Proposition d'exercice : Le crayon et la gomme

C'est une proposition d'écriture, un atelier.
Disons d'ici janvier, je poserai trois thèmes, trois "consignes", ces barrières qui sont faites pour sauter par dessus.
Je verrai ensuite, selon le plaisir qu'on y prend.

J'aime bien l'idée de croiser un thème, et un texte.
A chacun de prendre, dans l'une et ou l'autre de ces deux pistes, un prétexte à écriture,
et de le livrer aux commentaires, ou à la simple lecture. De le faire évoluer, s'il le souhaite.

Première proposition.

Le texte:
Assis sur la plate-forme arrière du fourgon de queue, les pieds sur les marches, il regardait la terre vaciller– une rivière surgir et s’éloigner de lui –
et disparaître loin de lui les poteaux d’arrêt et les voies secondaires. Une forêt sauvage et criblée de lacs.  
Le train fonçait dans la géographie de nulle-part et avec son angle de vue restreint à l’arrière du convoi Kitchen regardait le monde disparaître.  
« Il ne m’est donné à voir que là où j’ai été, et jamais je ne peux regarder où je vais. »
La ligne de feu - Trevor Ferguson

Le thème:
Se mettre dans la situation d'un voyageur, et restituer le fil de sa pensée, de ses pensées, avec en arrière-plan, ou en premier plan, le paysage qui défile, mais aussi "quelque chose" - c'est vague mais c'est exprès-  extrait de sa propre histoire. Une heure, un jour, une seconde ou sa vie entière. Libre à vous.

Le format. Un peu plus qu'une phrase, un peu moins qu'un chapitre.
Le délai. Je ne suis vraiment pas en situation d'être exigeant...

Ca me plait beaucoup, j'espère que je trouverai le temps avant de partir pour les agapes !...sinon, ce sera après :-)

Deuxième carrefour (les chemins de traverse sont bienvenus).

Le texte.
...
Et ma peinture est triste: ô Jean, défends-la donc,
Et défends aussi mon honneur:
Je suis bien mal loti et je ne suis pas peintre.
Michel-Ange Buonarroti. Les tortures du peintre en peignant la voûte de la Chapelle Sixtine.

Le thème

Mettre en scène un peintre, ou un sculpteur,
en train de "faire" une tête, un visage.
Et il prend son "oeuvre" à partie, il lui parle, il la prend à témoin,
comme on croise quelqu'un dans la rue, avec des choses peut-être banales, ou sérieuses, ou existentielles, que sais-je.

depuis que tu prends place
depuis que je te vois comme
depuis que j'imagine ton futur
depuis que tu vis
les jours sont radieux
les soucis absents
le bonheur présent
l'amour merveilleux

Bon bon bon... Hum ! Tu fais une copie de la Joconde ? De la naissance de Vénus, de la Farnesina ?
Raison de plus pour ne pas t'en tenir à ce monologue. Même sans lui donner la parole, je pense qu'on peut la (?) rendre plus vivante,
et le mettre lui (toi?), plus dans la réaction. Qu'en dirais-tu ?

et voila que ce montre, une foule excitée
qui commente qui vitupère
pendant que les yeux se ferment
devant cette parodie
ou les subjonctifs en tutu
se font chambrer par des verbes
qui n'ont de cesse de conjuguer
dans des phrases oniriques
l'art de la caricature

Ah. Si c'est une diatribe vers les réseaux sociaux, c'est plutôt bien ficelé.
Mais ... tout le monde peut se tromper.

C’est comme si je soulevais l’horizon, par mon avancée, mais avec une tendance à l’oubli immédiat de ce que je dépasse…non , c’est comme si l’horizon n’était pas de sa propre couleur, de la couleur du ciel au dessus de la route. C’est comme s’il était exténué, se levait, se levait, sans qu’aucun lieu n’habite encore derrière son dévoilement - inutile.
Je vais, voici plusieurs heures déjà que je m’enfonce dans cet horizon vague. De chaque côté, je le vois bien, il y a des paysages, qui s’enfuient, se dilatent, pourraient être déchiffrés, où on pourrait s’arrêter. Je m’enfonce entre eux, dans la différence qu’ils manifestent : d’un côté une grande plaine hachée de haies, qui semble par endroits fraîchement labourée (on est en octobre). De l’autre les bords du fleuve s’étirent, rendus flous par ma vitesse. Je vais vite, laissant derrière moi quelque chose qui s’était refermé depuis des années, à quoi je ne pense plus. Seul l’épuisement de cet horizon témoigne encore de ce que je fuis. Bientôt, l’horizon s’ouvrira, je regarderai d’un côté l’éclat du fleuve, de l’autre les oiseaux survolant les haies, et je saluerai la tombée du jour, le soir.

Je vais te faire comme mon père : le nez surtout, mais aussi les deux plis profonds de chaque côté : du nez à la commissure des lèvres. Et les cheveux lissés en arrière, avec deux golfes profonds.
Je vais te faire comme lui, mais je sais déjà que tu seras différent, parce que je l’ai presque oublié, parce qu’il n’existe plus…enfin on ne peut plus le voir, le toucher, alors que tu sera là dans ma main, dans toute la solide dureté de ton bois. Objet, objet que je pourrai jeter, brûler, objet qui existe.
Mes gestes sont précautionneux, la pression du ciseau, de la gouge, je les dirige de mon mieux. Je ne suis pas si attentif au résultat, mon geste est une invocation, mon esprit est parti à sa recherche, je rêve. Peu importe ce que tu montreras finalement de ma mémoire défaillante, de la nature des morts si inaccessible. Tu témoigneras toujours de ce moment particulier où j’ai essayé de faire mon père, où j’ai convoqué dans l’épaisseur du passé ses innombrables visages, presque effacés.

Merci ‘toM, tes idées ont mis fin pour moi à une longue période d’incapacité ; comme quoi l’essentiel c’est de suivre quelque chose ou quelqu’un...de ne pas se prendre pour quelqu’un en tout cas.

"Je vais vite, laissant derrière moi quelque chose qui s’était refermé depuis des années"
Je me suis arrêté en premier sur cet apparent paradoxe. A la relecture je me suis dit la route le fleuve la vie le soir.
Tout arrive ! (mais promis, rien à voir avec le pont Mirabeau....)

"Je vais vite, laissant derrière moi quelque chose qui s’était refermé depuis des années"

Oui, je me disais avant que ça ne coupe, que ton fragment ressemblait à une métaphore de la vie prise dans le temps.
Une métaphore soigneusement enveloppée dans une description du paysage.
Borgès disait que c'était une des seules métaphores qu'il jugeait acceptable en littérature. Le fleuve et le temps.

"Je vais te faire comme mon père"

C'est la direction que j'imaginais, en me demandant si c'était possible de passer du geste, à l'évocation.
Du geste quasi uniquement concentré sur la technique, les doigts, et oubliant qui est représenté. Et le passage vers l'évocation qui quasi suspend le geste, ou ne laisse plus qu'un vague automatisme. Et ou vice-versa.
Mais on ne peut pas faire de consigne trop précise, et de toute façon la consigne est là pour être franchie...
Et puis je n'ai pas essayé.