Liberté
+2
Gév
Sharhead
6 participants
Page 1 sur 1
Liberté
Un feu poussait dans la cheminée, ronflant comme un chat bien pansé. La pluie, effrontée, tapait incessamment au carreau. Par la fenêtre mi-embuée, je pouvais voir au loin les montagnes qui découpaient le ciel de leurs sommets encore enneigés. Derrière elles, d'immenses plaines galopaient de fierté vers la mer. Le blé, qui d'ailleurs y dansait dans le vent, annonçait les vagues.
J'ai connu ce paysage sans le vouloir. La question ne trouvait pas son sommeil dans ma tête, mais je n'avais jamais vraiment cherché à trouver sa réponse auparavant. Qu'y a-t-il donc derrière ce tas de cailloux, si petit de loin, mais si majestueux pour un regard plus ajusté ? Mon père me tenait par la main, comme un policier, heureux de sa chasse, tiendrait du bout de ses menottes sa proie habilement capturée. Je n'ai pas pu m'éloigner voir d'autres soleils, admirer d'autres couleurs, contempler d'autres étoiles. J'aurais aimé fouler l'herbe de mes pieds nus, une herbe grasse et verte respirant la vie, aspirant à aucune autre vie sur Terre, mais je n'ai pas pu.
Mon rêve fut de partir. Partir au loin, crever la cime des ces monts comme eux crèvent le ciel, et avaler des kilomètres et des kilomètres de terre, quitte à en mourir d'indigestion à la force des ampoules à la plante de mes pieds. Je voulais te voir, mer, je voulais te rejoindre. Je voulais que tu me serres près de ton cœur, je voulais que tu me berces en ton sein, que le creux de mes reins corresponde au creux de tes vagues. Je voulais que l'écume naissante des jours plats vienne sonner à la porte de mon âme, et adoucisse mes nuits noircies de sombres cauchemars.
Quitte à y laisser un ou plusieurs de mes doigts, une voire deux de mes mains. Quitte à devenir aveugle, je voulais te voir. Rien que de pouvoir apprécier ta beauté une seule et unique fois dans ma vie aurait été pour moi le plus beau des cadeaux, la plus grande des fortunes. Perdre mes yeux n'aurait eu alors plus aucune importance au regard de l'explosion de mes sentiments. Les yeux de mon cœur auraient été grands ouverts à la lumière de ta flamme, ravivée par le flot impétueux de mes pensées.
*
Je n'y ai laissé aucun doigt, je n'ai eu nul besoin de me couper la main, ou d'y perdre un oeil. J'y ai juste perdu toute mon énergie, ma joie de vivre. Plus rien ne m'anime, plus rien ne peut me réanimer.
Avachi dans mon fauteuil, je suis croulant de vérité face à ma vie. Le feu, lui aussi s'éteint, il est fatigué. J'ai toujours eu peur, je ne suis jamais allé plus loin que le devant de ma porte. Le paillasson: un piètre lieu où dorment habituellement les chiens, punis. J'ai passé ma vie recroquevillé sur moi-même, en croyant que ça me protégeait. Foutaise, bien sûr. Et c'est seulement à l'heure de mes derniers instants que j'ai un brin d'intelligence, pour me rendre compte que j'ai raté ma vie.
Je n'ai jamais assouvi aucun de mes rêves, j'ai vécu la vie que mon père m'a dictée, en maître d'école. Je n'ai fait aucune faute d'orthographe, aucune rature sur mon cahier. Mais cela m'a valu un zéro pointé. Cette jolie marque rouge, elle me pénètre au plus profond de mon âme, et me cisaille les chairs. L'apologie d'une vie ratée, d'une vie se mesurant en bas de l'échelle. Je n'ai monté aucun échelon vers la gloire, ni vers la satisfaction. Je ne l'ai même jamais grimpée par simple curiosité.
Je n'ai gravi aucune montagne, couru à travers aucun champ de blé. Je n'ai baigné mon plaisir dans aucune eau salée, je ne t'ai finalement jamais vue, mer. Pathétique. Je n'ai pas même mordillé la liberté, je n'y ai jamais touché. C'est à peine si je l'ai approchée ce jour d'été, avec mon père. J'étais esclave, je le suis resté.
Liberté, liberté, liberté. Quelle belle mélodie que ce mot. Il chante et s'accorde parfaitement à mes oreilles, qui en redemandent.
Liberté. Un frisson me redresse de plaisir l'échine. La chaleur du brasier renaissant m'éclaire de ses crépitements énergiques. Ma colonne se dénoue, mon arthrose se liquéfie. J'ouvre les yeux, je me lève. Mes pieds sont nus, mes vêtements sont sales, mais mon sourire est radieux.
Vivre libre, ou mourir.
