La maison de Dinard
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CROISIC
Ba
6 participants
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La maison de Dinard
- As-tu pensé aux clefs ?
- Bien sûr
- De la cave aussi ?
- Aussi
- Du portail de Mme Range ?
- Comment les oublier...
Ils partent, droit devant. La période est ouverte, les saisons donnent aux voyages un laisser passer généreux qui n'en demandait pas tant.
Madame Mère, l'œil ouvert, scrute les enfilades asphaltées qui lui donneront le vertige comme chaque année.
Les enfants somnolent. Mèches penchées sur le front poli. Cils battant l'attente d'une tranquille assurance.
Ils entendent rouler les vagues froides et troubles qui ne les attendent pas.
Les pierres de la maison chuchotent " merde, les revoilà"...
Elles ignorent qu'ils arrivent vifs et plein d'entrain; fiers d'avoir lutté de longs mois contre l'épouvantable chute des nuages.
Le dérèglement infâme des épouvantails à vie qui prétendent que les corbeaux peuvent nicher dans les sillons.
L'esprit troublé.
Une lente montée de bile dans la gorge fait crachoter le père.
La mère, drapée de dignité, serre ses longs doigts nerveux. Etranglement des déviants entre ses bagues d'or et de brillants certifiés.
Comme si.
- J'ai hâte d'arriver
- Moi aussi
- Retrouver l'air salé du jardin
- Tes roses épanouies
-Fanées tu veux dire, je suis sûre que Mme Range a encore oublié de couper la fleur au deuxième nœud...
Une fine pluie d'été plie l'horizon. Les essuie-glace poussent leur ballet sans diluer la vue.
Et puis voici que l'on quitte les grands bras des autoroutes maigres, l'on virage et l'on freine.
Tout le monde descend.
Les portières claquent.
Les bagages craquent.
Madame mère déplie ses os acides.
Les enfants courent vers la maison. Cheveux nets. Yeux impeccables. Manières rangées.
Le temps sirote ses effets.
La porte chahute les arrivants.
L'on discerne à peine les quelques cernes sous les rides poudrées.
-Nous y sommes
-Enfin !
Vive les longues perspectives de vies mouillées au port; le paisible démâtement des rigueurs, le repos mérité des guerriers du bitume.
Quelques bouts de mots chiffonnés s'enroulent ailleurs.
Leur sens désormais se confond avec le souvenir.
Le temps enveloppe ses effets.
La maison de Dinard en ouvrant ses portes referme là-bas les cris convenus.
Ne reste plus à Madame Mère qu'à reprendre souffle le cœur au bord du vide...
Le titre, et une partie du contenu, sont inspirés par François Reynaert et Carole.
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: La maison de Dinard
beau texte qui donne envie de ne surtout jamais rencontrer ces gens là... au fait, ils ressemblent un peu à X, et à Y aussi, à moi un peu... merde alors !!!
Re: La maison de Dinard
Dinard est une petite ville empesée de mauvaises bonnes manières et de ragots farineux !
Invité- Invité
Re: La maison de Dinard
J'en oublie de te dire combien j'ai apprécié ce texte acidulé à la cinétique impeccable !
Invité- Invité
Re: La maison de Dinard
N'y ayant mis les pieds qu'une fois, je n'ai plus trop de souvenirs de Dinard. Du reste, ton texte me suffit. Excellent ! J'ai relevé ceci : " le paisible démâtement des rigueurs ". Très imagé, bien vu.
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 46
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: La maison de Dinard
J'ai adoré naviguer dans cet univers amer, acide, caustique, truffé d'observations au scalpel. On imagine une famille rigide, dominée par une femme aigre, aigrie. Un mari qui rumine sa bile, et des enfants, fins observateurs.
Belle maîtrise du style aussi, avec de très beaux passages.
Belle maîtrise du style aussi, avec de très beaux passages.
Invité- Invité
Re: La maison de Dinard
Ah bé que voilà un bon et biau texte. Acidulululé et très finement observé et rendu. Hé hé, la famille cigües est en wacances et « le paisible démâtement des rigueurs, le repos mérité des guerriers du bitume » peut enfin commencer.
Invité- Invité
re : La maison de Dinard.
J'ai aimé les "tournures de phrases" qui inversent le sens, l'abstrait souvent devenant sujet. Concis. Une poétique au couteau. Un œil sans complaisance. Revigorante lecture.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: La maison de Dinard
Ils existent, je les ai vus, rencontrés, à Dinard ou (et !) ailleurs.
Et comme dit Croisic, soyons honnêtes, peut-être bien que des bouts d'eux nous ressemblent un peu beaucoup, selon les jours et au gré des circonstances.
