L'homme qui a bu

L'homme au comptoir examine son verre
Vide
Il pense et repense à ce temps de promesse
où le verre était plein
à son ventre impatient
à ses lèvres trop sèches
au liquide doré qui roulait sur sa langue
comme une plage offerte
à marée basse
il songe au torrent inondant ses entrailles
au froid si doux sur ses viscères
face au verre inutile  
il se sent lourd  sans avenir
son avenir  il l'a bu
d'une traite la tête à la renverse
le regard au plafond jambes un peu pliées                              
Alors il pleure l'homme qui a bu
mais ça ne se voit pas
car il pleure au dedans
de grosses larmes qui roulent
en douce
au fond de son verre vide

Beau poème, beaucoup de subtilité dans le jeu de la métaphore, qui tient et se ramifie du début à la fin. J'aime particulièrement la façon dont le verre et l'homme se répondent et se déversent l'un dans l'autre. L'alcool, boisson émotionnelle, symbolique aussi.

Je remercie cordialement mon unique lecteur qui a bien voulu trinquer avec moi, me gratifiant d'un commentaire éclairé et chaleureux. Être peu lu serait frustrant si ce n'était par des gens de qualité.

Beau poème, oui.
De l'empathie avec de la retenue.
Pour chipoter un peu, je me serais bien passé du doré "au liquide doré" qui introduit une note faste, coloré me semble suffisant.
Bien sûr, c'était un temps de promesse, alors l'or, pourquoi pas. Mais y croit-il vraiment ?

"liquide doré" (café ou cognac, va savoir) convient à mon avis mieux que "coloré" qui par ailleurs romprait la métrique (hexamètre). Par ailleurs l'Or, comme le blanc, est la couleur de Dieu, de l'esprit, elle est une exception à la couleur et pas vraiment l'une d'entre elles. Donc l'or va bien avec l'âge d'or, avec le temps de promesse...

Ce qui me gêne en revanche un peu (là on chipote) dans cet agréable texte bien allant, c'est le côté un peu trop physiologique (les lèvres, le ventre, la langue, les entrailles, les viscères...) qui contraste avec le côté poétique, métaphorique et nostalgique, avec la langue châtiée (mais non pas malmenée) comme avec le côté désir sexuel de la strophe. Bref du grungy dans du poetry...

Merci à tous les deux, Annie et teverino.

Le liquide doré ? Très prosaïquement, il s'agit d'une allusion à la bière, ce breuvage si commun à la plupart des buveurs de bistro.

La dominante viscérale est quelque peu volontaire. C'est souvent prioritaire chez certains buveurs impénitents qu'il m'est donné de voir fréquenter dans les bistros de mon quartier. Ce qu'ils viennent principalement satisfaire, en apparence à tout le moins, c'est une attente organique qui s'accompagne du « boire ensemble » utile à combattre la solitude.

Aussi, la note finale des larmes qui coulent en dedans, vient-elle en contrepoint de cette dominante physiologique. C'est en tout cas ma tentative.

Un poème très bien mené, efficace de par son rythme qui entraîne le lecteur d'image en image de manière dynamique. Les retours à la ligne sont nombreux mais au final ça s'accorde bien avec le contenu du texte. Bref, pas grand chose de négatif ou de constructif à dire après cette lecture mais je laisse un commentaire parce que j'ai apprécié ce moment de lecture et que ça vaut le coup d'être souligné aussi!