J'ai 82 ans. J'ai passé le pas de ma porte. J'ai gravi des montagnes. J'ai couru après un champ de blé qui galopait vers la mer. Je me suis endormi dans tes bras, ô douce mer.
J'ai connu ce paysage sans le vouloir. La question ne trouvait pas son sommeil dans ma tête, mais je n'avais jamais vraiment cherché à trouver sa réponse auparavant. Qu'y a-t-il donc derrière ce tas de cailloux, si petit de loin, mais si majestueux pour un regard plus ajusté ? Mon père me tenait par la main, comme un policier, heureux de sa chasse, tiendrait du bout de ses menottes sa proie habilement capturée. Je n'ai pas pu m'éloigner voir d'autres soleils, admirer d'autres couleurs, contempler d'autres étoiles. J'aurais aimé fouler l'herbe de mes pieds nus, une herbe grasse et verte respirant la vie, aspirant à aucune autre vie sur Terre, mais je n'ai pas pu.
Mon rêve fut de partir. Partir au loin, crever la cime des ces monts comme eux crèvent le ciel, et avaler des kilomètres et des kilomètres de terre, quitte à en mourir d'indigestion à la force des ampoules à la plante de mes pieds. Je voulais te voir, mer, je voulais te rejoindre. Je voulais que tu me serres près de ton cœur, je voulais que tu me berces en ton sein, que le creux de mes reins corresponde au creux de tes vagues. Je voulais que l'écume naissante des jours plats vienne sonner à la porte de mon âme, et adoucisse mes nuits noircies de sombres cauchemars.
Quitte à y laisser un ou plusieurs de mes doigts, une voire deux de mes mains. Quitte à devenir aveugle, je voulais te voir. Rien que de pouvoir apprécier ta beauté une seule et unique fois dans ma vie aurait été pour moi le plus beau des cadeaux, la plus grande des fortunes. Perdre mes yeux n'aurait eu alors plus aucune importance au regard de l'explosion de mes sentiments. Les yeux de mon cœur auraient été grands ouverts à la lumière de ta flamme, ravivée par le flot impétueux de mes pensées.
*
Je n'y ai laissé aucun doigt, je n'ai eu nul besoin de me couper la main, ou d'y perdre un oeil. J'y ai juste perdu toute mon énergie, ma joie de vivre. Plus rien ne m'anime, plus rien ne peut me réanimer.
Avachi dans mon fauteuil, je suis croulant de vérité face à ma vie. Le feu, lui aussi s'éteint, il est fatigué. J'ai toujours eu peur, je ne suis jamais allé plus loin que le devant de ma porte. Le paillasson: un piètre lieu où dorment habituellement les chiens, punis. J'ai passé ma vie recroquevillé sur moi-même, en croyant que ça me protégeait. Foutaise, bien sûr. Et c'est seulement à l'heure de mes derniers instants que j'ai un brin d'intelligence, pour me rendre compte que j'ai raté ma vie.
Je n'ai jamais assouvi aucun de mes rêves, j'ai vécu la vie que mon père m'a dictée, en maître d'école. Je n'ai fait aucune faute d'orthographe, aucune rature sur mon cahier. Mais cela m'a valu un zéro pointé. Cette jolie marque rouge, elle me pénètre au plus profond de mon âme, et me cisaille les chairs. L'apologie d'une vie ratée, d'une vie se mesurant en bas de l'échelle. Je n'ai monté aucun échelon vers la gloire, ni vers la satisfaction. Je ne l'ai même jamais grimpée par simple curiosité.
Je n'ai gravi aucune montagne, couru à travers aucun champ de blé. Je n'ai baigné mon plaisir dans aucune eau salée, je ne t'ai finalement jamais vue, mer. Pathétique. Je n'ai pas même mordillé la liberté, je n'y ai jamais touché. C'est à peine si je l'ai approchée ce jour d'été, avec mon père. J'étais esclave, je le suis resté.
Liberté, liberté, liberté. Quelle belle mélodie que ce mot. Il chante et s'accorde parfaitement à mes oreilles, qui en redemandent.
Liberté. Un frisson me redresse de plaisir l'échine. La chaleur du brasier renaissant m'éclaire de ses crépitements énergiques. Ma colonne se dénoue, mon arthrose se liquéfie. J'ouvre les yeux, je me lève. Mes pieds sont nus, mes vêtements sont sales, mais mon sourire est radieux.
Vivre libre, ou mourir.
J'ai 82 ans. J'ai passé le pas de ma porte. J'ai gravi des montagnes. J'ai couru après un champ de blé qui galopait vers la mer. Je me suis endormi dans tes bras, ô douce mer.
