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L'appel du large

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Message  Louis Ven 2 Avr 2010 - 16:17

Il avait erré longtemps, dans l’immense. Immensité d’eau, immensité de sable. Solitaire, effroyablement dérisoire, il avait pourtant l’audace d’une existence, il osait avancer pas à pas sur la grève sans fin le long des vagues en furie, sur les rives de l’océan qui soulevait des montagnes d’eau, se jetait sur la terre, avec rage, avec force, écumant, pour tout réduire en grains de sable, en grains minuscules, sans nombre.
Il osait les pas de son mouvement transverse quand les cavalcades de mer et les assauts gris de nuages se précipitaient dans un même sens, vers les terres, vers les continents toujours à s’égrener sous leur puissance et sous le vent, violent à tout faire voler en grains et poussières.
Il osait les traces sur la grève, en dépit des efforts répétés de l’océan à venir lécher le sable, de sa langue de mer, de sa bave écumante, à venir effacer toute trace d’humanité, avaler tout signe de présence autre que fluide et minérale dans son ventre d’insignifiance, où tout est digéré, puis régurgité en nausées liquides et sablonneuses de l’indifférencié et de l’oubli.
Il avait avancé, à contretemps, à contre-jour, le long de la plage.
Alors, il l’avait aperçu par-delà les dunes. Un vaste bâtiment blanc, une bâtisse aux murs comme les voiles d’un grand navire de cette époque des siècles passés, quand les hommes s’élançaient à la découverte des mondes nouveaux. Un voilier de pierre échoué sur les rives pour toujours. Un vaisseau las des flots parti naviguer hardiment sur les terres.
En une figure stylisée d’orthographe ondulante, sa proue hissait un nom : Hôtel du cap des quatre vents.

Personne pour l’accueillir, dans cette auberge où lentement il entra. Derrière le comptoir, le siège restait vide, nulle présence ne venait l’occuper malgré le temps qui filait, en minutes longues, s’accrocher aux aiguilles d’une horloge ancienne au tic tac régulier, suspendue au mur d’entrée. La tête encore dans les marées, pleine d’embruns des jours errants sur les crêtes d’une existence songeuse en marge du monde, il patienta longtemps, en attente d’une présence accueillante qui ne vint pas.
Le registre ouvert l’invitait à indiquer son nom. Il écrit : Gildas Gerimeck.
L’hôtel semblait vide de tout hôte et de tout personnel, sans donner pourtant l’impression d’un abandon ou d’une désaffection. Des voix paraissaient témoigner d’une vie dans ce vaisseau de pierre. Il percevait, venue d’un couloir qui probablement menait aux chambres de l’hôtel, ce qu’il interpréta comme une longue conversation. Il s’approcha. Les mots coulaient d’un téléphone posé sur une console, que l’on avait omis de raccrocher. Une voix féminine déversait inlassablement un flot de paroles. Il s’attarda un moment à l’écouter s’exprimer sur le ton de la confidence :

« … Comme tout est fragile ! Tu sais, il a tout laissé, un jour il est parti. Il a renoncé à toutes ses fonctions, à sa position sociale, si haute, celle qu’il avait pourtant gravie avec tant de peines, tant de sacrifices. Tous ses pouvoirs, sa fortune aussi, et même sa famille, tout, il a tout abandonné. Il est parti. Sans explications. Sans rien dire. Il s’est retiré du monde. Il semblait si fort pourtant, il paraissait si vaillant, vraiment si plein d’énergie. Un roc inaltérable, vraiment, semblant pouvoir résister à tous les flots tumultueux. Comme il semblait invulnérable…

Pourquoi tout finit-il un jour par casser ? Pourquoi tout finit-il par se briser ? Les tableaux sur les murs, même les plus beaux, finissent toujours par se décrocher. J’ai lu Shakespeare, hier soir, avant minuit. « Notre essence est de verre », j’ai retenu ce qu’il a écrit. Nous sommes ainsi faits, c’est vrai, notre âme est de verre. Elle tinte, elle vibre un instant, et puis elle se brise.

N’oublie pas, tout, tout est de verre, tout casse. On remplit de vie des verres fêlés. On se saoule pour oublier, mais tout fuit, tout se perd.

