Journal réel : mardi

il y a la place avec ses palmiers malades, dont certains ont été coupés à hauteur de taille et creusés en forme de fauteuil, trempés encore des pluies de ce printemps. il y a les filles du café des Cinq Continents qui fument dehors avec des jeunes hommes aux cheveux courts ou coiffés en iroquois. il y a la mer à gauche. il y a la descente en ciment vers le parking avec l'affiche du boxeur, une tête ronde d'enfant comme ils en ont souvent, à peu près celle qu'ils avaient à 7 ans et la même expression, les arcades sourcilières abîmées, les mains bandées de noir mais non gantées, et l'arrondi superbe de l'épaule, flou.
à l'intérieur, rafraîchissants comme une buée de petit jour, on entend des chants d'oiseaux enregistrés, en l'honneur du mois de la poésie. le béton gris, les odeurs de détergent parfumés et les rais de peinture colorés sur le sol, les voitures silencieusement rangées comme chevaux dormant debout, le mouvement de mes jambes marchant sous la voûte basse et mon trousseau de clefs qui fait son bruit. il y a aussi tout ce que je pense, tout le temps, ceux à qui je pense, et il y a moi moi moi
moi, qui cliquète et tinte sans repos

Effectivement, ça fait un peu journal intime. Je vous vois bien assis à la terrasse d'un café, un carnet dans les mains, en train de croquer ces scènes de vie. On commence d'ailleurs à bien percevoir votre style, fait de courts extraits de l'existence, rapidement brossés. Du coup, même remarque que la dernière fois ; des bribes aussi lapidaires ne peuvent rester longtemps dans les mémoires. Aussitôt lues, aussitôt oubliées !
(Pourquoi cette absence de majuscules ?)

Pas grand-chose à en dire, sinon que c’est plaisant à lire. Continuez donc à cliqueter et tinter. :-)

C'est intéressant ce que vous me dites, parce que ces bribes, nombreuses maintenant, que j'ai appelées "journal réel", c'est à postériori que je les écris et donc, justement, c'est qu'elles ont particulièrement marqué ma mémoire. J'essaie de me replonger dans le moment et de le décrire aussi fidèlement que possible.
A postériori aussi je me demande : pourquoi ce moment-là ? Souvent je trouve des choses.
Ici, il y a l'idée que mon monologue intérieur incessant me décolle de la réalité, et que l'affiche du boxeur, les chants d'oiseaux enregistrés, les parfums synthétiques de détergents venaient faire un contrepoint assez amusant et pas désagréable à cette "fausseté" d'être là.

Les minuscules c'est parce qu'il y a quelque chose d'un peu murmurant dans ces bribes, comme une histoire qu'on se répète à mi-voix.

J'entends bien que cette scène ne marque pas la mémoire du lecteur, qu'elle ne porte pour lui aucun sens décelable et donc s'enfuit aussitôt (e ne serait d'ailleurs pas forcément un défaut à mes yeux).
Peut-être il faudrait que je les rassemble pour qu'elles ne semblent pas aussi in-signifiantes, ou qu'elles produisent une musique.
Ou mettre un titre à celle-ci......par exemple : la reproduction ?

seyne a écrit:
il y a la place (…).
il y a les filles  (…).
il y a la mer (…).
il y a la descente en ciment (…).

à l'intérieur, rafraîchissants comme une buée de petit jour, on entend des chants d'oiseaux enregistrés, en l'honneur du mois de la poésie. le béton gris, les odeurs de détergent parfumés et les rais de peinture colorés sur le sol, les voitures silencieusement rangées comme chevaux dormant debout, le mouvement de mes jambes marchant sous la voûte basse et mon trousseau de clefs qui fait son bruit.

il y a aussi tout ce que je pense (…)
il y a moi (…)

Je me lance et essaye mon premier commentaire typo ;-)
Je ne suis franchement pas fan du texte dans l'état où tu nous le livres. mais il me semble percevoir la recherche.
C'est un mélange et tu tentes —à mon avis— trop d'expériences en même temps.
Toutefois, c'est comme un croquis. Il est peut-être maladroit mais j'aime bien le sujet choisi.
J'aurais moi-même fait ce croquis, je crois que je me dirais “jette et recommence“.
Ne te contente pas de cliqueter et tinter, écris aussi sans repos… Et évite le piège de l'accumulation : chaque fragment doit posséder sa force propre.

Ah ! dernière chose : pourquoi envisager ce titre “la reproduction“? Si tu en sais le sens, peux-tu l'éclairer ?

"reproduction" c'est une plaisanterie sur les deux sens du mot : à cause des garçons et filles du début, affairés à la séduction, et puis de tous ces "simili"....

Les minuscules c’est parce qu’il y a quelque chose d’un peu murmurant dans ces bribes, comme une histoire qu’on se répète à mi-voix.
C’est bien comme cela que je les ai perçus. Pour moi il n’y a rien à changer

Moi non plus, je ne trouve pas matière à changer quoi que ce soit : c'est très bien comme ça ! Oui, ça murmure, de façon très intime et avec un ton très personnel, ça me parle bien et même si je ne sais pas où ça va, je me laisse volontiers emmener, comme par une voix amie...
Continue, tous tes petits morceaux finiront bien par dessiner quelque chose - et de toute façon, ça ne ressemblera qu'à toi !

Quand c'est bien on sait le dire aussi.
Bien aimé pour plusieurs raisons, la dernière phrase n'étant pas la moindre, le choix des deux verbes, avec le renvoi à ce détail intrigant (les clefs) ; quelque chose de légèrement dérangeant dans ce que le "sans repos" induit d'une certaine agitation du narrateur, en contraste avec le côté statique de ce qu'il décrit.  
La construction en "il y a", me paraît judicieuse, neutre - l'observateur qui rend compte, son regard, son attention à ce qui l'entoure.

Je suis personnellement friande de ce genre de fragment, d'instantané à peine retouché, qui en disent plus long que certains textes délayés, et laissent donc une impression d'ensemble évocatrice d'un lieu, d'un moment, d'un narrateur.

"le béton gris, les odeurs de détergent parfumés "

L'écho final du trousseau ("fait son bruit" / "moi, qui cliquète et tinte") me plaît bien car il figure le sens même de la démarche d'écriture. C'est comme l'ouverture potentielle d'une porte, comme un point de passage du matériel vers le spirituel. Pour la procédure générale, il s'agit d'abord de décrire ce qui est à distance afin de mieux revenir vers soi.

La construction syntaxique des trois premières phrases dessine un appauvrissement progressif de la complexité (relative et participiale - "dont", "trempés" - dans la première, relative seule - "qui" - dans la seconde, troisième phrase réduite à sa plus simple expression). La dernière phrase, au contraire, est marquée par une inflation de détails. Particulièrement étoffée, elle se développe en plan resserré, par juxtaposition d'éléments.

Dans la seconde partie du texte, la locutrice effectue un retour sur elle-même par ce "on" qui ouvre un cercle plus large de sensations (ouïe : "entend", "fait son bruit", odorat : "odeurs", vue : "colorés", toucher : "marchant"). L'expression "tout le temps" est construite comme une incise, en balancier entre les choses ("tout ce que je pense") et les êtres ("ceux à qui je pense").

Merci pour le partage !