Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -28%
Précommande : Smartphone Google Pixel 8a 5G ...
Voir le deal
389 €

Il faudrait suivre une étoile

5 participants

Aller en bas

Il faudrait suivre une étoile Empty Il faudrait suivre une étoile

Message  Invité Mar 4 Fév 2014 - 13:57

Il faudrait suivre une étoile.


Le jour doit déjà être bien avancé. Il progresse dans le brouillard.

Il marche dans cette fine cendre depuis un temps indéterminable. La platitude du sol paraît infinie.

L'absence d'horizon causée par l'épaisse fumée blanchâtre qui recouvre tout semble ne jamais devoir se dissiper. La luminescence irradiée par cette brume devant, derrière et dessus permet juste d'y voir à deux mètres environ.

En bas, le sol est le seul repère.

Encore cette lumière n'est-elle qu'une zone sphérique autour de son corps qui marche.
Est-il bien certain que ce soit le jour ; ou bien quelque phénomène comparable à la radiation d'un objet phosphorescent ? Une sorte de bulle de luminescence qui avancerait avec lui ? Un halo? Une aura? Peut-être n'y aura-t-il plus jamais de nuit ?

Depuis qu'il a commencé à marcher, il s'est essentiellement concentré sur les traces que ses pas laissent derrière lui dans la poussière. Il essaye de marcher droit, afin de ne pas tourner en rond, comme il sait que le font les voyageurs égarés dans le désert. Pourquoi être entré là dedans, et comment ? Il ne s'en souvient plus. Il sait encore confusément qu'avant, il y a eu des couleurs, des bruits, des gens. Mais c'est quoi exactement une couleur déjà ? Est-ce comme un bruit ? Est-ce son corps ? Est-ce le corps d'autres gens ?

Il faudrait suivre une étoile.

De préférence le soleil, ou bien la Polaire ; ou la croix du sud, selon où l'on se trouve sur terre ; si c'est le jour ou la nuit.
Mais il ne sait pas où il se trouve. Est-il seulement encore sur une planète ? Elles doivent pourtant bien être quelque part là haut les galaxies, les super novas et les myriades de myriades d'astres lumineux. S'il existe un au delà à ce profond plafond opaque. Ou, aussi, pourquoi pas, au revers de ce sol interminable. Il commence à douter. La réalité serait-elle passée de l'autre côté du plancher ?

Sous la poussière que fait voleter ses semelles, il sent comme de la terre battue, ou du ciment, ou bien encore, et à la rigueur, du goudron, mais bien lisse.

Quant au silence… Inutile d'appeler, de crier. Tout est absorbé. Il croit voir les rares bruits qu'il fait, tomber comme des matières vagues et friables pour se confondre instantanément avec la poussière du sol. Le bruit paisible de sa respiration, le frottement régulier de ses semelles. C'est tout.

Il ne fait pas chaud. Il ne fait pas froid. L'atmosphère n'est ni sèche ni humide. La fumée n'a pas vraiment d'odeur, elle ne pique pas les yeux et la poudre au sol ne voltige pas et ne lui irrite pas la gorge.

Pourquoi être entré là dedans ? Au départ, il croit se souvenir qu'il n'était pas seul. Il y avait aussi  ici et là quelques ombres fantomatiques qui se devinaient : Maisons ? Avions ? Navires ? Et à présent plus rien depuis des heures et des heures.

Jusqu'au souvenir du but à atteindre qui s'est enseveli. L'ultime recours serait de faire demi tour pour suivre sa propre trace à l'envers. Mais il sent bien que ce serait peine perdue. Derrière est un passé, quelque chose de révolu. Et puis il a déjà fait ce chemin une fois dans l'autre sens et il l'a oublié.
Il essaye pourtant. Mais ses traces le suivent obstinément, fidèles comme une ombre et le parterre devant est toujours vierge de toute empreinte. La poussière est uniformément grise et lisse devant, toujours.

Il peut donc abandonner aussi l'idée de marcher droit. Il n'y a plus de droite ni de courbe. Il n'y a plus que la rectitude inexorable du sol ; ce qui est déjà beaucoup ; en tout cas mieux que rien du tout. Plat, c'est déjà ça.

Et puis soudain, il n'a ni faim ni soif, plus de corps, plus rien.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Il faudrait suivre une étoile Empty Re: Il faudrait suivre une étoile

Message  Invité Mer 5 Fév 2014 - 9:13

Ouch ....!
Un petit relent de "La route" et... comme un parfum de ce qu'on vit ici. Ou alors c'est une idée tenace qui s'infiltre partout et qui ne veut pas me lâcher ?
Une étoile ?
Perso, n'y aurait il qu'un simple quinquet, je serais déjà bien contente !

