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Partie de campagne

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Message  Raoulraoul Dim 23 Juil 2017 - 16:50

Partie de campagne

La caresse du vent est souvent une griffe rentrée.
Mère, assise dans l’herbe, tricote avec ses mains d’aiguilles, un pull-over.
Un enfant, au loin, essaie de toucher les fleurs du prunus.
Ce n’est pas moi.

L’intensité  des reflets efface les formes.
Père, au loin, marche le long d’une rivière.
Mais raconter une histoire à ceux qui ne devraient pas l’entendre,
n’est pas agréable.
Pourtant, les hommes affamés, chaque jour,
réclame leur pitance d’évènements.

Mère se laissait baigner dans le soleil de cinq heures,
tandis que Père
Voici maintenant qu’écrire serait comme jeter de l’huile sur le feu,
tandis que Père
jette sa ligne sur la surface de l’eau.  

Les enfants bien sûr au printemps font naître les fleurs.
Ce n’est pas moi.
Les animaux jamais ne connaissent la rancœur.
Père pêche alors la truite, Mère tricote.

Sur les collines pentues, les vaches dorment sur le flanc.
Mère tricote, assise sur le talus, avec talent,
dans sa respiration sa pensée réfugiée.
La carrure des hommes ordinaires ne passent plus par les portes.
Père s’allonge dans l’ombre de cinq heures,
l’heure idéale pour assassiner les poissons.

Mère ne sourit pas, un sourire n’efface par le tourment,
la guerre faisant rage.
Même si j’étais né, je ne pourrais pas être là
A cette époque, le confessionnal remplaçait les journaux intimes.
Je n’allais jamais au confessionnal.

Les femmes ne s’ouvrent pas comme des portes.
Mère tricotait toujours tête baissée,
de peur de troubler la pousse laborieuse des feuilles.

Père était en train de pêcher,
et Mère me faisait des bouquets de fleurs minuscules
qui avaient toute la grandeur de son attention.
Un enfant préfère se caresser la rétine,
dans le sens de la courbe, pour mieux voir le monde.

Les dirigeants ont tout les défauts de la Terre,
puisqu’ils sont nos dirigeants.
L’enfant demande quand même à Père de ne pas blesser les animaux.
Les iris violets qui forment des îlots de fête sur la berge, sont un peu tristes,
car Père ne daigne pas me répondre.

Les baisers de Mère se perdent dans le vide,
comme les pierres de son collier dans sa poitrine.
L’autorail d’Elbeuf-sur-Andelle, sur le viaduc, beugle son cri.
Mère ne cesse de tricoter.
La déception est une mouche noire,
vous savez, cet appât qu’on accroche à l’hameçon.

Puis Mère se lève, elle cherche son enfant,
pour qu’il essaie le tricot terminé.
Je ne suis pas là.  
Dans le vide elle essaie le tricot sur mon fantôme.
Sa passion pour moi n’est jamais fautive.

Les passereaux soudain ont un gazouillement nerveux.
C’est Père qui revient.
Il balance deux truites frétillantes sur les cuisses de Mère.
Je ne dis rien.

L’existence est ce laboratoire à ciel ouvert,
où chaque grimace est une douleur utile à la beauté.
Mère ramasse le plaid mouillé.
Père patauge dans ses chausses, triomphant.
C’est bien fini, le miracle.
Raoulraoul
Raoulraoul

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Message  Annie Mer 2 Aoû 2017 - 8:08

A part quelques rares phrases* qui ne me semblent pas à la hauteur du poème, je le trouve admirable.
Description convaincante du trouble de l'enfant plus ou moins conscient que "quelque chose" ne va pas, mais souhaitant s'abandonner à la beauté du monde.

*A cette époque, le confessionnal remplaçait les journaux intimes.
Je n’allais jamais au confessionnal.

Les dirigeants ont tout les défauts de la Terre,
puisqu’ils sont nos dirigeants.

se caresser la rétine,

Annie

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Message  HELLION Dim 20 Aoû 2017 - 20:22

Je me suis laissé emporter par ce poème comme par une lame de fond. Il y a dans cette évocation de choses somme toute banales, une grande intensité dramatique. L'enfant y est ce spectateur absent auquel rien n'échappe de l'incongruité d'un quotidien apparemment heureux. Il y a comme une incompatibilité ontologique… « moi, je ne suis pas là ». Toute la pertinence du poème réside dans cette dialectique de l'absence respective du monde et du narrateur. Lequel elle plus absent à l'autre ? Le résultat, c'est que le lecteur, lui s'en trouve d'autant plus présent, à l'affût d'un signe, d'un mot qui pourrait justement rendre sa cohérence à cette pseudo perfection de l'idyllique partie de pêche. Au plan de la forme, force m'est de saluer la sobriété du récit et la distance ou plutôt, la distanciation que provoquent ces appellations génériques « père »… « mère », jusqu'à l'étrangeté, presque l'extranéité qui n'est pas sans évoquer certains aspects de la poésie de Jude Stéfan. Un grand bravo !

