Geyser

Je passais là tranquillement sans rien dire les mains dans les poches Il n’y avait que les bruits de la rue une rue avec des bruits avec ses bruits à elle comme toutes les rues du monde je passais là le nonchalant qui passe et Paf ! Tu es sortie et tu parlais tu parlais en gesticulant tu es sortie tu pleurais tu criais tu désespérais on ne comprenait pas un mot pas une parole après qui tu en avais qui t’avait fait du mal humiliée qui t’avait désaimée qui te tenait étranglée mais pas assez pas encore assez ça glougloutait toujours une BD avec trop de texte et des bulles partout et les personnages cachés dessous Qui parle qui dit j’ai froid et qui a trop chaud et tes phrases comme des glaçons et qui brûlent Un moment tu as demandé est-ce que vous avez du feu  j’ai dit non tu as gardé la cigarette à la main continué à siffler haranguer maudire à me parler comme tu aurais parlé à un chien qui serait passé là nonchalant pissant entre les poubelles mais je n’étais pas un chien ce n’est pas parce que j’avais oublié mon briquet que Enfin tu continuais comme un animal fou comme une horde comme un troupeau de bisons à travers la grande prairie moi au milieu un indien tout seul Je me disais mais les bruits de la rue avec les bisons non enfin je ne t’écoutais plus il y avait des voitures et des chiens des pigeons qui s’envolent quand le laitier balance un coup de klaxon et tu montres avec le poing la fenêtre du deuxième avec le poing serré et moi distraitement les pigeons à l’étage au dessus celui qui fait le malin il gonfle son jabot en tournant autour elle avec son air innocent Tu as un imper gris-souris mais on dit gris-souris on pourrait dire gris-pigeonne et tes phrases jetées en l’air comme des plumes une neige épaisse de polochons éventrés Je pense confidences sur l’oreiller là au milieu de la rue avec les bruits les chiens qui pissent sur les poubelles les bisons partout j’ai perdu le fil de ton histoire tu comprends j’ai pas suivi il faut que tu trouves du feu non c’est plus ton problème Je sais pas si c’est ton père ton frère ton homme mais pas deux qui vivaient d’amour tendre Tu as une petite cicatrice sur le coin de la lèvre de temps en temps un tic qui la fait se retrousser tu trembles tu es presque jolie mais pas très bien coiffée même pas du tout et pas maquillée mais je pense que si…enfin non parce que…Il doit bien y avoir une vanne quelque part en cas de fuite ou d’inondation je regarde derrière toi il y a un homme sur le pas de la porte il vient peut-être aussi écouter les bruits de la rue non il est en veste de pyjama avec des rayures ou c’est du sang non c’est des traces de sang il saigne du nez il pisse le sang par le nez malgré un coton énorme dans la narine et il s’approche de toi avec des mots très doux Chiara Chiara rentre ma petite tourterelle ma colombe il te prend par l’épaule Tu lui frappes la poitrine à coups de poings une massue façon Zampano le grand Zampano comme on frappe à la porte d’un très vieux château au heurtoir parce qu’ils sont loin ils entendent pas et puis de moins en moins fort tu veux pas lui faire de mal l’architecture évolue tu tapotes tu gratouilles sur la porte vitrée d’une villa renaissance tu dis Angelo Angelo … tu es un salaud mais je vois bien que c’est un salaud gentil que tu l’aimes ton salaud qu’il y a encore quelque chose de doux et chaud entre toi et ce salaud d’Angelo quelque chose qui renait doucement est-ce que ça s’est jamais éteint ton incendie à couver dessous ton imper gris et la petite cicatrice sur ta lèvre enfin fais gaffe parce que là ça saigne vachement C’est bien tu as sorti un kleenex et tu lui tamponnes la narine c’est presque tendre je sais pas pourquoi je reste là à vous regarder tous les deux toi et le pif de ce mec que tu ne pouvais pas blairer il y a trois minutes Les bisons sont partis vous rentrez lentement en vous tenant par le bras et c’était court mais bref Et je reste comme un touriste à la fermeture Pourquoi la rue ne m’intéresse plus on s’ennuie il n’y a rien Que le pigeon qui fait le malin au troisième avec sa tourterelle C’est con les pigeons

P.S. Aujourd’hui je repasse je repasse dans la rue ou c’est peut-être une autre rue je me souviens plus très bien le temps est plus clair les bisons sont là tranquillement à paître ou brouter les branches basses L’un s’approche de moi et demande du feu c’est un peu intimidant un bison qui demande du feu D’instinct je lui donne le briquet et le paquet aussi je lui dis Gardez tout j’arrête de fumer Je préfère m’envoler à la fenêtre du deuxième cette fille j’entre je lui dis les feuilles mortes se ramassent à la pelle tu sais je n’ai pas oublié elle me dit où sont les pizzas t’as encore bu salaud t’as joué et t’as plus une thune elle me colle un Zampano le grand Zampano sur la tronche ou elle me claque la porte au nez je sais pas où est le coton