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Un matin comme les autres, ou presque

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Un matin comme les autres, ou presque Empty Un matin comme les autres, ou presque

Message  Pussicat Dim 5 Jan 2014 - 12:29

- Tu vas pas t'y remettre ?

A peine sortie du lit, Béa fonça dans la cuisine se préparer un café bien costaud, le genre de boisson que les mineurs russes s'envoyaient dans le gosier au siècle dernier tôt le matin histoire de se réchauffer la couenne et le moral par la même occasion ; rien de mieux qu'un grand russe bien noir pour se remettre les idées en place et se catapulter dans le jour qui se lève à peine... avec peine, comme si la nuit n'avait pas l'intention d'aller se coucher ailleurs.

- Je pensais que tu avais arrêter de boire.
- Encore une bonne résolution qui tombe à l'eau.
- Si tu t'imagines, Béa, si tu t'imagines qu'ça va t'aider à trouver l'inspiration, tu te le mets très profond et pas la peine d'aller chercher bien loin, il suffit de lire ton dernier œuvre... c'est quoi le titre déjà ? L'homme qui n'avait pas sa dose, un truc dans le genre, parce que là on frise le ridicule. T'as pas honte de poster des... tiens, c'est bien la première fois que les mots me manquent...
- Facile... je le sais, ce texte est...
- Nul ! nul, un point c'est tout. Après plus rien, après le point : rien ! aucune émotion et tu sais pourquoi ? parce que tu ne sais pas attraper les mots qu'il faut, tu ne sais pas les emboîter comme dans un jeu de mécano, tu me suis là ? imagine un système avec son soleil, ses planètes, ses exoplanètes, et toutes ces galaxies, ces milliards de galaxies avec autant de personnages, de lieux, d'actions, d'interactions, de jeux, de rôles, de styles, de formes, de rythmes, de souffles, d'élans, de magie, de musique, de poésie, bref tout ce qui t'est étranger, et une fois imaginé ce magma tu plonges dedans, tu me suis toujours, tu plonges dedans. Et dire... tout ce temps passé depuis... on ne compte plus hein Béa, quand on aime on ne compte pas, tout ce temps passé à noircir des feuilles, et maintenant assise devant ton portable...
- Faux ! j'écris encore à la main.
- Ah, la belle affaire ! dans le bus, le train, tu pensais que je t'avais pas observé, toujours les mêmes manies depuis l'adolescence : carnet, crayon, stylo en poche. Tu veux que je te dise : t'es une énigme, ris pas c'est la réalité, la tienne, et elle est pitoyable. Tu es une énigme, ou une maso, ou des deux, une chose vivante et pensante qui aime à se faire mal. Certains s'entaillent les bras mais juste ce qu'il faut, surtout ne pas toucher au vital, la mort ici est hors-jeu, il s'agit de s'entailler méthodiquement le plat des bras, ils y arrivent avec le temps on arrive à tout...
- Alors, pourquoi je n'y arriverai pas moi, avec le temps...  
- Attends, je finis tu permets ! c'est un coup de main à prendre, ils se mutilent suffisamment pour ressentir la douleur et laisser ainsi s'échapper l'angoisse. D'autres se goinfrent comme des gorets pour se faire dégueuler dans l'heure qui suit, tout est affaire de temps - encore - éviter la digestion, ça c'est primordial. On peut les juger, les classer, mais au moins ils touchent à leur but, eux. Alors que toi...

Béa ouvre son portable, avale une rasade du breuvage et profite du temps d'allumage pour s'en griller une.

- C'est quoi ces façons, tu pourrais m'écouter quand je te parle ?
- C'est pas ce que je fais depuis mon réveil, mais si tu me dis le contraire, je signe tout de suite.
- Eh non, ça marche pas comme ça, désolé pour toi, va falloir me supporter encore longtemps...
- Et si j'augmentais ma consommation d'alcool ?
- Finir comme une épave ?
- T'oublies la clope
- Là je reconnais une faille, mais la recherche avance et j'ai foi en tous ces petits cerveaux qui bouillonnent, pas comme le tien... Béa ? Béa... ? tu boudes... ? allez, tu me connais, je te taquinais... et puis qui d'autre que moi peut te faire la conversation, je te connais par cœur... mais qu'est-ce qu'il se passe ? je me sens léger, j'ai l'impression de me dissoudre... je te vois... Béa ? tu n'aurais pas fait ça... qu'est-ce que tu as mis dans ton verre ?... Béa ? Béa ?

