Ecrire II

Je suis sur le quai de la gare. J’attends le train de 38. Je pense au livre que je lis en ce moment. Je pense au texte que j’écris.
Lire… Ecrire… Est-ce que je vis dans un monde irréel ? Dans un monde virtuel ?
Et puis, je me rassure, toute seule… Non… non… je suis un être humain, et de quoi sommes-nous faits, nous les humains, sinon de mots ?

Quand je lis ou quand j’écris, je ne ressens pas l’irréalité. Je suis dans mon livre, dans mon texte, je suis dedans, à l’intérieur même, et tout a du sens. Je suis dans l’action : lire, écrire.



Je me suis inscrite à un cyberatelier d’écriture. Je n’écris plus dans le vide. Ecrire prend un autre sens.



Un jour, dans un train.
Une petite dame tricote. Elle n’est pas beaucoup plus vieille que moi, peut-être 10 ans de plus… mais qu’est-ce que c’est 10 ans ? Elle a le visage tout rond. Elle ne semble avoir fait attention à rien : ni à sa coiffure, ni à son habillement, ni à ses accessoires. Elle n’est pas débraillée ou mal coiffée. Elle est juste la plus neutre possible.
Elle est totalement absorbée par son tricot. Un travail très méticuleux. Des points très fins.
Je la regarde d’une façon un peu condescendante. Et puis je me reprends… Qu’est-ce que j’ai de mieux qu’elle ? Elle tricote, et alors ? Chacun ses passions ou ses passe-temps… Moi, j’écris bien… C’est pareil… Je tricote les mots…




Trouver mon style. Phrases longues ? Phrases courtes ? Ponctuation insistante ou seulement nécessaire ? Beaucoup de verbes ou le moins possibles ? Des phrases construites ou réduites à leur simple expression ? Prose ou poésie ? Fragments ou textes plus longs ?
Et pourquoi me faudrait-il choisir ? Je peux lire des choses si différentes. J’aime passer d’un style à un autre. Ce que je m’autorise comme lecteur, pourquoi ne me l’autoriserais-je pas lorsque j’écris ?



J’allume l’ordinateur pour écrire. Mais au lieu d’ouvrir Word, je vais sur Internet. Je me dis, allez… d’abord un petit tour sur un forum… Et puis, finalement, j’y passe du temps. Il ne m’en reste plus pour écrire.




A l’école, je travaille avec les élèves en Art Plastique. Je leur présente des reproductions d’art contemporain. Je leur montre un tableau de Francis Bacon.
- Ah ! ça c’est bien ! dit Amine. Ça, au moins, c’est de l’Art !
- Pourquoi ? je demande.
- Parce que c’est difficile à faire…

Je fais la queue à la Fnac. Je prends le dernier livre de Musso, sur le présentoir, juste pour le feuilleter, en attendant mon tour. Je lis la première page. Pas mal. Ça me donne envie de le lire. En même temps, je ne trouve pas que le style soit très littéraire. Je me dis : « Facile… Moi aussi j’aurais été capable d’écrire ça… »




C’est si difficile la réécriture. Ajouter une phrase, remplacer un mot par un autre, changer la ponctuation, le rythme du texte. Tout cela je sais le faire. Mais enlever… enlever le superflu, enlever des parties entières, faire des coupes sombres… C’est si difficile. Et pourtant il faut en passer par là. Elaguer, élaguer, élaguer. Ne garder que le nécessaire.




Une amie m’a envoyé une carte de vœux. Du papier noir, cartonné, sur lequel elle a écrit avec un stylo « or ». Elle a recopié une phrase de Peter Hanke : Maintenant je sais le dire, c’est cela écrire.
Pendant très longtemps, la carte est restée sur l’étagère du salon.




Trouver les mots pour dire… S’approcher au plus près…

Un jour, je remarque le ciel, à la tombée de la nuit, juste après que le soleil se soit couché. Le ciel est très bleu, très clair, très lumineux, alors que la ville est déjà sombre.
Une autre fois, en train, je retrouve ce ciel là, entre le jour et la nuit. Je m’accoude devant la fenêtre et je regarde les montagnes, déjà noires. Et, au-dessus, cette clarté. Je veux garder en moi cette impression et la décrire. Je note :

Au début de la nuit
Des silhouettes de montagne
Et le ciel très bleu

J’essaie de relire mon haïku avec d’autres yeux, de m’imaginer lecteur. Qu’est-ce que je comprendrais à ça ? Est-ce que je verrais la couleur du ciel ? Je suis sûre que non.




