Le Baka's (3/5)

Stupeur. Mais pourquoi ont-ils mis le son aussi fort ? Pourquoi le chauffage est au maximum ? Je regarde autour de moi, mais les gens n'ont pas l'air de réagir. Bordel, mais c'est que vous êtes une belle bande de cons ! Réagissez ! Ou alors...

Ou alors, serait-ce moi ? Je n'ai pas bougé d'un iota. Ca doit bien faire trente secondes que la fille du vestiaire m'a pris mon manteau, donné un ticket avec un numéro dessus, et je reste là, planté comme un con. La fille s'en est aperçu, dailleurs. Elle me fixe, d'un regard légèrement inquiet. Je vois les trois autres qui sont déjà sur la piste de dance, sautant dans tous les sens.

Allez, fais un effort monsieur Chauve. La séquence à réaliser n'est pas aussi compliquée qu'elle en a l'air. Tu mets le ticket dans ta poche, tu tournes la tête et tu fais ton plus beau sourire à la fille, une façon comme une autre pour la remercier de sa patience. Puis tu t'avances. Tu marches tout droit, tu ne quittes pas tes potes des yeux, et tu les rejoins.

Je sens une coulée de sueurs froides descendre lentement le long de mon cou. Rien à faire, je ne bouge toujours pas. Ca fait une minute maintenant. La fille me demande :

- Ca va ?

Je me retourne vers elle, lui fait un sourire, et en voyant qu'elle agrandi encore plus les yeux, je me dis qu'il n'a pas eu l'effet escompté. C'est le moment de dire un truc :

- Ouais, ça va. C'est juste qu'il fait... super chaud.

Je me lance enfin, et je fonce rejoindre mes potes. Ils ne s'inquiètent pas le moins du monde de la vague de panique qui me submerge, trop occupés à chauffer tout ce qui bouge. C'en est trop. Il faut que je me repose.

Je repère une table libre au fond, avec un divan qui me semble confortable. Je m'y asseois quelques instants, le temps de reprendre mes esprits. Au bout d'un moment, il fait moins chaud, et les connards de la régie semblent enfin s'être décidés à baisser le volume. Je vois Georgio qui s'avance vers moi, le sourire aux lèvres :

- Ca va gros ?

- Hmm hmm.

- Pourquoi tu viens pas bouger tes fesses ? Y'a des nanas partout !
- J'ai besoin d'un verre... enfin je crois.

- T'inquiètes, c'est moi qui régale !

Et le voici qui s'élance vers le bar. Entre temps, monsieur Brioche et monsieur Frisé se sont assis à mes côtés.

- Putain, y'a un mec magique qui danse au fond ! me lancent-ils quasi-simultanément.

- Où ca ?

- Tu vois le gars là-bas, tout gros avec le t-shirt moulant et les lunettes ?

En effet, je le vois. Le type bouge comme jamais je n'ai vu quelqu'un bouger. Les deux bras écartés, il fait de petits moulinets avec ses poignets. Ses deux pieds martèlent le sol à tour de rôle, ce qui lui confère l'allure d'un attardé mental épileptique a qui on a ordonné de ne pas bouger de son carré de dix centimètres de surface.

- Y'a marqué "High Volted" sur son t-shirt, me balance monsieur Frisé, pour parfaire le tableau.

Ca a au moins le mérite de me faire rire, et d'oublier cette chaleur intempestive. Au même moment, je vois Georgio qui revient, deux bouteilles de whisky à la main.

- Putain mais t'es con ! Combien t'as payé pour tout ca ?

Alors Georgio nous raconte qu'il a barratiné la serveuse pendant un moment, lui expliquant que c'était son anniversaire, et qu'il estimait avoir le droit à une bouteille de whisky "bonus" s'il en achetait une. Au début elle a refusé, mais il lui a dit que si c'était son anniversaire à elle, elle n'en aurait pas attendu moins. Et elle a été obligée de s'incliner. Sacré Georgio.

Un serveur nous amène quatre verres, et une carafe de coca. Monsieur Brioche et monsieur Frisé sont encore en train de parler de "High Volted", et Georgio nous serre les whisky. De mon côté, je suis occupé à regarder une petite brune qui me jette des regards incendiaires depuis tout à l'heure.

Nous buvons un premier verre de whisky assez vite, et Georgio nous remet des balles neuves, comme il dit si bien. Après ce deuxième verre, nous allons sur le dancefloor.