Sharhead- Nombre de messages : 18
Age : 34
Date d'inscription : 31/08/2009
Re: Liberté
Une force poétique indéniable ! J'ai aimé ce passage de l'amertume, de la totale passivité, à un sursaut salvateur et mortel à la fois. Beau texte, je trouve.
Sinon, j'ai bien vu, vous avez treize balais ? Ben alors, chapeau !
Sinon, j'ai bien vu, vous avez treize balais ? Ben alors, chapeau !
Invité- Invité
Re: Liberté
Mais même, écrire comme ça à dix-neuf ans, c'est presque aussi impressionnant qu'à treize.
Invité- Invité
Re: Liberté
J'ai du mal à discerner s'il y a de l'ironie voire du sarcasme dans le ton de ta réponse !?
Sharhead- Nombre de messages : 18
Age : 34
Date d'inscription : 31/08/2009
Re: Liberté
Non, je n'utilise qu'exceptionnellement l'ironie. Comme j'ai dit, j'ai aimé votre texte, je l'ai trouvé bien écrit.
Je vous souhaite la bienvenue sur Vos Ecrits et espère vous relire bientôt ! Comme vous remarquez, je vous vouvoie et vous demande de faire de même.
Je vous souhaite la bienvenue sur Vos Ecrits et espère vous relire bientôt ! Comme vous remarquez, je vous vouvoie et vous demande de faire de même.
Invité- Invité
Re: Liberté
Mes excuses pour le manque de discernement, et pour le tutoiement utilisé par mégarde plus que par manque de politesse ! La question que je me suis posé, peut-être injustement, je vous l'accorde, et que vous me compariez à quelqu'un sans maturité aucune (un adolescent de 13 ans, ou un grand enfant de 19 - je ne me prétends pas mature et aguerri par l'âge) pour qui, lorsqu'il écrit, son âge se reflète par le fond et la forme d'une littérature née de jeunesse. Encore mes excuses, et merci pour l'accueil.
J'aimerais poster un autre texte aujourd'hui, dans la catégorie poésie, pour changer, mais le règlement me l'interdit. Je crois être tenu à la respecter, est-ce bien le cas au jour d'aujourd'hui ?
J'aimerais poster un autre texte aujourd'hui, dans la catégorie poésie, pour changer, mais le règlement me l'interdit. Je crois être tenu à la respecter, est-ce bien le cas au jour d'aujourd'hui ?
Sharhead- Nombre de messages : 18
Age : 34
Date d'inscription : 31/08/2009
Re: Liberté
La poésie et la maturité de ton texte crèvent les yeux. Comme socque, je suis ébahie et ne trouve rien à ajouter de plus pertinent.
Pour répondre à ta question, tu peux poster un texte par catégorie par semaine. Donc en poésie, c'est bon pour aujourd'hui.
Pour répondre à ta question, tu peux poster un texte par catégorie par semaine. Donc en poésie, c'est bon pour aujourd'hui.
Invité- Invité
Re: Liberté
J’aime bien : « ronflant comme un chat bien pansé », « Je voulais te voir, mer, je voulais te rejoindre. », « Avachi dans mon fauteuil, je suis croulant de vérité face à ma vie. ».
J’ai aussi beaucoup aimé la cassure, après l’envolée lyrique des rêves de jeunesse, qui commence par « Je n'y ai laissé aucun doigt ».
J’ai moins aimé l’autoflagellation acharnée de la deuxième partie.
La fin reprend bien le tout. L’idée de l’arthrose qui se liquéfie est très bonne.
Quelques remarques qui ne valent pas grand chose, car je suis un piètre linguiste (un jour il faudra que je cesse de m’en excuser) :
- « Derrière elles, d'immenses plaines galopaient de fierté vers la mer. Le blé, qui d'ailleurs y dansait dans le vent, annonçait les vagues. », je trouve la phrase pompeuse, je ne fais pas d’autre proposition (Socque a raison, il ne faut pas), mais l’image serait probablement plus belle en condensant un peu.
- « mais je n'avais jamais vraiment cherché à trouver sa réponse auparavant. », le « sa » m’étonne.
- « Partir au loin, crever la cime des ces monts comme eux crèvent le ciel, », le « comme eux » ne sonne pas bien (pareil, je me retiens de proposer autre chose).
J’ai aussi beaucoup aimé la cassure, après l’envolée lyrique des rêves de jeunesse, qui commence par « Je n'y ai laissé aucun doigt ».
J’ai moins aimé l’autoflagellation acharnée de la deuxième partie.
La fin reprend bien le tout. L’idée de l’arthrose qui se liquéfie est très bonne.