Ding ding ding ding... ding ding ding ding...
- Pffff ! Faut absolument que je change cette sonnerie j'en peux plus, je n'en peux plus !
- C'est pas la sonnerie, c'est le réveil. Toujours difficile le réveil, c'est comme une naissance, on s'arrache à la nuit, au rêve... savais-tu que la majorité de nos rêves étaient des cauchemars...
- J'ai fait un rêve cette nuit, brrrr, une horreur, je préfère ne pas y penser... tiens, et si je me préparais un russe noir, ça fait longtemps.
- Tu te remets à la boisson ? clope, alcool, tu veux jouer aux écrivains maudits, pour ça il faudrait que tu les sortes les mots, dis ! et c'est pas gagné... comment s'appelle ton dernier texte : L'homme qui n'avait pas sa dose, un truc dans le genre ? façon on s'en fiche, le titre comme le texte sont nuls, essaie les drogues on ne sait jamais, certains y on trouvé leur compte.
- Et si j'allais me recoucher.
- Bonne idée, comme ça tu éviteras de faire perdre du temps à un paquet de gens prêts à lire n'importe quoi.
- Je t'emmerde.
- Pas mieux !
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Un matin comme les autres, ou presque Empty Un matin comme les autres, ou presque II

Message  Pussicat Dim 5 Jan 2014 - 17:07

- Tu vas pas t'y remettre ? J'en étais sûr, t'es mordue toi, comme le cocu à sa femme, un jour à sa fin, une nuit à ses rêves, bringuebalée dans le cosmos, arrimée à ta planète comme la moule sauvage de Gobu, petite si petite mais si fièrement scotchée à son bout de cailloux verdâtre et mousseux – attrape-moi si tu peux – que je sais pas quel goût elle a mais ça doit valoir le détour... seulement tu es tout sauf une sportive toi.
- Oh, oh, oh... qu'est-ce que tu fais ?
- Quoi ?
- Tu touches au suprême là, à la crème des texteurs !
- Justement et suprêmement, tu ferais mieux d'en prendre de la graine.
- J'essaie qu'est-ce tu crois ? que je me nourris de petits poissons, que je bois à n'importe quelle source ?
- Et ?
- Je vais allez faire une sieste.
- Très bonne idée la sieste...
- C'est bon pour la digestion, je sais...
- Pas seulement, ça remet les idées en place aussi.
- Huit lettres.
- Pas mieux.
- Fatiguée.
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Un matin comme les autres, ou presque Empty Re: Un matin comme les autres, ou presque

Message  jfmoods Lun 6 Jan 2014 - 12:18

Ton texte, ce petit dialogue intime suffisamment explicite, m 'a rappelé, parce qu'il se situe sur un terrain psychologique, la trame du roman "Moi et lui" de Moravia. Un cinéaste ("Moi") qui peine à sortir de l'anonymat mène une discussion à bâtons rompus avec son pénis ("Lui"). Le personnage s'est mis dans la tête que s'il se restreignait à une chasteté totale, il pourrait transférer ses pulsions sexuelles (elles sont fortes et multiples) vers le film qu'il s'apprête à tourner et, ainsi, se sublimer pour créer une oeuvre majeure. Évidemment, son pénis refuse de se serrer la ceinture et l'histoire vire rapidement à une gigantesque farce pleine d'auto-dérision sur la création et l'artiste. Entre le "moi" et le "ça", le combat est perdu d'avance.

J'en arrive maintenant à ton texte, qui se situe à un autre niveau, au niveau supérieur, je dirais. Le dialogue que tu mets en scène ici s'établit entre le moi et le surmoi. Le surmoi, ce censeur invétéré ("Tu vas pas t'y remettre ?", "Finir comme une épave ?"), ce castrateur ("Nul ! Nul, un point c'est tout."), ce provocateur ("... tu veux jouer aux écrivains maudits, pour ça il faudrait que tu les sortes les mots...", "… essaie les drogues on ne sait jamais...") qui, par le biais d'une interminable énumération, te présente l'obstacle comme un défi insurmontable ("un système avec son soleil, ses planètes, ses exoplanètes.... bref tout ce qui t'est étranger..."), mais qui sait toujours te récupérer, te circonvenir, se faire pardonner lorsqu'il est allé trop loin dans ses attaques ("Béa ? Béa... ? tu boudes... ? allez, tu me connais, je te taquinais...").

Alors, oui. Il s'agit bien, là aussi, d'un combat. Le "ou presque" du titre laisse cependant subodorer au lecteur que cette prise de bec n'est, fort heureusement, pas quotidienne.
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Un matin comme les autres, ou presque Empty Re: Un matin comme les autres, ou presque

Message  Ba Sam 11 Jan 2014 - 10:38

J'aime bien le " je t'emmerde " il résume ces dialogues de sourds entre soi et soi, soi et l'autre, bref, toutes ces évaluations de nos raisons d'être au monde indifférent.
Il contient également ce discret " je m'emmerde " qui lui, ne souffle ni le chaud ni le froid et laisse souvent la muse en panne...
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Un matin comme les autres, ou presque Empty Re: Un matin comme les autres, ou presque

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