Une trempée, récit non autobiographique...
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Une trempée, récit non autobiographique...
« - Racontez-moi votre plus grande satisfaction.
- J'ai mis longtemps à être propre, longtemps, très longtemps.
A quatorze ans je faisais toujours pipi au lit et à douze, les couches me retenaient encore le caca du matin.
Quand ma mère était fatiguée de me laver les urines nocturnes, je traînais à l'école mes fonds de culotte sales. Je traînais aussi avec moi une odeur pestilentielle qui permettait à mes camarades de lapider sans vergogne le "pisseux putois" que j'étais.
Un jour, à l'âge de six ans, j'étais en classe et incapable encore une fois de contrôler mes sphincters.
Je restais ainsi plusieurs heures, collée à ma chaise, avec l'odeur et la merde collée sur les fesses.
Je réussis à le cacher à la maîtresse, il fallait surtout le cacher à ma mère.
A onze heures et demi, en fin de classe, je rentrais à la maison réfléchissant à ce que je pouvais faire pour qu'elle ne s'en aperçoive pas. Elle ne m'avait pas vu rentrer et j'étais déjà dans sa chambre à fouiller dans les cartons sous son lit.
Il y avait des papiers, plein de papiers ; des contrats d'assurance, des factures d'électricité, le contrat de bail, des centaines de papier, de quoi essuyer ma merde et toutes celles que je me voyais encore faire.
Je pris une première feuille, et je commençais le nettoyage.
J'essuyais, déjà contente d'avoir trouvé le filon pour échapper aux claques de Maman.
Lorsque mes fesses furent assez propres, je ramassais du bout des doigts les documents administratifs trempés de fiente et il me vint à l'idée de les balancer par delà la fenêtre. Nous habitions une courée dont les habitations portaient encore les vestiges du labeur des teinturiers du textile ; Une pompe à eau pour douze maisons, une seule cuve à chiotte avec la porte en bois, le cœur au milieu et les mouches en farandole.
Il y avait derrière cette rangée de maisons une école et un mur qui donnait sur la cour de récréation. Je jaugeais donc la distance et j'entamais ma lancée. Le premier tomba pile, derrière. J'imaginais en souriant la tronche des instituteurs ramassant la merde dans leur administration.
Le deuxième faillit revenir dans notre petit jardinet.
Je le laissais choir, le cœur vibrant, n'osant imaginer la fureur de ma mère si elle tombait dessus.
Quand j'eus lancé le troisième, Maman sortit de la maison et le papier lui tomba aux pieds.
Elle leva les yeux et quand je décidais de remettre ma tête à la fenêtre, elle était déjà dans la chambre.
Elle avait dans sa main ce petit bout de papier, ce petit bout rempli de merde. Ce petit bout de merde qui n'avait pas fait l'effort de voler assez haut.
Elle ne disait rien Maman, mais elle attrapa ma tignasse et les cheveux emmêlés firent voler ma tête par delà l'escalier.
Elle me traîna ainsi, jusqu'à une petite cabine, à l'arrière de la cuisine.
Au passage, elle avait récupéré le cordon électrique du vieux transistor qui chantait dans la cuisine. Cette petite pièce où elle m'emmena aurait pu nous servir de cabine de douche si Maman avait eu les moyens d'en faire poser une, mais elle ne servait qu'à entreposer les produits ménagers et les seaux de Maman.
Avec la force de sa colère, elle m'y envoya cogner contre le mur, referma le rideau derrière elle et se mit à frapper.
Le premier coup fut cinglant et brisa net toutes mes velléités de parole.
Cette cabine était pour moi jusqu'alors une fabuleuse cachette de jeu. j'y amenais mes poupées, j'y restais des heures. Elle devenait, ce jour du premier coup de Maman, la cabine de torture et le lieu de ma pire douleur.
J'étais déjà sonnée et je laissais mon corps s'abandonner sur le carrelage, espérant lâcher la douleur avec lui.
J'étais par terre. Maman le prit comme une victoire, celle de l'autorité sur l'insoumission, celle de la raison sur le chaos et son fouet correcteur frappait, frappait, frappait.
