite visite au Coude à Coude ou chez Chabert (hélas Léon a fermé depuis un bout de temps) et il n'y paraîtra plus. Le spleen lyonnais est soluble dans le mâchon.

Bon je rigole. C'est bien enlevé, implacable non sans une pointe de dérision, mais je reconnais que la littérature suicidaire, c'est pas trop ma tasse thé. Ce qui n'enlève rien à la qualité du texte.
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Message  Lucy Mer 15 Aoû 2012 - 19:12

Pas mal du tout, raconté sur un ton qui n'a rien de suicidaire. Le tout est bien amené, c'est un texte qui se lit et se suit sans déplaisir aucun... mais j'aime les torturés et, dans ce contexte précis, j'ai pas senti un type au bord du suicide. C'est difficile de pas se la jouer pathos quand on suit cette voie, et tu t'en es sorti plus que bien de ce côté-là. Seulement, j'ai rien ressenti niveau emphatie pour le personnage et, au regard de son passé, ça fonctionne pas à cent pour cent pour bibi.
Mais il reste que c'est bien écrit et agréable à lire.
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Message  Invité Mer 15 Aoû 2012 - 19:24

Gobu a écrit: [justify]
Bon je reconnais qu'à Lyon, parfois, au petit matin en fin d'automne quand la brume s'effiloche entre les piles du pont de l'Ile Barbe, que le vent d'est balaye la Place Bellecour en faisant tourbillonner les feuilles mortes, et que même les marchands de bugnes se rencognent frileusement sous leurs houppelandes trempées, on peut avoir des envies de se praliner la calbombe, mais enfin, un double café arrosé aux Négociants suivi d'une petite visite au Coude à Coude ou chez Chabert (hélas Léon a fermé depuis un bout de temps) et il n'y paraîtra plus. Le spleen lyonnais est soluble dans le mâchon.
Pas forcément d'accord ("Le spleen lyonnais est soluble dans le mâchon."), mais quel bel hommage !

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Message  Legone Mer 15 Aoû 2012 - 20:02


@ Gobu Marrant que tu parles de Chabert, j'y ai mangé hier une escalope à la crème arrosée d'un pot justement :o)
Easter est une pays aussi, c'est chouette. Magistral ? Je crois que tu te moques gentiment mais je ne t'en veux pas.
Faudra qu'on se fasse un gueuleton un de ces quatre.
Pour ce qui est de ce texte, je sais pas trop quoi en dire, sinon que je n'ai pas trop crû en ce personnage, comme le souligne justement Lucy. Je ponds trop vite et n'ai pas vraiment de méthode.
Ta remarque est juste A7ans, alors disons 12 douzaines ? :o)

Merci à Rebecca et Tizef d'avoir lu la chose itou.

@ Jano Merci de ta lecture et de ton commentaire
Il me semble que ce qui t'a paru bizarre ne l'est pas. Mais je peux me gourer.
Legone
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