Un matin de vacances, pluvieux.
On avait parlé d’emmener notre fils à Thoiry mais, avec le temps qu’il fait, on reporte au lendemain.
Je sors. Je vais faire des courses, acheter des chaussettes au Monoprix, trouver du fil à la mercerie, chercher un recommandé à la poste. Rien qui m’amuse. Il y a toujours des choses obligatoires et embêtantes dans une journée. Le ciel est gris, la ville déserte.
Je me dis que je serais mieux chez moi, devant mon Apple. Les touches se laissent caresser. L’écran est doux. J’ai envie d’y travailler mes textes.
Je suis bien avec mes mots.

J'aime bien le titre... et ce qui suit.
Ces notations, détachées, un peu.

(Détail, je prefère: Elle semble n'avoir fait attention à rien à "Elle ne semble avoir fait attention à rien")

Francis Bacon, un Modo fait la gentille retouche ? :-) ---» Ok (K.)

.

Cette fenêtre que tu nous ouvres sur ta vie trace une voie directe entre un être humain et les autres, que ne permet pas la fiction. Je suis touché par tes interrogations, ta sensibilité. J'aime ton haïku, et j'ai lu ce qui suit de la même manière : Maintenant je sais le dire, c’est cela écrire.
Pendant très longtemps, la carte est restée sur l’étagère du salon..

Comme précédemment, c'est très chouette. Je ressens une évolution, il me semble que tes interrogations sont plus sereines et parfois traversées de certitudes, comme si le cheminement avait abouti à une sorte de maturité (en matière d'écriture).

Arts Plastiques ! Très important, les " s " !!! ^)^
Texte touchant, comme pour le premier opus.
Juste une question, Anne : as-tu ( ou envisages-tu ) d'ouvrir un blog ?
Je verrais bien ce texte comme fil conducteur d'un blog consacré à l'écriture d'Anne Veillac, entrecoupé d'autres textes ( nouvelles, poèmes, etc... ) de ton cru.
Penses-y... si ce n'est déjà fait !

J’aime beaucoup la façon dont sont décrites les « petites choses de la vie » ainsi que le rapport à l'écriture : « Je tricote mes mots », « Je suis bien avec mes mots », quoi écrire, comment écrire, tenter de lire ce que l’on a écrit soi-même comme si on n’en était pas l’auteur, lire ce que les autres ont écrit en se demandant si ça aurait pu être nous... Tout cela m'est familier. "Ne garder que le nécessaire" : je pense que c'est réussi.

Merci pour vos messages.

Concernant le blog, justement je voulais m'y mettre. C'est mon devoir de vacances : comprendre comment ça marche. Pas pour mettre des textes à moi, en tout cas pas maintenant, mais j'avais envie de faire un blog avec mes élèves. Avec leurs textes, des photos. ça me semblait ludique et motivant.
Est-ce que c'est compliqué ?

Non t'inquiète pas créer un blog ce n'est pas la mer à boire (tout juste une flaque... et encore!) je te conseille par ailleurs http://over-blog.com qui est ma foi l'un des meilleurs hébergeurs que tu puisses trouver, gratos et fiable, et pas trop compliqué. (Surtout n'essaye pas Skyblog, ou tu le risques très vite de le regretter, là c'est un connaisseur qui parle ^^)
Concernant les textes, ben ma foi ça me plaît bien ^^
Parmi cet assemblage de fragments, y en a deux dans lesquels je me retrouve complètement. Paradoxalement, mis côte à côte, ils sont un peu... disons paradoxaux, j'ai l'air malin maintenant j'aurai du commencer ma phrase avec autre chose que "paradoxalement", mais maintenant trop tard et puis tant pis. Ceci dit, les voici:

Anne Veillac a écrit:Je me suis inscrite à un cyberatelier d’écriture. Je n’écris plus dans le vide. Ecrire prend un autre sens.

J’allume l’ordinateur pour écrire. Mais au lieu d’ouvrir Word, je vais sur Internet. Je me dis, allez… d’abord un petit tour sur un forum… Et puis, finalement, j’y passe du temps. Il ne m’en reste plus pour écrire.

Le second... je dois dire qu'il me préoccupe pas mal celui-là, puisque c'est précisément ce que je suis en train de faire ^__^
Bref, j'attends la suite!

Anne
Je ne sais pas comment décrire ce texte car je suis partagé entre le scénario , le livre et la lettre d'une amie.
Ce qui m'a fait bizarre, c'est que j'ai cru entendre ta voix qui racontait une histoire.
En tout cas , pas indifférent à ton texte et même inspiré ....
Va voir un peu "ville sombre" que je vais poster le temps de le taper sur word directement inspiré de ton texte ....et dis-moi ....

