Sonate aux pauvres morts

Nos morts, nos pauvres morts,
Ont-ils aimé, ont-ils vécu ?
En quelle nuée sont-ils perdus,
En quelle neige et dans quel Nord ?

Lettres dorées sur tombes noires
Qu 'à peine l'on peut lire
Tant il a plu sur nos empires,
Tant il fait sombre en nos mémoires.

Ont-ils été juste des ombres
Sur les chemins d'hier
quand ils partaient au feu d'enfer
Périr au front en si grand nombre ?

Et Sigismond bon laboureur
Ou Jeanne la ribaude,
En sa province Dame Claude,
Même Tibère l'empereur,

Tous engloutis dans l'océan
Qui n'a de profondeur,
Quelques grands fussent leurs honneurs,
Que la mémoire des vivants.

J'ai beaucoup aimé l'oscillation du rythme entre hexasyllabes et octosyllabes ! Un beau poème, ample, solennel. Une préférence pour les deux derniers quatrains...

J'ai trouvé le premier vers un peu naïf.
L'idée de plaindre les morts qui me déplait sûrement.
Je suis trop terre à terre parfois.
Mais, la suite est très belle et surtout cette strophe :

Hellian a écrit:Lettres dorées sur tombes noires
Qu 'à peine l'on peut lire
Tant il a plu sur nos empires,
Tant il fait sombre en nos mémoires.

J'y trouve un double sens (qui peut-être n'existe pas) qui me fait penser aux souvenirs que l'on se promet de garder d'une personne décédée. Les "Lettres dorées" valant les meilleurs moments passés en sa compagnie et les "tombes noires" valant les pires qui servent à mettre en reliefs les meilleurs (vous me suivez ? :-))).
Merci à vous.

Un poème tout d'humilité, pour remettre les choses en place. Histoire de ne pas oublier d'où nous venons, où nous allons tous. Ô éphémères !

J'aime bien l'idée générale et j'apprécie beaucoup le rythme changeant.
Le seul "truc" qui me gêne, c'est "pauvres".
Sans doute parce que, pour moi, une fois mort tout le monde est à égalité et ça, en revanche, vous l'avez bien souligné.

chaque fois que je passe dans un village isolé au milieu d'un beau paysage, je lis la liste du monument aux morts, et je m'imagine ces types mourants dans la boue et revoyant leurs paysages, j'en frémis

merci de m'avoir évoqué ces instants..

Juste une petite note pendant que c'est ( presque en haut) : " Pauvres morts ' n'est pas sensé traduire ici une intention morale mais une dérision ontologique.

Et Sigismond bon laboureur
Ou Jeanne la ribaude,
En sa province Dame Claude,
Même Tibère l'empereur,

L'idée est intéressante et le poème très bien écrit ; mais le fait de prénommer les morts m'a géné. J'aurai préféré je crois, un anonymat qui universaliserait le propos.

vu que c'est en haut, je continue de causer ;

Eh bien justement, c'est tout le contraire ! si travail de mémoire il y a, c'est en nommant qu'il s'effectue. c'est à ce (petit) prix que se combat l'enlisement de l'oubli . c'est tout le sens du poème...

Hellian a écrit:vu que c'est en haut, je continue de causer ;

Eh bien justement, c'est tout le contraire ! si travail de mémoire il y a, c'est en nommant qu'il s'effectue. c'est à ce (petit) prix que se combat l'enlisement de l'oubli . c'est tout le sens du poème...

Oui, à y bien réfléchir, vous avez raison ; et votre dernière remarque me rappelle l'excellent film de tavernier " la vie et rien d'autre " ou Noiret cherche à identifier chaque mort de la grande Guerre.
Je crois que j'avais d'abord lu ce poème sur " la mort" et pas sur "les morts " d'où ma confusion entre universalité et particularité.

Nous pourrions aussi le retourner aux " vivants ".

Lettres dorées sur tombes noires
Qu 'à peine l'on peut lire
Tant il a plu sur nos empires,
Tant il fait sombre en nos mémoires.


C'est le vertige qui nous prend de penser que toutes les morts seraient vaines.
L'angoissante question: Vraiment, tant de souffrances pour rien?

Cela m'entraîne dans une réflexion sur le sens du sacrifice, le sens du mot "patrie",même.

Bien amicalement à vous, Héllian!

Je reviens sur ce quatrain :
"Et Sigismond bon laboureur
Ou Jeanne la ribaude,
En sa province Dame Claude,
Même Tibère l'empereur,"
dont vraiment je ne me lasse pas, je lui trouve des accents de Villon !

Je lis ton poème avec en écho dans ma tête ces infos sur le récent décès de deux des derniers survivants de la Grande Guerre. Une partie de la mémoire qui s'en va, des morts à ne pas oublier et ton texte prolonge cette actualité morbide. De jolie manière, digne et élégante.
Que te dire d'autre, si ce n'est que j'ai aimé ce rythme pas tout à fait régulier, qui se laisse conter à voix haute avec un certain plaisir. Et ce contenu, empreint de respect.

socque a écrit:Je reviens sur ce quatrain :
"Et Sigismond bon laboureur
Ou Jeanne la ribaude,
En sa province Dame Claude,
Même Tibère l'empereur,"
dont vraiment je ne me lasse pas, je lui trouve des accents de Villon !

Ha oui, tout à fait socque, bien vu !

En ce temps d'hommages aux morts, j'ai ressuscité cette sonate :