Les recoins

Il faut une brèche et je lave les verres
Les viandes saignent ensemble énormément
Le triste
Les particules ne se connaissent plus

La tapis par terre c’est une ombre
Les vies dehors font la vie
Et sur une nappe propre
De carreaux rouges et moches
Leurs bruits s’étirent comme des fous

Les gestes du monde en table
Les coupures d’écharde en écharde sur des rythmes prêts
Je veux rouler dans la dune
Je suis foutu cloîtré

Pareil pareil j’ai vu tous ces animaux pareils
Je sais qu’à l’usure ils se penchent tout près
Et s’en vont comme l’amour
Par le même endroit
Écarquillé

A l’extrémité silencieuse
En milieu d’ironie
J’ai touché mon corps
Sur un rythme connu

Dans la tête calme
La mère
Pour mon bonheur malade
M’a fait faire trois tours de jardin avant de rentrer

Le monde n’était bien qu’au plus près d’elle
Là où rien ne s’agite comme une feuille
J’étais dans un fruit sous la terre

Chaque chose plus tard s’écrie
D’un regret profond pour l’espoir
Tandis que sa vie fait l’ombre
Sous les nappes et dans la même heure
A l’abri
Devant les autres qui s’étalent
Comme l’eau invisible
Sur les marchés romanesques
Les écoles
Les pommes farineuses
Elle coule
Tandis que sa vie fait l’ombre
Elle avait lu pour moi juste pour moi
Sage et malade
Tous les bonheurs
Je n’avais rien vu
J’étais dans un fruit sous la terre sous la mer sous le marché du travail
Son souvenir à rebours
A chassé tout le droit
De mourir dans l’ombre

bon, l'été doit me brouiller la comprenette, celui-là aussi me reste très opaque ou plutôt comme un labyrinthe où chaque piste s'interrompt brusquement.

dans un recoin
l'illustre dessine
des dessins
d'un avenir éphémère

Merci beaucoup pour vos deux commentaires, une nouvelle proposition qui peut reprendre le même titre

On a vu éclore des animaux dans l'ombre
le rituel sacré expulsait des messages
de souvenirs lointains aux univers fanés

Dans les endroits où des gorges en plusieurs nœuds
anticipent mille mots mille signes
on anticipe l'avenir en se cachant les yeux

Sur le grand mont infécond où vibrent leurs organes collés
Le présent fait feu de leurs salives et du bout de leurs chaussures
la prière mandate
par tous leurs doigts terrestres réunis en feuilles rondes
de grands sourires d'enfant dans la lumière

Mais ce soir le hasard hurle comme un loup blessé
les noms de fleurs s'évanouissent dans un trou
où l'équilibre ne se nourrit plus du monde
mais s'en trouve chargé

La mère fait des mouvements de cuisse ridicules
et le poème prédateur
lui fait pousser des cris de haine

deux yeux au bout du contraste nocturne
sur cette roche chaude de peine
ne regardent pas cette mère
mais s'affaissent dans le vide
comme une tige
ils attendent

le bruit incongru et la violente laideur
inspirent ensemble dans un creux secret
où l'on remet un sac de choses perdues

Le retard du digne
et l'enfant brûle fragile

l'équilibre
point dans l'ombre
derrière les hommes
derrière le feu
sur l'onde moléculaire
il a tué tout le monde

Je ne dis rien comme ça, d'emblée.
Mais ça mérite réflexion.
Peut-être plus tard je ne dirai rien, ou peu, mais j'aurais été attentif.

J'y suis revenu, et voilà. Peu importe si ce que j'y ai vu est ressemblant avec ce que tu y avais déposé. Il y a un minimum d'abstraction dans ce que tu écris, et souvent l'abstraction est une peinture de ce qui est trivialement posé sous nos yeux. Je me souviens, tout jeune, être rentré dans une galerie de peinture à Honfleur et être resté longtemps devant un tableau rouge sur presque toute la surface, un rouge très travaillé, avec des variations d'intensité, de "timbre". Et puis un coin en bas à gauche d'un brun presque noir, comme une page qui essaierait de tourner. Le peintre m'avait dit qu'il avait peint un poumon sur une table (c'est peut-être comme ça que naissent les vocations. Enfin, je ne crois pas. Je n'avais aucune intention d'acheter quoique ce soit, ma paye du mois n'aurait pas suffi. Il m'avait demandé combien je pensais que ça valait. Je lui avais donné un chiffre qui pour moi était de l'ordre de ce salaire. Ça l'avait défait et il m'avait parlé de tout son temps de réflexion, d'essais, de retravail, et de tout ce que ça représentait pour lui. Je l'avais donc "giflé", en donnant ce chiffre, et il me retourna ou sa tristesse ou son mépris, je ne sais toujours pas. Cette histoire, qui date d'une bonne quarantaine d'années, je la garde précieusement. Ou plutôt, elle a laissé sa marque.
Tout ça pour dire que dans le premier texte l'image d'un abattoir est remontée à la surface de l'abstraction voulue. L'abattoir, vu dans une sorte de miroir, et peint avec violence. Parce que la scène est violente, et le regard également.
Peut-être j'aurais mieux fait de ne rien dire, non ?