Maman, si tu savais comme j'ai eu mal.
Maman n'entendait rien. Je ne sais plus combien de temps ça a duré, sûrement longtemps parce que j'ai gardé les empreintes de ce jour plusieurs mois.
Peut-être peu de temps, parce que finalement, au bout du cinq ou sixième coup, je n'avais déjà plus mal. Au dixième ou onzième coup, je me suis mise en boule.
Pour protéger quoi ? Je ne sais pas, pour me protéger de Maman.
J'étais petite, toute petite, mais elle arrivait toujours à m'atteindre.
Elle frappait, Maman, elle frappait toujours.
Plus elle frappait, plus j'entendais le sifflement du cordon électrique qui se délectait à fuser sur ma peau d'enfant.
Et elle frappait Maman, ivre de colère et de folie.
Elle frappait sa vie et sa misère, elle frappait sa pauvreté, elle frappait le sort qui s'acharnait sur elle et sur sa descendance.
Allez frappe Maman, dessaoûle-toi.
Je n'avais plus mal, Maman, je n'avais déjà plus mal.
Alors, elle s'arrêta net. Plus au début de la fatigue occasionnée par sa frénésie que par réelle conscience de son horreur.
Elle déposa son cordon. Elle me regarda longtemps, elle semblait descendre petit à petit, elle semblait réaliser son acte, elle semblait me réaliser.
Je ne disais rien, mon épiderme fumait encore des coups de Maman.
Je ne sentais rien, je ne me sentais plus mais je me suis sentie soulevée par Maman.
Elle m'allongea sur le divan crasseux qui trônait dans notre sombre salon. Elle prit la bassine d'aluminium, la remplit d'eau et la posa sur le poêle incandescent qui n'avait rien à envier au feu qui me dévorait la peau.
Elle revint vers moi pour me déshabiller.
N'enlève rien Maman, ça colle.
Le tissu avait commencé à pénétrer la chair.
Maman prit des ciseaux. J'ai eu peur encore, j'ai cru qu'elle voulait remplacer son cordon électrique. Elle m'a lavée. Elle m'a soignée en pleurant et m'a demandé si je voulais retourner à l'école.
J'ai dit oui.
Sur la route, Maman m'a acheté un énorme paquet de bonbons. Il y en avait des jaunes, des rouges des bleus ; il y avait des frites salées, des crocodiles verts et des fraises tagada. Il y en avait pour une fortune, au moins 5 francs.
En classe, j'ai partagé mes bonbons et ils étaient tous collés au "pisseux putois".
J'étais heureuse et satisfaite, ce jour. J'étais heureuse d'être le centre et l'attraction de cette minute.
L'un d'eux m'a même pris par l'épaule en me réclamant un malabar et en remerciement, me fit remarquer qu'il acceptait de me parler aujourd'hui parce que je ne puais pas. »
Terlam
- J'ai mis longtemps à être propre, longtemps, très longtemps.
A quatorze ans je faisais toujours pipi au lit et à douze, les couches me retenaient encore le caca du matin.
Quand ma mère était fatiguée de me laver les urines nocturnes, je traînais à l'école mes fonds de culotte sales. Je traînais aussi avec moi une odeur pestilentielle qui permettait à mes camarades de lapider sans vergogne le "pisseux putois" que j'étais.
Un jour, à l'âge de six ans, j'étais en classe et incapable encore une fois de contrôler mes sphincters.
Je restais ainsi plusieurs heures, collée à ma chaise, avec l'odeur et la merde collée sur les fesses.
Je réussis à le cacher à la maîtresse, il fallait surtout le cacher à ma mère.
A onze heures et demi, en fin de classe, je rentrais à la maison réfléchissant à ce que je pouvais faire pour qu'elle ne s'en aperçoive pas. Elle ne m'avait pas vu rentrer et j'étais déjà dans sa chambre à fouiller dans les cartons sous son lit.
Il y avait des papiers, plein de papiers ; des contrats d'assurance, des factures d'électricité, le contrat de bail, des centaines de papier, de quoi essuyer ma merde et toutes celles que je me voyais encore faire.
Je pris une première feuille, et je commençais le nettoyage.
