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Dans un jardin près de chez vous

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Message  Attercap Jeu 11 Oct 2012 - 8:42

J'ai pris conscience de mon existence un petit matin de septembre. C'est venu un peu comme ça. Je crois que je serai bien incapable d'expliquer comment ou pourquoi : c'est arrivé, voilà tout.

Il faisait frais pour cette période de l'année, le soleil n'ayant pas encore réchauffé la terre de ses rayons timides. Je frissonnais. Il avait plu, le sol sentait bon la terre remuée. J'aime être matinale et contempler doucement le monde s'animer, le soleil se lever, les ramures s’égoutter doucement dans un bruit doux et régulier. Des plaisirs somme toute très simples : je ne suis pas difficile.

En même temps que la conscience de moi-même m'est venue la mémoire, puis, inattendus, des souvenirs épars, des bribes de vie passées. Pour un être figé comme je le suis, ce qui se rapporte à d'autres lieux devient l'objet d'un soin particulier, on le cultive avec dévotion, on bouture chaque image, chaque odeur, pour que dans le temps rien ne s'estompe. Car le présent sonde, creuse et retourne votre esprit pour s'y faire une place. Dans les sillons créés, il y plante de l'oubli, qui recouvre d'une couche grasse et trompeuse, couleur de mauvais goût, les éclatants coloris de vos instants passés, puis dépose un vernis, odieuse touche finale, qui donne a des kakis les plus beaux tons de vert : le tour est si bien joué que moi même pourrait m'y laisser prendre. Heureusement je ne suis pas dupe, et je lutte contre l'incessant courant qui nous noie doucement dans l'oubli.

Mes camarades de rangée demeurent silencieuses, il est tôt, elles doivent être encore endormies. Je profitais de n'être point démasquée pour les contempler longuement. Elles exposaient en lignes délicates leurs feuilles encore humides de la rosée du matin. Le cœur – jaillissement végétal – affichait son blanc pur avec fierté, puis subtilement, comme prenant vie, se teintait de pigments allant du vert croquant au vert très tendre. Les plus habiles d'entre nous jouaient sur les reflets, les transparences, se couvraient de superpositions qu'elles ôteraient une à une dans la journée en un effeuillage maîtrisé, pour le seul plaisir des oiseaux, du soleil et du vent.
J'admire cela, m'en sentant tout à fait incapable. Mais je ne les jalouse pas, car j'ai d'autres atouts : une grande sensibilité, une grande curiosité. Mais je l'avoue : j'aurai aimé être d'une élégance irréprochable, de celle qu'on n'oublie pas, qui laisse trace dans les mémoires. La mise parfaite de mes cousines proches, c'est vrai, peut susciter l'envie. Dans la brise, les plaisants froufrous de leurs feuilles ciselées m'évoquent les robes des bals anciens, frémissantes des lents mouvements des danseuses paradant leurs diamants sur gorge déployée. La musique du vent matinal, dans les ramures de mes altiers voisins, vaut bien une symphonie, aussi, n'aurions nous pas été figées que nous nous serions élancées, parées de la splendeur de nos joyaux, fussent-ils d'eau et de terre gelée.

Car je suis allée au bal, un jour. C'était une fin d'été, la lumière composait en teintes dorées qui, coulantes sur les feuilles, annoncent si paisiblement l'automne. Il s'y tenait ce soir-là une grande fête, une de celles capables de faire pulser le cœur d'une cité au rythme du pas des danseurs : toute la ville était à la liesse. Je n'avais jamais été aussi belle, exposée dans ma nudité la plus crue, sentant sous moi le bois frais mais rugueux d'une table sans doute princière, encerclée de candélabres hautains et peu loquaces. Je restais spectatrice, buvant les senteurs et les teintes des tissus déployés devant moi. Les gens allaient et venaient, chorégraphie permanente des gens de service, départs précipités des amoureux, valse langoureuse des maîtresses et amants, retard d'un musicien, arrivée d'un jeune élégant soudainement devenu centre de gravité. Toutes ces miraculeuses minutes ne m'ont alors semblé qu'être une procession d'étoffes admirables et de mets exquis : chaque seconde de ce luxe épongeait d'un iota mon insoupçonnée soif de plaisirs.