PS. Je vous prie de bien vouloir pardonner les possibles erreurs orthographiques. Un grave handicap visuel m'interdit toute correction de ce texte écrit au moyen d'une reconnaissance vocale.
HELLION
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Message  seyne Dim 10 Sep 2017 - 11:19

Oui, moi aussi j'ai été fascinée par ce texte, plein des interrogations sans mot de l'enfance et de sa puissance divinatoire.
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Message  jfmoods Mar 3 Oct 2017 - 9:24

J'ai été un peu déconcerté par l'accord au pluriel...

"La carrure des hommes ordinaires ne passent plus par les portes."

Ce poème de forme libre, qui ressemble à une parabole, compte 4 personnages (le narrateur, la femme, l'homme, l'enfant) et un lieu, le pré (qui pourrait figurer métaphoriquement une maison). Le narrateur se confond avec l'enfant (famille majuscule : "Mère", "Père", pronoms personnels : "Je", "j'", "me", "moi").

Chaque parent occupe une fonction bien définie. La femme veille au confort de sa progéniture ("Mère, assise dans l’herbe, tricote avec ses mains d’aiguilles, un pull-over"). L'homme assure la subsistance de la famille ("Père, au loin, marche le long d’une rivière.", "jette sa ligne sur la surface de l’eau.", "pêche alors la truite"). Le statut de l'enfant apparaît, lui, pour le moins complexe puisqu'il est à la fois présent... et absent de la scène (anaphore : "Ce n'est pas moi." x 2, formulation énigmatique : "Même si j’étais né, je ne pourrais pas être là", "Je ne suis pas là").

Au fil du récit, dont le présent de narration constitue le temps de base, le malaise s'insinue (présents de vérité générale : "La caresse du vent est souvent une griffe rentrée.", "Mais raconter une histoire à ceux qui ne devraient pas l’entendre n’est pas agréable. Pourtant, les hommes affamés, chaque jour, réclament leur pitance d’événements.", présentatif : "Voici maintenant qu’écrire serait comme jeter de l’huile sur le feu"). L'image de l'orgueil masculin s'impose ("La carrure des hommes ordinaires ne passe plus par les portes.") et, avec elle, celle de l'inévitable conflit armé ( présent de vérité générale : "Les animaux jamais ne connaissent la rancœur.", "la guerre faisant rage", "Les dirigeants ont tous les défauts de la Terre, puisqu’ils sont nos dirigeants."). On comprend alors que le narrateur se trouve sur le front, qu'il rappelle à lui toute une frange de son passé avant d'être happé par la mort (personnification : "L’autorail d’Elbeuf-sur-Andelle, sur le viaduc, beugle son cri.", métonymie : "mon fantôme").

On pense forcément au poème intitulé "Familiale". Cependant, chez Prévert, père et mère cultivaient l'indifférence devant la disparition soudaine du fils. Rien de tel ici. Par le biais d'un parallélisme, le poète marque deux attitudes contrastées (présence lumineuse de la femme : "Mère se laissait baigner dans le soleil de cinq heures", présence plus inquiétante de l'homme : "Père s’allonge dans l’ombre de cinq heures"). La femme concourt à la perpétuation de la vie ("Les enfants bien sûr au printemps font naître les fleurs.", "Mère ne sourit pas, un sourire n’efface par le tourment", "Les femmes ne s’ouvrent pas comme des portes.", "Sa passion pour moi n’est jamais fautive."), l'homme à sa destruction ("l’heure idéale pour assassiner les poissons", "L’enfant demande quand même à Père de ne pas blesser les animaux.... / Père ne daigne pas me répondre", "Père patauge dans ses chausses, triomphant."). Le fils est pleinement conscient de cette distribution des rôles que constitue la vie ("Un enfant préfère se caresser la rétine, dans le sens de la courbe, pour mieux voir le monde.", "L’existence est ce laboratoire à ciel ouvert, où chaque grimace est une douleur utile à la beauté."). Le titre du poème ("Partie de campagne") est à considérer sous un double sens, à la fois bucolique et militaire : d'un côté la vie, de l'autre la mort.

Ce poème est à lire en écho à un autre texte de l'auteur ("Personnes dans le pré"). Dans un cadre identique (l'homme, la femme, l'enfant, le pré, la rivière, le tricot, la pêche), se dessinait là-bas le deuil des parents morts fait par un narrateur devenu adulte. Il s'agit ici d'un soldat faisant le deuil de sa vie, rappelant à lui un passé lointain et quittant ce monde à la fleur de l'âge.

Merci pour ce partage !
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