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Et je Crois

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Polixène
Marine
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Message  Marine Lun 31 Oct 2016 - 10:11

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Le sentier descend tranquillement. Le soleil lui aussi descend. Ses pas doucement suivent. Elle foule la terre noire du paganisme. C'est une sorte de clairière, de repos en bas d'un champ. Deux bancs bordent la silhouette tortueuse d'un arbre, au pied duquel dort une pierre blanche. Légèrement tournés l'un vers l'autre, ils regardent ensemble le promontoire d'artificielles roches où est la Vierge ; à ses pieds, agenouillée, les mains jointes, tendue dans un mouvement d'adoration vers la Mère – elle vient tout juste de découvrir son identité, elle ne le sait pas peut-être pas encore – Benoîte, sainte future, bergère devenue reine sous le berceau des paumes de celle qui enfanta le Christ, se courbe. Laura (c'est moi) descend le sentier. Dans le crépuscule qui tombe de l'orangeraie du ciel, dans la montagne en feu où des arbres pleurent le deuil d'un été passé (le deuil de son été à elle, de notre été commun), l'endroit dans sa maternité a pourtant des airs de cimetière. L'arbre envoie dans toutes les directions des branches noires et mortes ; le tronc abrite le secret d'une vie passée. Sous la pierre attend quelque chose qu'on a déposé là. La Nature entière est une Relique qui porte la marque d'un Christ disparu – ce christianisme là n'est pas franchement clair. Je m'approche de la statue. D'abord, je vois le mouvement d'adoration de la paysanne, de l'humble femme, de celle qui (se) découvre : « quelque chose d'autre existe » ; comme elle, je me détache dans le fond bleu d'un ciel qui meurt ; une meurtrière s'ouvre sous la porte des Saints ; j'entre dans la compréhension des adorations divines ; les sphères Célestes brisent comme un œuf sur la pointe des montagnes le sursaut de la Création, l'Illumination nouvelle de la Mère.

La vierge – je parle ici de la paysanne – prie ; cette femme m'est proche comme une sœur, moi qui me tiens au bas de la statue. Elle a quatre siècles de moins et toute la vision d'un infini en plus. Puis, je vois la Vierge – la vraie – la maternelle incarnation de la tendresse à l'égard de celui qui ne sait qu'être un homme, qui me sait n'être qu'un homme. Je remarque alors, comme je me tourne de l'autre côté du rocher, comme je passe du côté des bancs, (comme dans l'herbe humide je trace le chemin de l'observateur de la Justice divine) la posture de soumission de Benoîte et l'autorité de la Mère de Dieu. Une main calme, rassure, et l'autre Indique ; cette dernière fermement, quoique légère, pointe de son doigt tendu la Direction à prendre. Soudainement, je me rappelle pourquoi je ne crois pas. Pourtant, le drapé de la Femme et le drapé de la Vierge marquent tous deux dans l'art une continuité ; le vêtement trace au sein même de l'Humanité la possibilité de Dieu. - Mais cette soumission me déplaît ; cette allégeance m'est impossible. Je ne suis pas prêt encore à comprendre comment un corps se couche pour L'écouter. Mes membres qui se se promènent, flâneurs, sont (trop) rebelles à ces inclinations liturgiques et formelles. Ah ! Si j'avais un Dieu qui me comprenne – et pourtant je m'en veux de ces  paroles d'ignare et de blasphème. (...)