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Il faudrait suivre une étoile Empty Re: Il faudrait suivre une étoile

Message  Louis Mer 5 Fév 2014 - 14:06

Le brouillard est tombé sur le monde.
Pas une nébulosité en amas de gouttelettes d'eau, non, mais une "fine cendre" en suspension : le feu du jour semble avoir tout brûlé, tout éteint, laissant tout dans l'opacité ; subsistent les scories d'un vaste incendie, qui empêchent toute clarté, et toute orientation dans une claire luminosité. Le monde semble détruit, calciné, entièrement consumé.
Tout semble s'être effacé.
Comme un lendemain d'un grand cataclysme, pas un déluge, mais l'embrasement plutôt de toutes choses.
Ne reste plus qu'une " épaisse fumée blanchâtre"
Ne reste qu'une grande toile blanche.

Et plus d'"horizon" visible qui donne un sens, et rende possible une orientation, indique une direction. Juste le brouillard de cendre blanche.
Une visibilité restreinte, le regard ne peut plus se porter au loin.

Le monde s'est blanchi, comme vieilli, défiguré. Désormais sans figure, sans figuration.

Monde désormais sans éclat, devenu incolore. Monde éteint, monde déteint. Décoloré.
Un monde aussi sans odeur et sans saveur : monde en limite du perceptible.
Réalité presque insensible.
Privée du visible, de l'audible, de tout le sensible, en devenir fade et pâle, dans une perte des sens et du sens.

Dans ce brouillard, tout semble "plat", uniforme, sans relief, la " platitude du sol paraît infinie".
Pas d'autres repères que cette platitude, qui assure le manque de fosses, d'abîmes, de ravins où chuter, mais aussi de pentes à gravir, pas de pics, pas de montagnes à escalader. Monts indissociables des vallées, des gouffres et précipices.
Le monde : une grande toile blanche à deux dimensions, sans épaisseur, sans profondeur.

Tout est plat, en effet, lisse et poussiéreux. Tout est silencieux : un grand blanc dans la profusion des paroles ; un grand blanc dans la communication.
Plus de repères, à la fois dans l'espace et dans le temps. Blanc du passé, blanc du futur. Reste un perpétuel présent. Un présent tout en blanc.

Le brouillard régnant enferme chacun sur lui-même, dans une bulle, dans une sphère mouvante : "Encore cette lumière n'est-elle qu'une zone sphérique autour de son corps qui marche." L'altérité est bouchée. Celle du monde comme celle d'autrui.
Le blanc ne reflète rien, ne représente rien, il n'est pas un miroir, fidèle ou déformant.

" Peut-être n'y aura-t-il plus jamais de nuit ?" : plus de nuit noire, mais une perpétuelle nuit blanche : un jour perpétuel, mais limité à la sphère individuelle, où l'on ne voit guère plus loin que le bout de son nez, la pointe de ses pieds; où l'on tourne autour de son nombril.

Il faudrait une boussole, un GPS, une étoile du berger, un astre qui, par sa lumière, perce le brouillard, indique un chemin, donne un sens à l'existence.

Mais l'étoile est introuvable, un astre est manquant. Le ciel comme un plancher, et l'on est dessous, sous le plancher du ciel : "La réalité serait-elle passée de l'autre côté du plancher ?" Plancher et plafond se confondent.
Un monde sans astre, monde du désastre.

Le personnage, errant dans l'immensité blanche, enfin se perd dans la blancheur, devient fantomatique, sans épaisseur.
Tout s'estompe dans l'informe. Tout s'évanouit.

Monde mis à plat.
Le monde : toile monochrome.
Reste un "halo, une aura" ? Ne reste plus qu'un carré blanc qui se distingue à peine du fond blanc du monde.
Un carré blanc sur fond blanc.
Malévitch errant.