Outre ces oiseuses considérations sur la nature humaine, je salue une fois encore l'écriture singulière, le sens de la formule, le verbe qui claque et ne déborde pas, tout ça tout ça... De l'excellent travail.
Et comme dit Croisic, soyons honnêtes, peut-être bien que des bouts d'eux nous ressemblent un peu beaucoup, selon les jours et au gré des circonstances.
Outre ces oiseuses considérations sur la nature humaine, je salue une fois encore l'écriture singulière, le sens de la formule, le verbe qui claque et ne déborde pas, tout ça tout ça... De l'excellent travail.
Invité- Invité
Re: La maison de Dinard
"La période est ouverte, les saisons donnent aux voyages un laisser passer généreux qui n'en demandait pas tant."
"Ils entendent rouler les vagues froides et troubles qui ne les attendent pas."
"Le dérèglement infâme des épouvantails à vie qui prétendent que les corbeaux peuvent nicher dans les sillons."
"Une fine pluie d'été plie l'horizon. Les essuie-glace poussent leur ballet sans diluer la vue.
Et puis voici que l'on quitte les grands bras des autoroutes maigres, l'on virage et l'on freine.
Tout le monde descend.
Les portières claquent.
Les bagages craquent.
Madame mère déplie ses os acides."
"Vive les longues perspectives de vies mouillées au port; le paisible démâtement des rigueurs, le repos mérité des guerriers du bitume."
"Ne reste plus à Madame Mère qu'à reprendre souffle le cœur au bord du vide..."
de tout ça, je garde l'envie de lire les prochains rejetons.
comme ce texte est affuté!
ça grince, mais la poésie dans tes coups de pinceau arrondit l’acidité des angles.
le tout est un régal, et je vois bien Isabelle Huppert jouer dans cette séquence là.
peut être ais-je remarqué qu’il y a trois fois « l’on ».
à part ce détail, je suis conquise.
"Ils entendent rouler les vagues froides et troubles qui ne les attendent pas."
"Le dérèglement infâme des épouvantails à vie qui prétendent que les corbeaux peuvent nicher dans les sillons."
"Une fine pluie d'été plie l'horizon. Les essuie-glace poussent leur ballet sans diluer la vue.
Et puis voici que l'on quitte les grands bras des autoroutes maigres, l'on virage et l'on freine.
Tout le monde descend.
Les portières claquent.
Les bagages craquent.
Madame mère déplie ses os acides."
"Vive les longues perspectives de vies mouillées au port; le paisible démâtement des rigueurs, le repos mérité des guerriers du bitume."
"Ne reste plus à Madame Mère qu'à reprendre souffle le cœur au bord du vide..."
de tout ça, je garde l'envie de lire les prochains rejetons.
comme ce texte est affuté!
ça grince, mais la poésie dans tes coups de pinceau arrondit l’acidité des angles.
le tout est un régal, et je vois bien Isabelle Huppert jouer dans cette séquence là.
peut être ais-je remarqué qu’il y a trois fois « l’on ».
à part ce détail, je suis conquise.
Invité- Invité
Re: La maison de Dinard
Juste un petit mot pour vous dire que j'aime votre écriture singulière et poétique. J'ai souri à l'irruption de cette phrase : les pierres de la maison chuchotent, merde, les revoila... sinon, il me faudrait citer tout le texte.
Invité- Invité
Re: La maison de Dinard
C'est grinçant, acéré comme j'aime et en même temps, il se dégage une certaine forme d'amour pour ces gens. Peut-être parce qu'il y a une (petite ?) part de nous en eux ou de deux en nous. Sans doute aussi parce que ces maisons, d'une manière ou d'une autre, finissent toujours par se rappeler à nous, maintenant ou plus tard. Et je trouve que tu arrives avec justesse, pudeur et subtilité, à nous faire deviner les poids de ces souvenirs en cours de création, de ces destinées anodines qui marquent toutefois les esprits.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: La maison de Dinard
Ceci est magnifique.Ba a écrit:Le dérèglement infâme des épouvantails à vie qui prétendent que les corbeaux peuvent nicher dans les sillons..
et ceci succulent, l'art du petit détail qui crée de suite un portrait, un décor, une situation. Bien joué.-Fanées tu veux dire, je suis sûre que Mme Range a encore oublié de couper la fleur au deuxième nœud....
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: La maison de Dinard
Je ne rajouterai rien de plus, sinon que j'apprécie et admire ton art de la nuance. Quel camaïeu de sensations avec une palette lexicale restreinte!
Funambule sur le fil de l'histoire...
Funambule sur le fil de l'histoire...
Polixène- Nombre de messages : 3287
Age : 61
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
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