J'essuyais, déjà contente d'avoir trouvé le filon pour échapper aux claques de Maman.
Lorsque mes fesses furent assez propres, je ramassais du bout des doigts les documents administratifs trempés de fiente et il me vint à l'idée de les balancer par delà la fenêtre. Nous habitions une courée dont les habitations portaient encore les vestiges du labeur des teinturiers du textile ; Une pompe à eau pour douze maisons, une seule cuve à chiotte avec la porte en bois, le cœur au milieu et les mouches en farandole.
Il y avait derrière cette rangée de maisons une école et un mur qui donnait sur la cour de récréation. Je jaugeais donc la distance et j'entamais ma lancée. Le premier tomba pile, derrière. J'imaginais en souriant la tronche des instituteurs ramassant la merde dans leur administration.
Le deuxième faillit revenir dans notre petit jardinet.
Je le laissais choir, le cœur vibrant, n'osant imaginer la fureur de ma mère si elle tombait dessus.
Quand j'eus lancé le troisième, Maman sortit de la maison et le papier lui tomba aux pieds.
Elle leva les yeux et quand je décidais de remettre ma tête à la fenêtre, elle était déjà dans la chambre.
Elle avait dans sa main ce petit bout de papier, ce petit bout rempli de merde. Ce petit bout de merde qui n'avait pas fait l'effort de voler assez haut.
Elle ne disait rien Maman, mais elle attrapa ma tignasse et les cheveux emmêlés firent voler ma tête par delà l'escalier.
Elle me traîna ainsi, jusqu'à une petite cabine, à l'arrière de la cuisine.
Au passage, elle avait récupéré le cordon électrique du vieux transistor qui chantait dans la cuisine. Cette petite pièce où elle m'emmena aurait pu nous servir de cabine de douche si Maman avait eu les moyens d'en faire poser une, mais elle ne servait qu'à entreposer les produits ménagers et les seaux de Maman.
Avec la force de sa colère, elle m'y envoya cogner contre le mur, referma le rideau derrière elle et se mit à frapper.
Le premier coup fut cinglant et brisa net toutes mes velléités de parole.
Cette cabine était pour moi jusqu'alors une fabuleuse cachette de jeu. j'y amenais mes poupées, j'y restais des heures. Elle devenait, ce jour du premier coup de Maman, la cabine de torture et le lieu de ma pire douleur.
J'étais déjà sonnée et je laissais mon corps s'abandonner sur le carrelage, espérant lâcher la douleur avec lui.
J'étais par terre. Maman le prit comme une victoire, celle de l'autorité sur l'insoumission, celle de la raison sur le chaos et son fouet correcteur frappait, frappait, frappait.
Maman, si tu savais comme j'ai eu mal.
Maman n'entendait rien. Je ne sais plus combien de temps ça a duré, sûrement longtemps parce que j'ai gardé les empreintes de ce jour plusieurs mois.
Peut-être peu de temps, parce que finalement, au bout du cinq ou sixième coup, je n'avais déjà plus mal. Au dixième ou onzième coup, je me suis mise en boule.
Pour protéger quoi ? Je ne sais pas, pour me protéger de Maman.
J'étais petite, toute petite, mais elle arrivait toujours à m'atteindre.
Elle frappait, Maman, elle frappait toujours.
Plus elle frappait, plus j'entendais le sifflement du cordon électrique qui se délectait à fuser sur ma peau d'enfant.
Et elle frappait Maman, ivre de colère et de folie.
Elle frappait sa vie et sa misère, elle frappait sa pauvreté, elle frappait le sort qui s'acharnait sur elle et sur sa descendance.
Allez frappe Maman, dessaoûle-toi.
Je n'avais plus mal, Maman, je n'avais déjà plus mal.
Alors, elle s'arrêta net. Plus au début de la fatigue occasionnée par sa frénésie que par réelle conscience de son horreur.
Elle déposa son cordon. Elle me regarda longtemps, elle semblait descendre petit à petit, elle semblait réaliser son acte, elle semblait me réaliser.
Je ne disais rien, mon épiderme fumait encore des coups de Maman.