Quelques remarques qui ne valent pas grand chose, car je suis un piètre linguiste (un jour il faudra que je cesse de m’en excuser) :
- « Derrière elles, d'immenses plaines galopaient de fierté vers la mer. Le blé, qui d'ailleurs y dansait dans le vent, annonçait les vagues. », je trouve la phrase pompeuse, je ne fais pas d’autre proposition (Socque a raison, il ne faut pas), mais l’image serait probablement plus belle en condensant un peu.
- « mais je n'avais jamais vraiment cherché à trouver sa réponse auparavant. », le « sa » m’étonne.
- « Partir au loin, crever la cime des ces monts comme eux crèvent le ciel, », le « comme eux » ne sonne pas bien (pareil, je me retiens de proposer autre chose).
Re: Liberté
Beau texte beau prétexte
Du rythme et du blues...
On grandit on vieillit et on meurt
on s'imagine on se ratatine et on pleure
On sommeille on rêve on désespère
On se réveille on court et on espère
on fuit l'amer
on court vers la mer
On traverse les paysages d'une vie
Ton personnage on l'envie
on le tue le tutoie
et puis avec lui on se noie
Du rythme et du blues...
On grandit on vieillit et on meurt
on s'imagine on se ratatine et on pleure
On sommeille on rêve on désespère
On se réveille on court et on espère
on fuit l'amer
on court vers la mer
On traverse les paysages d'une vie
Ton personnage on l'envie
on le tue le tutoie
et puis avec lui on se noie
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Liberté
Bonsoir Sharhead,
très beau texte en effet, pas grand chose de nouveau à rajouter à par que j'ai trouvé ce passage :
très beau texte en effet, pas grand chose de nouveau à rajouter à par que j'ai trouvé ce passage :
un peu "lourd" et insistant...Quitte à devenir aveugle, je voulais te voir. Rien que de pouvoir apprécier ta beauté une seule et unique fois dans ma vie aurait été pour moi le plus beau des cadeaux, la plus grande des fortunes. Perdre mes yeux n'aurait eu alors plus aucune importance au regard de l'explosion de mes sentiments. Les yeux de mon cœur auraient été grands ouverts à la lumière de ta flamme, ravivée par le flot impétueux de mes pensées.
Peter Pan- Nombre de messages : 3709
Age : 48
Localisation : Pays des rêves et de l'imaginaire
Date d'inscription : 16/04/2009
Re: Liberté
Désolée de mettre une fausse note dans ce concert de louanges, mais ce texte m'a paru assez pompeux, avec parfois des phrases poétiques mais aussi des formulations lourdes, voire même prêtant franchement à rire , le clou étant :
quitte à en mourir d'indigestion à la force des ampoules à la plante de mes pieds. !!!
quitte à en mourir d'indigestion à la force des ampoules à la plante de mes pieds. !!!
Invité- Invité
Re: Liberté
j'aime beaucoup moi aussi bien qu'habituellement l'emphase des phrases me rase.
Ce que j'adore également est le soin pris par (presque) chacun à distiller ses conseils avec mesure et sans jugement pretencieux, le savoir dire et le savoir vivre
Ce que j'adore également est le soin pris par (presque) chacun à distiller ses conseils avec mesure et sans jugement pretencieux, le savoir dire et le savoir vivre
Pat le pat- Nombre de messages : 17
Age : 56
Localisation : guadeloupe
Date d'inscription : 28/08/2009
Re: Liberté
Un feu poussait
Un feu crépitait, plutôt, non ?
leurs sommets encore enneigés
Puisque tu parles de blés dansant au vent dans la phrase suivante (le blé est estival), ne devrais-tu pas écrire sommets toujours enneigés, faisant davantage référence à des neiges éternelles? Le terme encore est ambigü.
Quelques tournures un peu trop lyriques à mon goût, parfois ampoulées, mais en même temps, ces phrases traduisent assez bien la rage et le mal être véhiculé depuis tant d'années, tous ces espoirs jamais exaucés.
Et puis, tu te tournes vers davantage d'introspection, vers une remise en question qui se veut plus intime, plus épurée et j'avoue préférere cela, car cela fait ressortir les sentiments qui animent le narrateur.
Un feu crépitait, plutôt, non ?
leurs sommets encore enneigés
Puisque tu parles de blés dansant au vent dans la phrase suivante (le blé est estival), ne devrais-tu pas écrire sommets toujours enneigés, faisant davantage référence à des neiges éternelles? Le terme encore est ambigü.
Quelques tournures un peu trop lyriques à mon goût, parfois ampoulées, mais en même temps, ces phrases traduisent assez bien la rage et le mal être véhiculé depuis tant d'années, tous ces espoirs jamais exaucés.
Et puis, tu te tournes vers davantage d'introspection, vers une remise en question qui se veut plus intime, plus épurée et j'avoue préférere cela, car cela fait ressortir les sentiments qui animent le narrateur.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|