Après avoir goûté au sel de la vie, je retourne au sel de la terre. Je n'ai repris conscience de moi même que ce matin, dans la fraîcheur de l'aube. J'étais ici. Ce petit lopin que je fouille de mes racines me paraît maintenant bien triste, calme et silencieux. Déjà, je sens en mes tréfonds les ravages cruels du présent : celui-ci s'est fait chasseur. Je lutte, pourtant, qui peut gagner ? C'est inégal : bientôt la soirée sera oubliée. L'humus froid, entre mes racines, redeviendra mon unique horizon, puis, avec les souvenirs, disparaîtront conscience et discernement. J'aurai vécu. J'ai envie de gémir : c'est la douleur silencieuse d'un être immobile, noyé dans ses semblables par une froide matinée de septembre.


***

note au lecteur : j'ai du mal avec les temps (basculements entre présent et passé.) si vous tiquez faites le moi savoir.
si c'est trop verbeux : pareil. Je cherche à m'améliorer tout en trouvant mes aises.

Attercap

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Message  Invité Jeu 11 Oct 2012 - 9:03

Loin d'être verbeux, ton style m'a paru riche d'images délicates dignes d'un tableau impressionniste.
J'ai bien aimé l'effet de surprise qui vient après "mes camarades de rangée".
Et puis la pointe de nostalgie, à la fin, qui se marie bien à la saison automnale.
Belle écriture. J'ai aimé ce texte.

Au sujet des temps, rien ne m'a choquée, à la lecture. Il faudrait que je relise avec plus d'attention, puisque tu signales une difficulté !

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Message  Invité Jeu 11 Oct 2012 - 12:41

J'ai bien aimé la délicatesse de ce texte, avec la petite surprise en cours de lecture.
Mon passage préféré est celui de la fête ainsi que la fin avec cette triste et inéluctable réflexion existentielle.
Bravo pour ceci : "Après avoir goûté au sel de la vie, je retourne au sel de la terre."

L'expression est parfois fleurie mais n'empêche pas non plus des passages plus sobres, un bon équilibre dans l'ensemble je trouve.


Ci-dessous quelques remarques de forme :

Je crois que je serai bien incapable d'expliquer comment ou pourquoi ("serais", conditionnel présent)

Dans les sillons créés, il y plante de l'oubli, qui recouvre d'une couche grasse et trompeuse, couleur de mauvais goût, les éclatants coloris de vos instants passés, puis dépose un vernis, odieuse touche finale, qui donne a des kakis les plus beaux tons de vert (peut-être faire deux phrases et varier la structure ?)

Mes camarades de rangée demeurent silencieuses, il est tôt, elles doivent être encore endormies. Je profitais de n'être point démasquée pour les contempler longuement. Elles exposaient en lignes délicates leurs feuilles encore humides de la rosée du matin. Le cœur – jaillissement végétal – affichait son blanc pur avec fierté, puis subtilement, comme prenant vie, se teintait de pigments allant du vert croquant au vert très tendre. Les plus habiles d'entre nous jouaient sur les reflets, les transparences, se couvraient de superpositions qu'elles ôteraient une à une dans la journée en un effeuillage maîtrisé, pour le seul plaisir des oiseaux, du soleil et du vent. (là il y a un problème de temps, le basculement à l'imparfait ne se justifiant pas puisqu'il ne décrit pas une action antérieure à la première phrase ; le présent convient parfaitement à tout le paragraphe)

Mais je l'avoue : j'aurai aimé être d'une élégance irréprochable, ("j'aurais aimé" conditionnel passé)

La musique du vent matinal, dans les ramures de mes altiers voisins, vaut bien une symphonie, aussi, n'aurions nous pas été figées que nous nous serions élancées, parées de la splendeur de nos joyaux, fussent-ils d'eau et de terre gelée. (là, je trouve la phrase pesante, longue, avec trop de subordonnées ; et pas de virgule après "aussi")

chaque seconde de ce luxe épongeait d'un iota mon insoupçonnée soif de plaisirs. (juste le mot "iota" qui sonne bien peu "poétique" ici ; "d'un brin" peut-être ? ;-))

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Message  Rebecca Jeu 11 Oct 2012 - 19:48

Ah être plantée là à végéter, être sans souci, lys et insensible , et renaitre en pensée !
Fleur avez vous une âme ? Une conscience, un inconscient ?
(tiens Iris a aimé ce texte...)
J'ai apprécié le déroulé de cette minuscule épopée, cette immersion au ras des paquerettes mais raffinée dans sa description, ce subtil dérèglement de l'ordre naturel des "choses"
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Message  Attercap Dim 14 Oct 2012 - 17:10

C'est amusant qu'on pense à des fleurs. J'ai toujours pensé à une salade, personnellement.
Merci pour les commentaires et pour les remarques. Effectivement c'est moche pour les fautes et la confusion des temps..
Les phrases trop longues ont été corrigées, le second "qui" était depuis longtemps en balance avec un "et" a perdu la bataille.