Je me sens beaucoup mieux, comme si le Poppers avait momentanément laché son étreinte. Je me détends, commence à m'imprégner du son et à danser. La petite brune s'est rapprochée de nous, et elle ne me quitte pas des yeux. Je fais style que je ne l'ai pas remarquée, et je continue à danser. Je fais semblant de rire aux conneries de mes potes, mais en réalité, je ne les écoute pas.

Je me focalise sur la brune, et je m'approche discrètement. Elle me décroche un grand sourire, que je lui retourne. Ca y est, on danse. Elle n'arrête pas de me fixer en me souriant. C'est déstabilisant. C'est enivrant. Je me sens pousser des ailes, alors je lui enlace la taille, et je me colle à elle.




Pas de bol, deux choses viennent gâcher ce moment : le DJ change de morceau, et a la bonne idée de mettre YMCA, et Georgio se pointe, complètement arraché, et me tire littéralement vers lui pour me dire quelque chose. La brunette me regarde un moment, puis pars rejoindre ses copines. Merde !

Nous voici de retour à la table, pour un autre verre de whisky. La discussion part dans tous les sens, nous commençons à être très en forme. Si je me retiens un peu de boire, afin de me focaliser sur ma brune, les trois autres ne se privent pas. Ils partent à tour de rôle parler à "High Volted", et reviennent nous raconter :

- Je lui ai dit : "T'es un beau gosse, tu sais mec ?" et il m'a répondu "Ouais je sais, je m'entraîne à danser chez moi le soir".

- Je lui ai dit : "Vas voir les trois nanas là-bas, elles arrêtent pas de te regarder", et il y est allé ! T'aurais vu la tête des filles, elles ont eu peur !

Je me dis : le pauvre bonhomme. Il a tragiquement croisé le chemin de mes trois compères. J'espère qu'il ne le prendra pas mal...

Je pars aux toilettes, et, sans trop savoir pourquoi (sûrement parce que je suis un peu saoûl), je commence à arracher une feuille de papier toilette pour essuyer la cuvette, puis deux, puis le rouleau tout entier. Ca me fait bien marrer. Au bout d'un moment, j'ai vidé la totalité du rouleau sur le sol.

J'ouvre la porte des toilettes, et je vois le videur, qui a lui aussi envie de pisser. Il regarde le PQ au sol, et me dit :

- Tu ramasses, s'il te plait.

Je m'insurge :

- Mais attends, j'y suis pour rien moi ! Comment tu peux savoir que c'est moi ?

Rien à faire :

- Tu ramasses mec. Ca fait déjà trois fois que je te fais des remarques dans la soirée : tu dansais avec un verre à la main, et après avec une clope.

- Attends, c'est quoi ce bordel ? On peut même plus danser une clope à la main ?

Il ne me réponds pas ce coup ci, et en voyant son regard de tueur, je ramasse gentiment le papier toilette. Il faut dire que le gars fait dans les deux mètres, et a des épaules deux fois plus larges que les miennes.

Les deux bras écartés, il fait de petits moulinets avec ses poignets. Ses deux pieds martèlent le sol à tour de rôle, ce qui lui confère l'allure d'un attardé mental épileptique a qui on a ordonné de ne pas bouger de son carré de dix centimètres de surface.
Hé hé hé! Très visuel et réaliste, j'imagine bien la scène et j'ai ri, plus loin, quand tu écris qu'il danse chez lui le soir
Je préfère cette 3e partie, plus "posée", tu laisses à l'histoire et à l'ambiance le temps de s'installer, on fait un peu plus connaissance avec les potes en délire, c'est moins chaotique, moins speedé et je préfère ça.

Sahkti a écrit:Les deux bras écartés, il fait de petits moulinets avec ses poignets. Ses deux pieds martèlent le sol à tour de rôle, ce qui lui confère l'allure d'un attardé mental épileptique a qui on a ordonné de ne pas bouger de son carré de dix centimètres de surface.
Hé hé hé! Très visuel et réaliste, j'imagine bien la scène et j'ai ri, plus loin, quand tu écris qu'il danse chez lui le soir

Ah ben la métaphore m'a pas faite rire du tout moi. Ca a fait flop. Mais c'est sans doute parce que j'ai jamais vu d'attardé épileptique confiné dans 10 cm² mouliner des poignets et que donc ça ne me parle pas...
Ce type d'humour je le trouve gras, me semble que dans "entretien" c'était quand même plus fin.
Et puis pourquoi faut-il que tous les types de ton histoire soient, je cite, ou bien des "connards" isolés ou alors partie intégrante d'une"bande de cons"?