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L'inventaire

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Message  'toM Lun 21 Nov 2016 - 14:43

Ils n’ont pas voulu.

(Boulevard de l’Hôpital)

Pourtant c’était l’hiver, mais ils n’ont pas voulu. Alors elle a repris son sac son écharpe et ses doigts gelés. La charité chrétienne aurait suggéré qu’ils la reprennent mais ils n’ont pas voulu. Tout va bien chez vous, vous pouvez retourner à la maison. Pas de Pitié, dans ce monde de fous.
Dans les grandes pièces communes de l’hôpital il y avait des fenêtres hautes avec de tous petits carreaux. Quand elle n’avait plus rien à penser, elle suivait l’ombre du quadrillage sur le sol. Du matin au soir d’un angle à l’autre de la salle, à peine distraite par le passage de l’une ou l’autre entre les tables. Ou bien par les laveuses qui poussaient leurs wassingues. A vrai dire elle n’avait pas grand-chose auquel penser, et plus encore sur quoi se concentrer durablement.

Laveuse, elle aurait bien aimé. Mais ils n’ont pas voulu d’elle. Ni laveuse, ni pensionnaire. Alors est repartie, sens inverse. Avec son sac, son écharpe et ses doigts gelés, mains rouges qui mettaient un peu de couleur sur l’hiver. Elle a traversé le boulevard de l’Hôpital –ça fait toujours un peu peur- craché en arrivant sur le trottoir d’en face. Comme une réponse à ceux qui lui avaient fait peur, parce que c’est pas là qu’il faut, qu’est-ce qu’elle fout là. Et les clous, Tut-tût et pin-pon et ça va pas la tête. De l’autre côté, elle a pu cracher sa peur. Son mépris ? Un peu, pas beaucoup. Sa peur, surtout.

Le sac a changé de main. Lourd, ce sac. Il était surtout lourd du peu de sens qu’on aurait donné à sa vie. Elle y mettait si peu d’importance à sa vie que son sac elle y fourrait n’importe quoi quand elle partait, et finalement, n’importe quoi, c’est beaucoup plus lourd que le sens. Bien sûr une brosse à dents, une savonnette, quelques culottes le livret de famille et une paire de pantoufles. Le nécessaire, c’est presque toujours prêt. Mais n’importe-quoi, ça demande un moment. Ce jour-là elle avait attrapé un dictionnaire sur l’étagère. Petit Larousse illustré. Noms communs, noms propres. Des mots, en écoutant parler les uns ou les autres à la maison des fous, il y en avait souvent qu’elle ne comprenait pas. Alors ça pourrait toujours servir. Noms communs, noms propres, nouvelle édition (1938). C’était joli, noms propres, dans ce monde plutôt usé. Et puis elle revenait souvent à la page couleur avec les drapeaux de tous les pays. C’était un peu voyager, même si on lui avait dit que nombre de ces pays n’existaient plus…


(Quai de la Râpée)

Elle s’est assise sur le bout d’un banc du square. Sur le bout, parce qu’on ne sait jamais, quelqu’un pourrait bien venir se poster à côté, et on pourrait causer. Non, même pas un moineau. Alors, pour s’occuper, elle a fait l’inventaire. Dans le sac, il y avait aussi d’autres sacs, plus petits, pour ranger. « On verrait bien pour ranger quoi ». Un réveil, six heures, tous les matins. Se débarbouiller pendant que le café-chicorée passe, et les médicaments. Ce matin comme tous les matins, avant de partir. Un petit arrosoir pour les plantes de la maison des fous. Une bougie, une boîte d’allumettes. Une grande, à quarante centimes. Petite, quand elle se mettait en colère « Papa m’emmenait dans un coin, il vidait la boîte par terre. Je devais les ranger. Une par une, dans le bon sens, dans la grande boîte… ». Sa dernière colère ? Qui s’en souvenait… La bougie, c’était pour chauffer les mains. « Je prends l’allumette, je referme la boîte. Je la craque. La petite flamme entre les doigts, la cire figée qui colle à la peau. » Mais ils n’ont pas voulu. Votre tête va bien.