Même l’océan, c’est du verre. On met les bouteilles à la mer, mais on pourrait mettre toute la mer en bouteilles, et tout verser dans les verres à boire, ce n’est qu’une affaire de temps... Et alors, elle ne serait pas brisée, la mer. Pas brisée, la mer ? Nos idées aussi, et notre esprit, ils sont en verre. Mes pensées sont fêlées parfois, je le sais. Et ma voix, plus d’un fois déjà, s’est brisée … »

Gildas Gerimeck aperçut, fixé au mur face au téléphone, un écran qui détourna son attention. Il présentait en permanence des images en noir et blanc : des visages féminins, des toilettes élégantes, des hommes au visage souriant, cravates soignées, séduisants, tous immergés dans une atmosphère sereine et gaie. Des enfants joueurs. Des paysages ensoleillés, des champs, le sourire des fleurs. De temps en temps, l’image se brouillait et on voyait apparaître l’océan dans son immensité mouvante, comme s’il poursuivait son existence extérieure en flots de représentations à l’intérieur. Comme si la marée montante dehors se prolongeait par des images cinétiques, quand la marée descendante, elle, laissait l’écume souriante sur écran d’une humanité baignée tout entière dans une liesse simple et candide.

La nuit tombait et toujours personne pour lui indiquer une chambre où dormir. Gildas Gerimeck erra dans les couloirs vides, où seule la voix fantôme issue du téléphone était audible sur fond de rumeur grondante de l’océan, dehors. La plupart des pièces étaient fermées à clef. Une seule porte s’ouvrit qui donnait sur une chambre aux murs tout blancs, dans laquelle il pénétra. Il s’étendit sur le lit et resta longtemps allongé, sans dormir, dans la pièce faiblement éclairée par une petite lampe de chevet.
Il se leva au milieu de la nuit, traversa les couloirs.
Sur la console aux pieds chantournés, le téléphone avait toujours refusé de raccrocher. Jamais ne déclarait forfait, toujours maintenait sa ligne, le mince combiné, effilé, posé là, sans cesse à exhiber ses organes, émetteur, récepteur, haut parleur très prolixe, babillard à toute heure, jacasseur de chaque instant.
Il s’arrêta un moment à écouter la voix, si frêle, qui ne tenait qu’à un fil :
« … peur de la nuit. La nuit de mousse sur la surface des eaux. La nuit de gaze noire fine et dense, étendue jusqu’aux rideaux de l’aube en draps de coton blanc. Ce qui fait la trame de la nuit ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Aux fils ténus de l’existence tissée dans la toile nocturne, les rêves sont suspendus. Moi, je suis si nue sous mes songes. Du tissu des nuits, il faudrait peut-être se faire une grand voile pour voguer sur l’océan tout blanc, oui, peut-être, et ainsi flotter sous les étoiles, ardentes étoiles quand elles brillent dans un ciel de cendres. Et traverser la mer, sous la houle et la tempête, accoster de l’autre côté de l’océan sous un ciel de nacre, loin des rivages sombres et… »
Il regagna son lit dans la chambre, cabine du voilier de pierre. Son lit tanguait quand vint le sommeil.
Le soleil levant perçait les nuages au matin quand il se réveilla. L’hôtel du cap des quatre vents demeurait désert. Il passa sans s’arrêter devant l’écran qui diffusait les images en noir et blanc ; il s’attarda un bref instant près du téléphone à écouter la voix ininterrompue. « …Ils sont beaux, disait-elle, les matins des aubes nouvelles. Egaré de la nuit, tu reviendras. Tu suspendras ton manteau gris à la patère d’un jour nouveau. Tu sais, les âmes sont de verre opaque, et… »
Gildas Gerimeck s’éloigna. Il sortit du vaisseau de pierre et ne se dirigea pas vers la grève. Il s’éloigna de l’océan, il écarta ses pas des franges de l’immense. Immensité de sable, immensité d’eau. Il tourna le dos à la mer.

Louis

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Message  Invité Ven 2 Avr 2010 - 16:30

Superbe. D'ampleur, de solennité. À un moment, j'ai pensé à Pierre Jourde, pour vous dire (je ne puis faire de plus haut compliment).

Un unique bémol sur les tirades de la voix au téléphone, un poil chargées à mon goût, mais c'est mon goût.

Mes remarques :
« ma voix, plus d’une fois déjà »
« haut-parleur très prolixe »

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Message  ubikmagic Ven 2 Avr 2010 - 17:07

Très beau texte, au sens un peu mystérieux, empli d'une espèce de retenue qui m'a beaucoup fait penser à l'adagietto de la cinquième de Mahler. Quelque chose de grave, tourmenté et pourtant serein. Une belle construction sur la déconstruction de toutes choses, sur l'usure, sur le retour au chaos. Et cette voix infatigable au téléphone, qui récite les bribes poétiques de cette usure, de cet abandon, sans se demander si on l'écoute ou pas... A un moment, je me suis dit que ça aurait pu être, en un sens, peut-être, une autre façon encore d'entrer en vibration avec les images que j'ai déposées. Un écho, oui, surréaliste, où tout est posé ainsi, sans que ça fasse question.