Nous manquons de phares, nous manquons d'antibrouillards, les stars ne manquent pas, mais l'étoile, le guide qui pourrait nous sortir du néant blanc, ne brille pas encore.
Un carré blanc pourtant se détache, et se lève du fond blanc. Il s'en distingue. Il s'en sort. Il ne reste pas fondu dans la blancheur du fond.
Il reste à lui donner de la couleur.
Il reste à épousseter la poussière blanche qui couvre la toile du monde :
Georges Braque, quand il ne peignait pas, écrivait : "Quand je commence, il me semble que mon tableau est de l'autre côté, seulement couvert de cette poussière, la toile. Il me suffit d'épousseter. J'ai une petite brosse à dégager le bleu, une autre le vert ou le jaune : mes pinceaux. Lorsque tout est nettoyé, le tableau est fini."

Il nous resterait à découvrir une œuvre ! Un monde nous attendrait derrière la poussière de la toile blanche ! Nous manquerait-il une lumière céleste pour éclairer le tableau, une lampe focalisée sur lui ? Et des brosses ? Nous manquerait-il l'inspiration divine ?
L'œuvre pourtant ne nous attend pas, dans une fuite hors de la toile, ou derrière la poussière blanche qui la masquerait, le poème ne précède pas le poète, le tableau ne précède pas le peintre, l'œuvre ne précède pas l'artiste. Il nous faut, non des brosses, mais des pinceaux. Non des espoirs, mais une volonté.
Pour une re-création du monde, une récréation libre. Du sens au bout de ses pinceaux, du sens au bout de ses mots. Du sens au bout de ses actes.

Bravo Narbah. Un texte très intéressant, et plus profond qu'il n'y paraît.

Louis

Nombre de messages : 458
Age : 68
Date d'inscription : 28/10/2009

Revenir en haut Aller en bas

Il faudrait suivre une étoile Empty Re: Il faudrait suivre une étoile

Message  jfmoods Jeu 6 Fév 2014 - 8:55

Merci pour tes développements toujours fins et très argumentés, Louis.

Ce qui ressort de cette lecture, c'est un sentiment de profonde passivité de l'individu. C'est aussi, évidemment, le sentiment de l'inexorable.

Extrapolons.... Quelles sont les pistes de réflexion que semble ouvrir ce texte ? Que derrière l'utopie de la technique, de la technologie, se dresse la contre-utopie de l'aliénation ? Que ce qui était censé nous libérer du poids des contraintes ne fait que nous aliéner chaque jour un peu plus ?

Deux remarques pour terminer...

1) Tu sembles fâché avec le tiret ("là-dedans" x 2, "là-haut",  "au-delà", "demi-tour")
2)  L'inversion du sujet peut être piégeuse ("Sous la poussière que font voleter ses semelles...")

Merci pour le voyage !
jfmoods
jfmoods

Nombre de messages : 692
Age : 58
Localisation : jfmoods@yahoo.fr
Date d'inscription : 16/07/2013

Revenir en haut Aller en bas

Il faudrait suivre une étoile Empty Re: Il faudrait suivre une étoile

Message  Sahkti Mer 23 Avr 2014 - 16:27

Louis a dit beaucoup, avec justesse... je rejoins.
Dommage que ce soit désormais un invité qui nous parle ici :-(

Cette route qui se déplie, s'étire et s'étale, voyage en apparence sans fin à travers des horizons tantôt arides tantôt réconfortants, possède quelque chose d'étrange, une sorte d'envoûtement qui effraie et attire à la fois. La cendre n'y est pas étrangère, elle masque la vue et pourtant, la route est là. Longue...
Sahkti
Sahkti

Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005

Revenir en haut Aller en bas

Il faudrait suivre une étoile Empty re ; Il faudrait suivre une étoile

Message  Raoulraoul Jeu 24 Avr 2014 - 14:45

Pour moi il manque quelques indices de réel, justement qui pourraient mieux nous signifier leur dépassement, l'absence de repère qui s'établit ici pourrait être plus mieux évoquée si ces repères encore jonchaient la mémoire du marcheur... Mais ce n'est qu'une impression qui n'enlève rien à l'ouverture du sens qu'on devine vertigineux. Quelque chose de sournoisement effrayant poudroie derrière tes phrases.
Raoulraoul
Raoulraoul

Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011

Revenir en haut Aller en bas

Il faudrait suivre une étoile Empty Re: Il faudrait suivre une étoile

Message  gaspard Mer 7 Mai 2014 - 18:18

Ce texte est d'un ami (Narbah), pour ainsi dire une part de moi même, et “il“ avait demandé qu'on l'enlève.
gaspard
gaspard

Nombre de messages : 132
Age : 107
Date d'inscription : 06/04/2014

Revenir en haut Aller en bas

Il faudrait suivre une étoile Empty Re: Il faudrait suivre une étoile

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum