Porte de Clichy 3ème partie

Un petit Indien, l’air triste, promène des roses dans un panier.

- Une pour Madame, petit !
Giorgio lui tend la monnaie. Le petit Indien esquisse un sourire, puis poursuit son errance.

Maintenant, il lui chatouille le nez avec la fleur puis lui plaque un gros bécot sur ses lèvres rose bonbon. Ils enfilent un couloir encombré de poubelles, grimpent un escalier que le balaie ne visite pas souvent. Au dernier tournant du dernier étage, Edith s’échappe du bras de Giorgio, le visage soudain décomposé.
- Lucien ?
- Ça fait une heure que j’attends devant ta porte !....
Lucien, à la vue de Giorgio, s’empourpre.
- Pas la peine de me présenter un de tes cousins !
Et il dévale l’escalier, arrachant au passage la rose qui atterrit sur le nez du chien.

Un voisin qui ouvrait sa porte pu entendre « Salope ! Salope ! »
Arrivé en bas, il tombe nez à nez avec Valentin .
- Tu vas où, papa ?

III

Rosine n’a pas quitté la banquette. Elle vide le reste de son chagrin dans la bière blonde où la mousse s’épanche et fait des langues sur la paroi du verre. Elle boit sa rancœur comme on boirait une amère liqueur qui fait grimacer et déglutir avec force.

Un client, accoudé au bar, avait observé la scène. Il approche une chaise de la banquette et s’installe.

- C’est dur ! Je comprends ça ! Moi, c’est ma femme qu’est partie avec un représentant… en robots de cuisine ! Ah ! Il n’a pas fait que de lui vendre un robot! Et moi, pauvre imbécile, J’y ai vu qu’du feu !....Ah ! Le salaud !...

Rosine ouvre une paupière et le regarde l’air de dire « Qu’est-ce que tu peux bien comprendre, mon pauvre vieux ? Pas étonnant à voir ta tronche que ta femme soit partie ! »

- …Au fond, on est pareil tous les deux, non ?…On s’est fait avoir !...
- Depuis ça, j’ai plus d’ goût à rien !...Oui, dégoûté que j’ suis !...C’est le soir qu’est le plus dur…Je tourne en rond…Plus personne à qui parler…Tenez ! Elle a même pas emporté le robot ! Vous en auriez pas l’utilité, par hasard ?
- Mais qu’est-ce que j’ m’en fous de votr’ robot !... Qu’est-ce que vous voulez que ça m’fasse que votr’ femme est soit partie? J’vous ai rien d’mandé !...Et puis qu’est-ce que vous en savez que j’ me suis fait avoir ? Moi, je sais qu’il va revenir Giorgio…Parce qu’il revient toujours !…Oui Monsieur ! Parce qu’il ne peut pas se passer de mon picatta de veau ! Des années pour prendre le coup avant qu’il me dise que c’était comme chez sa mère ! Parce que tout le secret, Monsieur, est dans la sauce ! Ah! Je l’entends encore me dire « Tu sais , Cara mia,, ça peut arriver que j’te trompe encore, j’espère pas, mais jamais je ne pourrais me passer de ta picatta !...ça compte, ça , Monsieur ! Le ventr’, que j’ vous dis ! C’est par là qu’on les tient les bonshommes ! La preuve ! Vous avez l’air empoté avec votre robot ! Vous ne savez même pas vous en servir ! Et si vous comptez sur moi pour vous faire la tambouille, vous vous mettez l’ doigt dans l’œil !

Rosine déverse le trop plein que la bière n’a pas réussi à contenir. Une soudaine vigueur s’empare d’elle. Elle se mouche une dernière fois, fourre ses petites affaires dans son sac, rajuste son col de chemisier, empoigne son manteau et quitte la table.
- Patron, vous mettrez sur la note à Giorgio ! Ciao !

Ce sapristi de sale bonhomme, sans le savoir, vient de lui redonner de l’assurance. Elle n’a plus qu’une idée : filer chez le boucher acheter des escalopes de veau. Elle se dirige vers la sortie , laissant le cocu médusé.

Tiens ! Qu’est-ce qu’elle avait dit ? Mais oui, c’est bien Giorgio appuyé contre un banc ! Mais pourquoi qu'il se tient plier en deux ?
- Giorgio ! Giorgio ! Qu’est-ce que t’as ?

J'ai bien aimé, sauf la diatribe de Rosine que je trouve forcée dans le genre "gouaille parisienne".

socque a écrit:J'ai bien aimé, sauf la diatribe de Rosine que je trouve forcée dans le genre "gouaille parisienne".

j'ai eu un peu la même réaction, même si je me dis qu'on doit bien en trouver dans les troquets de ces gouailleuses grandeur nature ...
Attention donc à ne pas verser dans la caricature (je pense aussi au représentant en robots qui frise...)

Il faut avoir traîné dans certains bistrots populaires, parisiens ou non, pour savoir que le verbe est souvent bien châtié. C'est même un défouloir de la parole qui ne s'embarrasse pas de syntaxe léchée. C'est un langage; il existe. L'ignorer, c'est porter un jugement négatif. Ensuite, on aime sa saveur ou on ne l'aime pas, c'est autre chose.

Aujourd'hui on démarche pour les énergies renouvelables, hier, c'était pour les aspirateurs et les machines à laver. Des témoins de Jéhovah n'auraient pas fait l'affaire! (lol).

Merci pour vos commentaires.

C'est bien, ça me plaît. Il faut continuer. On ne sait pas où ça va aller et finalement, c'est ça qu'est bon !
Le langage ne me gêne pas (bah tiens !).
La seule chose que je pourrais dire c'est que les fragments sont tellement courts que garder l'attention du lecteur et éveiller toujours et encore sa curiosité relève d'un sacré pari.

Ptipimous, pour vous faire plaisir, je publierai l'intégralité...dans une semaine!!!

Merci à tous de vous être arrêté sur cette place.

Troisème fragment pas encore lu, voilà qui est fait et j'ai retrouvé ce récit avec plaisir.
Cela sonne très vivant et réel, malgré le trait un peu forcé de Rosine (mais vrai qu'il y a des gens qui parlent comme ça, donc je ne dis pas que ça sonne faux, juste que ça prend beaucoup de place dans un texte court).

En assemblant les trois premiers textes, ça donne quelque chose de chouette !