Etrange et beau voyage. Merci.

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Message  Invité Sam 3 Avr 2010 - 14:55

Un texte qui a su rester sobre et dégage à la fois une impression de fluidité et de puissance, par opposition à la relative fragilité du personnage. Et le mouvement de l'océan, sa vie propre, partout présents. J'ai vraiment beaucoup aimé, et me suis trouvée curieusement troublée par ce bâtiment blanc qui éclaire soudain le paysage. Par la voix au téléphone aussi, et le passage sur le verre. Un texte riche de symboles, qui mérite amplement qu'on s'y attarde.

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Message  Roz-gingembre Sam 3 Avr 2010 - 15:26

Très beau texte.
Très bien écrit: le choix lexical, le style adapté à la scène, l'impact du décor, et puis ce qui se raconte. Ou le poids de l'inexorable. Celui de la solitude. La solitude imposée par l'appel mais contre laquelle il n'y a aucune lutte, aucune volonté d'aller contre et c'est cela qui mine dans ton texte, cette accordance au destin aussi évidente que le mouvement cyclique des marées, cet absurde posé sans excès mais irréfutable parce ancré dans ta prose par toutes ses pores.
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Message  Arielle Sam 3 Avr 2010 - 16:18

Moi, je suis si nue sous mes songes.
Quelle est cette voix qui se plaint ainsi de sa solitude ? celle de Gildas lui-même que son passé tourmente, qui prend soudain conscience de sa fragilité, mais aussi de l'inutilité de sa fuite ?
En tous cas cette halte dans le vaisseau de pierre ouvert aux quatre vents semble l'avoir réconforté, apaisé, provisoirement :
"Egaré de la nuit, tu reviendras"
Entre terre et mer, il s'est découvert un havre, un refuge.

Un beau texte dont l'ambiance onirique est pleine de charme.

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Message  Invité Sam 3 Avr 2010 - 16:58

Magnifique texte, Louis ! Tu n'y joues pas sur les mots, cette fois, mais cela donne encore plus de mystère et de poésie . Je suis emballée par ce texte que j'ai lu rapidement mais sur lequel je reviendrai, tant il dit de choses qui font sens pour moi.

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Message  Ba Dim 4 Avr 2010 - 10:09

Je n'aurai pas la richesse de vos commentaires, donc je passe, lis, retiens les " âmes de verre " souvent filées bien avant la casse.
La métaphore du vaisseau se laisse emporter avec finesse. J'ai pensé au " désert des Tartares ".
Belle plume.
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Message  demi-lune Dim 4 Avr 2010 - 21:36

Je reviendrai relire aussi car le texte est riche et mérite plusieurs lectures. D'abord beaucoup de poésie dans l'expression et ensuite tout un système d'échos et de correspondances qui font sens interpellent le lecteur : un vaisseau de pierre voguant sur terre mais vide d'humain si ce n'est de leur image, de leur voix tandis que l'océan emplit tout le fond du tableau de sa présence si forte. Oui vraiment, c'est un beau texte, à relire pour en apprécier toute la profondeur.
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Message  Rebecca Dim 4 Avr 2010 - 22:02

Oui moi aussi je reviendrai lire en secret, égoïstement, et je me perdrai encore sur les chemins que ce texte ouvre et referme à l'infini , comme une enquête à mener sur l'absurdité du destin, je reviendrait contempler cet océan qui peut être recèle le mystère de nos origines, cette éternité sans cesse recommencée, je traverserai encore cet étrange hôtel comme le vaisseau et la mémoire de nos vies éparpillées aux quatre vents .
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Message  Kilis Mar 6 Avr 2010 - 19:45

Il m’a fallu lire trois fois pour apprécier, m’imprégner du rythme, du mouvement répété, répétitif, lancinant, redondance monotone qui dit la mer. Ou le souvenir. Qui inlassablement brasse, broie, brise, se brise et meurt pour mieux nous revenir. Nous rattraper.
On peut choisir de lui tourner le dos.
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Message  Kash Prex Mar 6 Avr 2010 - 20:09

Je trouve dans ce texte tout d'un rêve.

Le côté impalpable des descriptions, ce décor planant.
Le côté absurde, l'incohérence apparente sous laquelle se cache un message, une symbolique difficilement accessible. Le côté énigmatique du rêve.
Et puis le côté naturel avec lequel tout se déroule, malgré des faits totalement inhabituels ; tout coule de source. L'insouciance apparente du rêve.
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Message  Reginelle Mar 6 Avr 2010 - 20:18

Toujours le même plaisir.
Même si ce n'est pas "simple" d'entrer dans ton univers de mots, Louis. Mais il suffit de s'y enfouir, de se laisser porter, emporter. et suivre ainsi l'errance d'un personnage, devenir en quelque sorte "acteur" soi-même. Et combien, seulement ainsi, on ressent bien ce qui doit être perçu !