Ensuite, une paire de chaussons fourrés, et une vierge de Lourdes avec la neige quand on la retourne dans sa petite grotte en verre, deux pommes qu’on laisserait pas pourrir dans le garde-manger, un ouvre-boîte, sans boîte, une collection de timbres « quand Mr Niel, qui habitait sur le palier en face, est mort ». Elle, elle ne recevait jamais de lettre. Des fois, à la maison des fous, l’une ou l’autre lui détachaient le timbre de leur courrier. Elle avait le Pont-Valentré, la cascade de Mortain. Franco, Luther et la Reine d’Angleterre. Les ranger à leur place dans l’album, c’était un peu voyager. Le fils de Mr Niel avait été gentil de lui donner, avec un flacon d’Eau de Cologne, quand ils ont vidé son appartement. Timbré, qu’on disait. Elle, elle ne recevait jamais de lettre. La dernière fois, sa fille ou son frère, peut-être. Mais il y a longtemps.

De sa fille elle a mis aussi dans le sac une boîte de cubes colorés, à remettre en ordre. Les images étaient toutes gommées à force de les ranger. Par sa fille d’abord, puis par elle. Elle seule sait reconstituer maintenant le Chat Botté, le Château de Barbe-Bleue avec la princesse à sa fenêtre. Mais ils n’ont pas voulu, qu’elle revienne avec ses cubes sur les coins de table de la grande salle, avec des petits carreaux aux fenêtres et l’ordre du temps et de l’espace qui la rassurent.

Alors il a bien fallu qu’elle refasse le chemin en sens inverse. Quand il a commencé à pleuvoir sur le banc où elle avait vidé la moitié du sac, elle y a fourré de nouveau tout son fourbi ; pas pêle-mêle : méticuleusement. Avec à la fin une petite queue d’écureuil, non non, pas de raton-laveur. Une petite queue d’écureuil.
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Message  Polixène Mer 23 Nov 2016 - 9:51

Touchée. (mais pas coulée!)
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Message  seyne Mer 23 Nov 2016 - 10:50

moi je suis partagée. Je trouve que le texte n'arrive pas à trouver sa voix, parce qu'il hésite et se mélange entre monologue intérieur et récit. Le monologue intérieur du coup prend des allures "littéraires", et il ne sonne pas juste (ex : "... mains rouges qui mettaient un peu de couleur sur l’hiver").

Et puis il y a des expressions comme "maison des fous" que je n'ai jamais entendu personne utiliser.

En fait je suis féroce face aux écrits qui cherchent à dire la vie intérieure des exclus parce que j'ai lu un jour un texte fulgurant ("Bri", d'Ariane Gravier, un Polder) qui sonnait tellement juste, allait tellement loin dans la représentation de l'expérience intime et déréalisante de la rue (et je sais que l'auteur n'avait jamais vécu cela "en vrai"), que plus rien ne trouve grâce à mes yeux...désolée 'toM".
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Message  seyne Mer 23 Nov 2016 - 10:56

je viens de retrouver la préface que j'avais faite pour le Polder :

"
La poésie c'est une affaire de solitude, et de rencontres aussi.
Rencontrer ariane sur un forum de poésie d'internet, travailler/jouer avec elle dans ce cadre déstructuré, très particulier, à des textes qui se répondent, puis les publier dans une petite revue papier qui a duré deux ans : "l'Enfance".....et la retrouver maintenant avec "bri", c'est quelque chose qui, pour moi, suit une direction.
Comme ce long monologue, de celle qui n'est plus vue, ni audible et qui nous entraîne, marchant, assise, couchée, au pays des voyants et des prophètes.....de malheur sans aucun doute, mais aussi de vie. Comme une ligne de fuite.
Je disais à ariane que bri me semblait le dernier être humain sur la terre, survivante de l'apocalypse individuelle, silencieuse, qui nous menace tous : la perte des liens – être sans maison, sans amis, sans utilité, donc mourir bientôt. Témoin et rescapée d'une catastrophe qui ne cesse de se produire, jour après jour, se glissant entre nous, insidieuse, repoussant l'attention.
Alors dans ce très long et froid premier matin d'un autre monde, la survivante parle de nous et de ce qu'elle voit et sent – humaine surtout dans sa façon de se, de nous regarder et de nous remercier encore. Et ce qu'elle nous dit de son corps, dans cette profonde solitude, ce corps vivant et presque entièrement vulnérable, en appelle au corps de notre enfance, que nous avons si complètement oublié, tandis que prenait peu à peu sa place un reflet, dans la glace des regards.
ariane entoure de sa rêverie maternelle et inquiète ce trajet, lui prête sa voix d'un écho sans morale. C'est une affaire de chaleur humaine, un rêve de beauté initiatique."
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Message  seyne Mer 23 Nov 2016 - 10:59

bon décidément c'est un peu vexant de dire tout ça...mais j'ai pas mal confiance dans ta non-susceptibilité
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Message  'toM Sam 26 Nov 2016 - 16:06