M

En relisant ton texte pour répondre à Manu (à propos de son texte "Ville sombre"), j'ai trouvé deux petites choses dans "Ecrits II" :
"Un jour, je remarque le ciel, à la tombée de la nuit, juste après que le soleil se soit couché" : "...juste après que le soleil s'est couché."
"Une autre fois, en train, je retrouve ce ciel là, entre le jour et la nuit." : ce ciel-là (tiret)

Sinon, j'aime toujours autant après relecture ! Un texte apaisant.

J'aime bien l'aspect simple et quotidien de certains de ces fragments, j'aime aussi tes interrogations même si elles sont tiennes. Tous les auteurs doivent un jour ou l'autre en avoir de semblables...
Toutefois, comment dire, il me semble que tout cela est tout de même très attendu, très convenu, bref que c'est quelque chose de devinable et de pas surprenant. Je sais que le quotidien peut être beau et intéressant sans forcément surprendre mais je ne sais pas, il me manque sans doute un brin de personnalisation, de différence pour que ces fragments aient ce supplément d'âme qui me permettrait de complètement y adhérer.

Dans le genre brillamment inauguré par Panda, quelques variations éthyliques sur ton Haïku.



Au début de la nuit
Des silhouettes de montagne
Et le ciel très bleu

1ère tournée de Ricard-tomate (double)

Vers le crépuscule
Fuyaient les montagnes
Bleuissait le ciel

2ème tournée

A l’apéro du soir
A la santé des montagnes
Le ciel bleu trinquait

3ème tournée

La tombée du jour
Sur le crâne des montagnes
Leur faisait des bleus

4ème tournée

Le jour a vacillé
Sur le flanc des montagnes
Et le ciel bleu aussi

5ème tournée

La nuit n’en finit pas
On ne voit plus les montagnes
Le ciel bleu s’est perdu

Nième tournée

Putain de nuit
Plus jamais les montagnes
Je hais le ciel bleu

C'est bien la sincérité, je nage dedans.
Et même si oui, je ressens une petite frustration littéraire, elle est pour ainsi dire gommée par le contenu. Comme Manu j'ai envie de faire un petit texte réponse. Oui, un format blog te conviendrait bien.

J'ai hésité à vous répondre. Je me suis dit "non... après je vais remonter toute la file des textes... je vais doubler... ça se fait trop pas... comme diraient mes élèves…"

Mais je voulais vous remercier pour vos commentaires.

Je voulais remercier Chako noir en particulier pour ses infos sur les blogs. Je crois que je vais m’y mettre cet été. Juste comme ça, pour de rire, presque pour de faux, pour l’amusement, pour le côté ludique, pour voir comment ça marche… Et après, j’en ferais peut-être un avec mes élèves. Mais tu sais, Chako, tu as 17 ans… moi 43… Votre génération, vous êtes sacrément plus doués que nous devant un écran.

Je voulais aussi dire à Gobu que son texte m’a bien plu. J’ai souri plusieurs fois à sa lecture, comme ça, toute seule devant mon ordinateur…

Allez, je vais faire mon Halicante :
ici "Beaucoup de verbes ou le moins possibles" je ne mettrais pas de S à "possibles", oui ? non ? Sahkti ?

J'aime toujours autant ce journal, ces petites réflexions en apparence anodines mais somme toute essentielles.
Vrai, combien de fois me suis-je aussi dit un truc du genre "ça j'aurais pu l'écrire", en réalité j'aurais dû me dire "ça j'aurais aimé savoir l'écrire comme ça", ce serait plus humble ;-)

J'attends l'opus III ;-)

mentor a écrit:Allez, je vais faire mon Halicante :
ici "Beaucoup de verbes ou le moins possibles" je ne mettrais pas de S à "possibles"

C'est une déformation professionnelle, mon cher, je ne peux pas m'en empêcher ! C'est marrant comme expression, "faire son Halicante" ! :-))

Anne Veillac a écrit:J’allume l’ordinateur pour écrire. Mais au lieu d’ouvrir Word, je vais sur Internet. Je me dis, allez… d’abord un petit tour sur un forum… Et puis, finalement, j’y passe du temps. Il ne m’en reste plus pour écrire.

Je me retrouve totalement dans cette situation ... malheureusement :/

L'image du tricotage pour exprimer l'assemblage entremêlé de mots qu'est le texte est très belle je trouve.

Tout un tas de questions qu'on se pose lorsqu'on écrit - et lit -, très bien retranscrites.
J'ai beaucoup aimé la remarque de l'élève sur la difficulté de l'art, avec en parallèle sa relative accessibilité/facilité.