Rester sur le bord, être spectateur, avec ce que cela implique de recherche du pourquoi, du comment, de renvoi à un questionnement beaucoup plus intime, des échos internes... c'est une autre lecture, toujours aussi intense, aussi... révélatrice ? sur les autres et sur soi.

Merci Louis.
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Message  Polixène Mer 7 Avr 2010 - 7:39

Merci pour ce voyage!
Il en est des textes comme des films: faire l'expérience des meilleurs, c'est accepter d'en sortir différent à l'arrivée !
Cet hôtel déboussolant figure notre boussole intérieure, aux quatre vents du destin , où chacun choisit sa route finalement .
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Message  CROISIC Mer 7 Avr 2010 - 9:32

J'ai aimé l'association voilier et pierre. J'ai aimé cet hôtel perdu; j'ai aimé chaque image soulevée ou révélée par vos mots. J'ai aimé le voyage....pas sûre d'en être revenue. Merci Louis.
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Message  jfmoods Lun 6 Avr 2015 - 22:02

Alimentée par des gradations (« vers les terres, vers les continents », « de sa langue de mer, de sa bave écumante »), des hyperboles (« tout » x 4, « toute »), des gradation anaphoriques («en grains de sable, en grains minuscules, sans nombre », « Immensité d'eau. Immensité de sable » reprise à l'inverse en fin de texte), l'entame, d'ordre épique, dessine un face-à-face héroïque (champ lexical : « audace », « osait » x 3, « l'audace », termes structurant un champ de résistance : « transverse », « à contretemps, à contre-jour ») du personnage à son environnement. Gildas Gerimeck s'est résolument éloigné de la société, se confrontant aux éléments, à une certaine image de la finitude des choses (métaphore : « ventre d'indifférence ») afin de réfléchir au sens profond de sa vie (métaphore : « crêtes d'une existence songeuse en marge du monde »). Le lieu d'arrivée (lieu de retour ?) est assimilé à un bateau (comparaison : « comme les voiles d'un grand navire »). Il présente l'aspect d'une errance, d'une errance immobile (métaphore à caractère paradoxal : « un voilier de pierre », plus loin « vaisseau de pierre »). S'il se trouve implicitement associé à la traversée d'épreuves glorieuses par la présence de l'adverbe (« hardiment »), sa présence est connoté négativement (adjectif qualificatif : « las », participe passé : « échoué », hyperbole : « pour toujours »). L'hôtel renvoie le lecteur à deux éléments clés de notre modernité. Le premier est l'image qui fixe le cadre d'un monde idéalisé, utopique (personnifications : « le sourire des fleurs », « l'écume souriante sur écran », énumération : « des visages féminins, des toilettes élégantes, des hommes au visage souriant, cravates soignées, séduisants, tous immergés dans une atmosphère sereine et gaie. Des enfants joueurs. Des paysages ensoleillés, des champs... »). Le second est la parole dont l'omniprésence obsédante est soulignée par l'adjectif qualificatif (« babillard »), le nom commun (« jacasseur »), les adverbes (« toujours », « jamais », « inlassablement »), l'adjectif indéfini (« chaque »), les locutions adverbiales (« sans cesse », « à toute heure »). Cette parole n'est pas, n'est plus celle de l'échange. C'est une parole qui tourne à vide (verbes à connotation péjorative : « coulait », « déversait »). Une expression, en particulier, attire immanquablement l'attention du lecteur, une expression porteuse de malaise (« exhiber ses organes »). La curiosité a graduellement disparu. Le rapport à l'autre s'est peu à peu délité, l'individu s'est enfermé dans une forme d'auto-complaisance, comme si chacun n'avait de cesse de s'écouter parler, de se donner à écouter. Le texte s'offre, évidemment, à diverses interprétations. Je le lis, pour ma part, comme le contenu d'un rêve prémonitoire, comme un récit d'anticipation sur les dérives d'une société qui, petit à petit, en cultivant le rapport à soi, contribue à isoler les individus les uns des autres. La thématique du verre, qui hante une partie du récit, appuie douloureusement sur le caractère infiniment brisable de notre condition. A y bien réfléchir, le bateau symbolise un encalminage possible des valeurs essentielles de l'humanité. « L'appel du large » résonne donc pour moi comme un salvateur coup de semonce sur les enjeux mortifères de notre civilisation.

Merci pour ce partage !
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