Un peu triste je quitte le Rocher, cette clairière toute petite, ma Jérusalem de campagne. Dieu de l'Islam, Dieu de la création, dieu juif, formes bouddhistes : toutes les Formes défilent devant mes yeux. Je repense au courage de Benoîte qui s'incline ; j'aimerais plier comme elle. Je sens que quelque chose en moi désire croire. Je voudrais connaître l'abandon au catholicisme triomphant, être un Péguy ou un Huysmans – et finalement je suis prêt, je suis anachronique. Pourtant les pierres amoncelées, les branchages qui tombent, mon goût anecdotique et puéril pour l'odeur des herbes qui monte dans le soir, pour le rougeoiement des maisons et du village, derrière le tableau chrétien ; l'arrêt que je fais dans la montagne devant un monument dont mon esprit s'imagine qu'il est grec ou latin, et voit encore la chèvre tendre le cou offert au couteau d'un bourreau, dans la sacrificielle attente d'un sang comme d'un saint ; ma façon de débusquer, le soir, dans l'indigo doucement pâle à colorer la terre, un soupçon de mensonge et de fantaisies secrètes ; les formes que prennent les arbres et qui construisent dans l'air comme un Poème, tout empêtré des sèves et des cris d'oiseaux malades, de craquements et de ruses de sanglier, pour moi, l'Enfant de la forêt, le sauvage qui aime un Dieu dans l'humidité charnelle des pommes de pin et d'un lichen ; le vin ; la dévoration de la nourriture ; surtout, les corps noués, la fascination pour le désir et pour les membres, ma quête inassouvie du plaisir qui me pousse en silence à T'écrire d'inavouables choses ; tout cela m'en empêche. Sous l'Adoration que je vois, tout un paganisme me plaît. Je suis le païen des idées nouvelles ; d'ailleurs je traîne encore avec moi toute une Antiquité d'avant-gardes communistes, de rêves socialistes, d'historicismes matérialistes, un fantasme – un autre encore ! - de soubassements productifs ; je voudrais être à la fois Dialectique et Mystique. En réalité ma Mystique tombe comme l'attirance d'un puits inversé dans un siècle (peut-être) sans Histoire. En plus, ne suis pas assez fort pour cette sortie des adorations (des humiliations?) urbaines du XXIe siècle. Pourtant : en quittant la montagne, en faisant chemin arrière, en marchant dans mes traces – sous le paillement sensible des arbres, sous les traînées de florescences jaunes une flaque reflète le Ciel – et je Crois.

(...)
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Message  Polixène Dim 13 Nov 2016 - 11:20

C'est une prose luxuriante que tu partages ici, merci pour cela. Le côté enchevêtré rend bien la complexité hasardeuse du questionnement, et la poésie qui baigne l'ensemble renvoie finalement au fait que l'intime foi regarde le cœur et non l'esprit. C'est pourquoi j'ai regretté que tu mentionnes, vers la fin, des positionnements sociologiques, qui, de mon point de vue, abîment la fraîcheur du texte.

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Message  nigrumumbrella Sam 19 Nov 2016 - 17:58

Magnifique prose , merci pour ce partage , pour cette lecture , you make my day ( comme on dit en anglais ) , y'a ce coté fort de la poésie et ce beau rythme qui donne une fraicheur et rend la lecture facile

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Message  seyne Ven 6 Jan 2017 - 11:23

J'ai moi aussi beaucoup aimé ce texte, auquel la photographie ouvre une sorte de fenêtre de ciel, accordée au titre. Il m'a fait penser à un échange récent que j'ai eu autour de ce verbe "croire" : un ami l'avait employé ainsi, sans complément d'objet direct ni indirect, et je m'étais dit que j'aimais cet emploi, que je m'y reconnaissais.
Ce qui m'a plu, en dehors du superbe flux poétique qui l'irrigue, c'est qu'il renvoie aussi à ces moments où on ressent une sorte d'exténuation de la pensée.
Et c'est ainsi que je comprends la présence dans le texte de ces "...ismes" qui ont été si présents au XXème siècle, se réclamant du rationnel avec sécheresse et arrogance, tout en étant aussi infiltrés de passion et d'irrationnel que les croyances qu'ils méprisaient (il n'y a qu'à voir le nombre de meurtres qu'ils ont - eux aussi - inspirés).
C'est à l'inverse que tu en appelles, il me semble, à une façon d'être. Et du coup ton style perd ce que personnellement je lui reproche parfois : un excès de sophistication qui (m')oblige à beaucoup (trop) réfléchir pour te comprendre :-)...
...je sais que cet avis n'est pas partagé par tous ici, loin de là...