Cher tom,

Comme à chaque fois que quelqu'un prend le temps de commenter, je suis touché et curieux. Je vous le dis parce que c'est vrai, je suis vraiment touché. C'est d'autant plus vrai avec votre commentaire que vous avez semblé sincèrement interpellé par mon petit poème, et j'en suis ravi.

Récemment, j'ai fini de regarder en replay une série ("en thérapie") qui passait sur arte et dans laquelle un psychanalyste décortique le passé de gens perdus. La série est pas mal mais surtout elle est une formidable occasion de repenser notre présent, en fouillant un peu, tout psychanalystes que nous sommes, dans ce passé fécond de denrées en tout genre. Votre histoire me semble être de celles-là, anodines, mais suspendues au coin de toute réflexion à l'heure tardive de la nuit, jonchée de nos troubles, de nos échecs, des autres et de leur regard.
Si d'habitude je n'aime pas entrer, sans prétention, dans le détail de ce que j'ai voulu écrire, j'aimerais tout de même vous renseigner sur ce qui a guidé ces deux petits poèmes.
C'est une histoire de regard, précisément celui qui vous a fait vaciller d'un endroit à l'autre, de mon poème jusqu'à votre histoire, et de votre histoire jusqu'à mon poème. Le point de départ est bien là, prosaïque et silencieux, on se retrouve à laver des verres. Mais on lave souvent des verres au milieu d'heures où le temps continue de progresser, de limer chaque coin d'une maison et de l'esprit. Et c'est souvent là que l'on pense librement. Pourquoi librement ? Parce que toute histoire née d'une vaisselle activement menée peut bien perdre son fil, se reconstituer, être violente, construite comme une révolte, et réunie finalement pour lui donner du sens, même artificiel. C'est, une fois encore très sincèrement, l'impression que j'ai voulue rendre. C'est bien abstrait puisque nous pratiquons toujours l'abstraction, qui est née avec les hommes et qui n'a pas attendu de courants artistiques ou littéraires. Mais ce n'est pas abstrait dans ce dernier sens parce que je suis ravi que dans ce devoir d'abstraction vous ayez rattaché votre compréhension du poème à des éléments sensés et ordonnés : la lecture avec l'image de l'abattoir fait sens. Et cet acteur de ce poème qui s'échappe, l'esprit et le corps ensemble, il se laisse d'abord envahir par les sons du vivant qui lui parviennent, il feint d'y résister, comme on résiste d'emblée à une interprétation trop vraie. Voici que les bouts de bois mal poncés sur de vieilles tables nous coupent en écharde quand on est petit. Et plus grand, l'écharde d'une vieille table creusée de souvenirs est symbolisée, on a grandi. On a repensé aux dîners, aux pleurs, aux rires, aux cris, à l'ambiance, à notre enfance sur les tables vieilles et malades, pleines de monde, et on juge les hommes. On se juge soi, et on se perd un peu. Et puis, la même, la mère, nous rappelle à notre devoir de vivant, à son devoir de mère, à notre devoir de respecter le devoir. Et d'un coup elle est partout, sévèrement amoureuse, exigeante, triomphante, elle nous interdit de mourir dans l'ombre, dans le regret, et pour des réflexions menées dans les coins, à côté.

Et enfin, banalement, j'ai voulu innover sur le rythme, quelque chose de sec, d'un peu plus exigeant. J'ai tenté quelque chose comme on entend parfois.

Merci beaucoup,

Antoine

Le territoire dans une veille rose
La soirée sur le flanc et le monde attentif
La prairie du monde sur un petite coin d'herbe
On rit plein d'alcool et on s'endort trahi
La matière dehors en langues étrangères
Et le mou tout mou de mes artères finies
Développés en un sens
Crispées sales et lavées

Au bord du choix
Le creux fin et têtue où se trouvent les signes
Applaudis et étalés
S'évade

Près d'une ou plusieurs vaches
Loin des assiettes où les cheveux gris
Se détachent doucement
Comme on lâche prise
On voit bien huit dents jaunis

Leurs fenêtres où une lumière
Immobile
Raconte pour des animaux minuscules
des ragots de campagne
Je veux dormir près d'elles
Dans une sieste sans partage
Dans ces couleurs abandonnées
Dans une écorce
Tachée de boues salissantes
Je m'allongerais et l'oubli et l'histoire et les regards sévères
Se blotiraient dos à moi
Dans un temple où ces hommes feraient un feu de campagne

C'est bien tenté !
Poésie à rebrousse-poil, dans l'hirsute du sens de toutes ces vies sans issue.
Encore bien poli-gentil, pas assez déchiré ce soir-là?
Blague à part, certains coups de ciseau font mouche.