Beaucoup de tes remarques sont frappées du coin du bon sens, et je retiens surtout celles qui font que ce texte cherche un peu sa voie entre plusieurs directions/intuitions (c'est un travail d'atelier). En revanche, sans être un théoricien, je ne suis pas certain qu'on puisse parler de monologue intérieur ici, hormis les guillemets, c'est juste une unité de ton narrateur/narrée correspondant à l'état d'esprit du moment. J'ai souri quand tu as cité le rouge sur l'hiver, qui me permettait de me libérer en une phrase de deux consignes sur les 5 données lors de cet atelier(de quoi rassurer ma susceptibilité à peu de frais!), ce qui n'empêche que tu aies raison. Pour la maison des fous (qui se tiendrait mieux en maison de fous) idem.

J'ai un peu rosi quand tu as parlé de la férocité devant un texte qui se risquait sur un sentier interdit par une fulgurance passée (mais où tu n'aurais pas été désappointée que je réussisse, non ? - musique de "Mission impossible"). Je n'explicite pas plus, mais avoue que ce serait paralysant d'éviter toutes les fulgurances de la littérature..... Et puis les interdits, c'est toujours un peu tentant.

Je n'en suis pas là. Pour défendre ma petite copine et son sac (j'aurais du dire "cabas"), et pour faire bref de chez bref dans ma façon d'écrire, et surtout ne pas théoriser car ce n'est pas trop mon truc d'enseigner la littérature, j'essaie de garder un carpe assez souple pour sauter d'une écriture à l'autre sans rester muet trop longtemps, en gardant un maximum de tendresse pour mes personnages qui sont fictifs de chez Fictif. La femme au sac est sûrement plus proche de Sempé que d'Emile Zola (ou de Florence Aubenas ;-). Je crois que travailler la véracité et la profondeur me serait aussi impossible (ou décevant) que de faire de la poésie rimée.

Mais je te remercie 1000 fois de ta lecture, de l'utile remise en question à laquelle elle invite.
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Message  seyne Lun 28 Nov 2016 - 10:34

Je vais te dire : moi aussi j'ai rosi quand j'ai lu "bri". Rosi devant la rigueur et la créativité de l'écriture, et surtout ce que ce texte parvenait à faire émerger de jamais imaginé ou réfléchi devant un SDF. J'ai essayé d'en rendre compte dans ma préface...on est à mille lieues de ce que sont habituellement les textes sur ce sujet, ce qu'est le tien, ce qu'aurait été celui que moi j'aurais écrit : empathique, protecteur et imperceptiblement condescendant.
Un texte initiatique, oui. Mais qui ne versait dans aucun romantisme genre "clochard céleste" et tutti quanti.
Non, les frontières extrême du monde humain social ; quelque chose d'assez proche finalement du monologue de l'idiot dans "Le bruit et la fureur" de Faulkner. Et le plus fort c'est qu'en même temps il m'a fait repenser à la vie sensorielle de mon enfance...(je pense qu'on peut encore le commander chez Polder).
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Message  hi wen Mer 30 Nov 2016 - 0:04

Boulevard de l’Hôpital:
la voix du narrateur se fait tres beaucoup entendre, et est en décalage avec l'état d'âme de l'héroine. precisement donne l'impression que l'auteur joue avec son personnage miniature en carton pate, mi attendri mi narquois. l'heroine ne tient pas les rênes de son récit.
si l'héroine disait : je ne tiens pas les renes de mon récit, ce serait intéressant. mais qu'une voix off dise : elle ne tient pas les renes de son récit, moi ça me donne envie de donner des baffes.



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Message  Sahkti Mer 30 Nov 2016 - 9:00

J'aime cette alternance discrète entre un personnage qu'on observe, une presque marionnette vivante dont se joue le destin, et cette impression que non, la petite dame sait ce qu'elle fait et ce qu'elle veut. C'est à l'image de notre humanité individuelle, ce mélange presque confus de rôle et cette sensation, parfois faussée, de libre-arbitre. Et c'est très agréablement écrit, comme souvent.
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