Une mention aussi pour le passage sur le plis des vêtements, qui m'a entraînée dans des réflexions trop erratiques pour les expliquer ici.
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Message  Gobu Ven 17 Fév 2017 - 15:45

Salut Marine.

Bizarre, j'avais jusque là zappé ce texte de toi, alors qu'en général, je me rue sur ta production comme la gale sur le miséreux. Normal il y a débauche de chair où planter ses crocs dans ce que tu écris et j'ai toujours soif de sang frais, surtout quand il est riche et généreux.

Mais inconsciemment (ô comble de l'hypocrisie !) c'est le titre qui m'a fait reculer tel la monture rétive face à l'obstacle.  

A qui m'assène : "Je crois" je réponds "Je doute" et à qui proclame "Je doute" je rétorque "Doute de ton doute". Le doute n'est pas moins volatil que la croyance. A ce propos, l'un des tics les plus fréquents lorsqu'on en vient à ce type de problématique est de se référer au Cogito de Descartes,"Je pense, donc je suis" et toc, irréfutable preuve ontologique sinon de l'existence de Dieu, tout au moins de l'Être, en omettant de rappeler que la maxime de Descartes commence par "Je doute, donc je pense"

Il faudrait d'ailleurs mettre à chaque fois le "je" en italiques :

"Je doute donc je pense, je pense donc je est" formulation qui dérive directement du platonicien "Là où l'Être est le non-Être n'est pas"

Tu foules la "Terre noire du paganisme" comme si "la Nature entière était une relique" Une relique qu'on s'acharne à profaner, assurément, mais il y a du vrai là-dedans.

"Ce Christianisme-là n'est pas franchement clair" Et comment donc ! Je ne suis nullement persuadé qu'il existe un christianisme clair, et encore moins que ce serait une bonne chose. Le Fils de l'Homme qui se laissa mettre en Croix au nom de l'Amour de ses semblables prêchait volontiers qu'il n'était pas venu apporter la paix au Monde mais y plonger le glaive. On comprend que cela puisse laisser perplexe.

"La Possibilité de Dieu" C'est une possibilité, mais son inverse : "L'impossibilité de Dieu" sonne comme "L'impassibilité de Dieu" proposition qui rend la première effrayante. Et pourtant, elle est frappée du sceau de la Vérité. Dieu ne saurait être qu'impassible sinon il ne serait pas Dieu.

"Cette soumission me déplaît" à moi aussi,très cher, mais la vie entière n'est que soumission à notre condition de mortels, Résurrection ou pas, et c'est paradoxalement cette soumission-là qui nous rend libres : celui seul qui s'admet mortel peut jouir pleinement du goût de sang et de la fragrance de musc de la Vie.

"Je suis le païen des idées nouvelles" N'en sois pas sûr. Ton paganisme branle dans le manche et la nouveauté de tes idées est éphémère : rien de plus rapidement obsolète qu'une idée...

Tu crois, conclus-tu envers et contre tout. Moi je te dis "Crois, mais en toi seulement" Et là tu as de bonne raisons pour cela. Ton texte, une fois de plus est un petit bijou de références entrelardées d'images agrestes rédigé dans une langue à la fois mélodieuse et hérissée d'assonances, en même temps simple et savante, et question couleur locale, on croirait entendre tinter les clarines, meugler le troupeau à l'estive et résonner à l'ombre du clocher le carillon des vêpres...bref on en redemande.

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Gob.  
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Message  gaelle Sam 6 Mai 2017 - 11:10

Beau et personnel. Je crois qu'on veut souvent être quelque-chose qu'on est pas parce qu'on est bourrés de contradictions. On a besoin de tendre vers un idéal de nous-même, de fantasmer sur un passé, une vie qui n'est pas la notre. On cherche à échapper à nous-même à travers d'autres personnages ( d'ailleurs l'écrivain ne fait que ça ). Mais si ça se trouve les autres siècles étaient aussi chiant que le notre. A toutes les époques le plus dur c'est de se supporter.

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