Je ne sentais rien, je ne me sentais plus mais je me suis sentie soulevée par Maman.
Elle m'allongea sur le divan crasseux qui trônait dans notre sombre salon. Elle prit la bassine d'aluminium, la remplit d'eau et la posa sur le poêle incandescent qui n'avait rien à envier au feu qui me dévorait la peau.
Elle revint vers moi pour me déshabiller.
N'enlève rien Maman, ça colle.
Le tissu avait commencé à pénétrer la chair.
Maman prit des ciseaux. J'ai eu peur encore, j'ai cru qu'elle voulait remplacer son cordon électrique. Elle m'a lavée. Elle m'a soignée en pleurant et m'a demandé si je voulais retourner à l'école.
J'ai dit oui.
Sur la route, Maman m'a acheté un énorme paquet de bonbons. Il y en avait des jaunes, des rouges des bleus ; il y avait des frites salées, des crocodiles verts et des fraises tagada. Il y en avait pour une fortune, au moins 5 francs.
En classe, j'ai partagé mes bonbons et ils étaient tous collés au "pisseux putois".
J'étais heureuse et satisfaite, ce jour. J'étais heureuse d'être le centre et l'attraction de cette minute.
L'un d'eux m'a même pris par l'épaule en me réclamant un malabar et en remerciement, me fit remarquer qu'il acceptait de me parler aujourd'hui parce que je ne puais pas. »
Terlam
terlam- Nombre de messages : 15
Age : 53
Date d'inscription : 26/12/2009
Re: Une trempée, récit non autobiographique...
Désolée, j'ai à peine lu quelques lignes de votre texte : je pressens que le pauvre gamin va s'en prendre plein la gueule, et j'ai du mal avec les histoires mettant en scène une souffrance enfantine...
Invité- Invité
Re: Une trempée, récit non autobiographique...
Eh bien j'ai lu, et sans vouloir faire dans la sensiblerie, j'en suis encore toute frissonnante d'horreur rétrospective.
Tu précises qu'il ne s'agit pas d'un récit autobiographique, soit. J'ai pourtant du mal à dépasser mon impression que c'est bien de ce dont il s'agit parce que je ne vois pas de véritable contenu ou portée littéraire à ce texte qui, parce qu'il joue sur l'émotion du lecteur, ne permet par ailleurs pas aisément la critique.
J'ai toutefois noté dans les premiers paragraphes une profusion de chiffres successifs ( à quatorze ans, à douze ans, à six ans, à onze heures et demie..)
Tu précises qu'il ne s'agit pas d'un récit autobiographique, soit. J'ai pourtant du mal à dépasser mon impression que c'est bien de ce dont il s'agit parce que je ne vois pas de véritable contenu ou portée littéraire à ce texte qui, parce qu'il joue sur l'émotion du lecteur, ne permet par ailleurs pas aisément la critique.
J'ai toutefois noté dans les premiers paragraphes une profusion de chiffres successifs ( à quatorze ans, à douze ans, à six ans, à onze heures et demie..)
Invité- Invité
Une trempée, récit non autobiographique
J'aime beaucoup ce souvenir d'enfance, c'est comme cela que je l'ai perçu, qui me fait penser un peu à Céline. Je ne sais pas ce que vous entendez par récit non autobiographique. Peut-être est-ce ce qu'on appelle aujourd'hui l'autofiction, la narration d'un je qui n'a pas crainte d'inventer, d'imaginer, de broder.
Amicalement
Claire d'Orée
Amicalement
Claire d'Orée
Claire d'Orée- Nombre de messages : 113
Age : 63
Localisation : PARIS
Date d'inscription : 17/12/2009
Re: Une trempée, récit non autobiographique...
Pas vraiment ma tasse de thé, il manque à mon sens une distanciation qui éviterait que le texte ne tombe dans le larmoyant.
abstract- Nombre de messages : 1127
Age : 54
Date d'inscription : 10/02/2009
Re: Une trempée, récit non autobiographique...
Eh bien voilà un récit qui devrait nous porter bonheur, en ce début d'année...
Plotine- Nombre de messages : 1962
Age : 81
Date d'inscription : 01/08/2009
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