Mais j'aime toujours le mot "iota." Il n'est pas poétique mais mélodieux

Attercap

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Message  Septembre Lun 15 Oct 2012 - 10:48

J'ai aimé ce texte, sûrement parce que j'y retrouve des images qui me sont chères et me touchent : la fin de l'été, le déploiement de la conscience, le sentiment d'une présence presque végétale. Comme l'a souligné quelqu'un au dessus, il y a beaucoup de délicatesse, je vois des plantes grandir, se nouer et se dénouer dans la lumière du matin et je connais ces sensations.
Il y a cependant quelques tournures qui me dérangent, parce qu'éculées et légèrement naïves, elles ont tendance à interrompre la grâce, la suspension du reste : par exemple "les rayons timides du soleil" ou encore "je suis allée au bal" (je n'aime pas l'imaginaire de la jeune fille en fleur (sans mauvais jeu de mot) au bal - je trouve cela agaçant). En revanche je n'ai pas trouvé ça verbeux. L'écriture est fluide. J'aime bien, je relirai.
Septembre
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Message  Invité Ven 19 Oct 2012 - 14:06

La fervente jardinière que je suis ne peut qu'apprécier ce texte plein de fraîcheur et de grâce. J'aime particulièrement que, sans appuyer, tu laisses dans le flou l'identité de la narratrice ( j'ai aussi pensé Salade pour revenir à Fleur car j'imaginais mal une salade sur une table lors d'un bal, surtout remise en terre ensuite !
Tu ne joues pas non plus sur un mystère qui serait vite éventé, en cela c'est parfait : on ne sait pas vraiment qui parle, mais on est sûr qu'il s'agit d'un végétal. Le vocabulaire, toujours à mi-chemin entre domaine botanique et domaine humain est très bien dosé.
Je n'ai à aucun moment coincé sur l'emploi des temps, en revanche, je tique sur la redondance ici La fervente jardinière que je suis ne peut qu'apprécier ce texte plein de fraîcheur et de grâce. J'aime particulièrement que, sans appuyer, tu laisses dans le flou l'identité de la narratrice ( j'ai aussi pensé Salade pour revenir à Fleur car j'imaginais mal une salade sur une table lors d'un bal, surtout remise en terre ensuite !
Tu ne joues pas non plus sur un mystère qui serait vite éventé, en cela c'est parfait : on ne sait pas vraiment qui parle, mais on est sûr qu'il s'agit d'un végétal. Le vocabulaire, toujours à mi-chemin entre domaine botanique et domaine humain est très bien dosé.
Je n'ai à aucun moment coincé sur l'emploi des temps, en revanche, je tique sur la redondance iciLa fervente jardinière que je suis ne peut qu'apprécier ce texte plein de fraîcheur et de grâce. J'aime particulièrement que, sans appuyer, tu laisses dans le flou l'identité de la narratrice ( j'ai aussi pensé Salade pour revenir à Fleur car j'imaginais mal une salade sur une table lors d'un bal, surtout remise en terre ensuite !
Tu ne joues pas non plus sur un mystère qui serait vite éventé, en cela c'est parfait : on ne sait pas vraiment qui parle, mais on est sûr qu'il s'agit d'un végétal. Le vocabulaire, toujours à mi-chemin entre domaine botanique et domaine humain est très bien dosé.
Je n'ai à aucun moment coincé sur l'emploi des temps, en revanche, je tique ici
Dans les sillons créés, il y plante de l'oubli
: soit dans les sillons crées, il plante de l’oubli, soit Les sillons crées, il y plante de l’oubli, mais pas ce y redondant
Et un petit peu sur le tout début :
Il faisait frais pour cette période de l'année, le soleil n'ayant pas encore réchauffé la terre de ses rayons timides
( dans la même phrase, tu fais référence à des périodicités différentes : époque de l’année et ensuite, implicitement matin. Mais ce n’est pas clair : on attribue le réchauffement à ce qui a été explicitement nommé, la période − et en automne, le soleil a eu tout le printemps puis tout l’été pour réchauffer le sol…)
Mais ce sont des détails dans un texte très plaisant.

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Message  Invité Ven 19 Oct 2012 - 14:23

J'ai savouré comme ils le méritent les états d'âme de cette laitue.
L'écriture est aussi fraîche, aussi naturelle, aussi savoureuse qu'une salade de saison.
Bravo, et merci pour ce bon moment

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