Noire et rance

Elle erre de tâche de lumière en tâche de lumière, ronds brillants à intervalles réguliers, tels ceux de gros projecteurs d’un spectacle à budget mais déversés par des poteaux rouillés, des géants de ferraille, sur les trottoirs sombres et sales d’une ville engourdie, indifférente.
Au cœur d’une nuit de printemps fraîche, elle vogue de terrains vagues en squares fermés qui palpitent encore des jeux de la journée.
De temps en temps, un museau sort le bout du nez d’une bouche d’égout et lui tient compagnie un brin de chemin non tracé, avant de retourner dans les souterrains glauques à la recherche de restes humains à grignoter.
Parfois, aux barres d’immeubles, une fenêtre s’éclaire, insomniaque solitaire ou dispute familiale qui déchirent la nuit d’un îlot de vie.
Un clignement poussif de néon fatigué semble l’appeler vers une devanture piégeuse dont le gris frissonne au rythme de l’œillade.
Les brusques cris rauques d’une bagarre de chats sauvages viennent briser le silence qui tambourine à son oreille. Elle sursaute à peine, enfermée en elle-même, hermétique.

Elle a froid donc elle marche, un pas tanguant après l’autre en ligne bredouillante sur un fil invisible et tranchant. En quête vaine d’un endroit rassurant où poser sa couverture trouée, d’un abri éphémère pour accueillir son sommeil, poser son poids du monde et sa tête sur un sac. Besace minuscule hébergeant sa vie entière, une vie ballottée.

Elle se sent à couvert dans la forêt des tours, sur un bout de pelouse calcinée, entre parkings et poubelles, à l’ombre d’un cercle de clarté qui en surveille l’entrée, enfouie dans les odeurs repoussoirs d’agresseurs potentiels.
Son antre de repos et de protection illusoire, sa grotte urbaine, dont elle sera chassée bientôt, forcée de reprendre l’errance entre les ronds de lumière jusqu’à ce que la sienne veuille bien l’éclairer.

A l’aube, elle fera le chemin inverse, rebrousser la nuit, entre les prémices d’une ville qui s’éveille mais garde l‘indifférence. Les trottoirs lavés seront d’un blanc mousseux cache-misère, le gris des devantures se parera de tags.
Elle ira mendier un peu d’eau pour laver sa dignité, une boisson chaude pour réchauffer ses veines, un quelque chose à manger pour protéger ses os, dans ces centres champignons qui colmatent les brèches des âmes errantes.
Elle y croisera ceux qui, la nuit venue, viennent la frapper à terre pour la mettre à sac. Tant mieux, la besace est trop lourde à porter.
C’est le jeu, le jour est une trêve pour ennemis nocturnes, puis quand la ligne d’horizon devient rougeoyante, le sang coule à nouveau. Quand elle arrive à penser, elle espère qu’ils finiront par gagner et mettre un terme à sa fuite sans fin ni sens.

Que dire ? C'est si bien vu, si poignant mais sans exagération... Servi par une écriture ni sobre ni emphatique, qui semble avoir trouvé le juste ton...

Personnellement, je ne peux qu'approuver.

Ubik.

C'est bien vu, oui, mais pour l'emphase j'en vois, moi :
"qui déchirent la nuit d’un îlot de vie"
"le silence qui tambourine à son oreille"
"un pas tanguant après l’autre en ligne bredouillante sur un fil invisible et tranchant"
etc.

Ces efforts de poétiser le sordide sont, selon moi, malvenus. Question de goût, cela dit.

Mes remarques :
« Elle erre de tache (une tache est une souillure, une tâche un boulot à faire) de lumière en tache (une tache est une souillure, une tâche un boulot à faire) de lumière »
« un peu d’eau pour laver sa dignité » : je trouve que ça ne veut pas dire grand-chose

Je n'arrive pas à adhérer à ce texte pourtant sobre, bien écrit, qui évite dans l'ensemble le misérabilisme, le sensationnalisme et le lyrisme facile et inhérent à ce contexte (quelques exceptions, celle-ci par exemple : ces centres champignons qui colmatent les brèches des âmes errantes.). Que me me manque-t-il donc ? Un personnage plus chaleureux peut-être, plus présent surtout.
Aimé la dernière phrase, qui sonne juste avec l'ajout si important de la subordonnée ("Quand...") : Quand elle arrive à penser, elle espère qu’ils finiront par gagner et mettre un terme à sa fuite sans fin ni sens.

Et désolée pour tous les "ismes", on dirait que j'étais en veine de...

Bonjour,

Si je n'avais pas passé une partie de la nuit à lire le fil "L'avenir de VE" et à y apporter ma contribution, j'aurais lu votre texte jusqu'au bout, certes, mais je n'aurais pas fait de commentaires.
Mais c'est l'indifférence qui peine, attriste et décourage ...
Alors il est facile de vous faire remarquer que l'écriture est une tâche ardue surtout lorsqu'on ne dispose pas d'une tache de lumière pour écrire ! Cela me fait d'ailleurs penser aux écoliers de Douala et de Libreville où la nuit tombe toute l'année vers dix-huit heures puisque ces villes que j'ai bien connues sont sur l'équateur ... à ces écoliers donc qui font leurs devoirs d'école à la lumière des réverbères. D'autant plus facile que c'est la seule erreur d'orthographe que j'ai détectée !
Noire et rance ... elle erre ... forcée de reprendre l'errance ... parmi les âmes errantes ...
Ronds brillants ... cercle de clarté ... ronds de lumière ... la lumière est décidément ronde !
L'écriture est pensée, travaillée et fignolée ! Trop, beaucoup trop ! Le lecteur n'apprécie pas toujours d'avoir à relire deux ou trois fois des phrases qui, finalement, resteront pour lui absconses.
Je n'ai pas cru aux rats qui vont déguster des restes humains dans les égouts puisqu'il reste dans cette ville assez d'humanité pour mendier un peu d'eau, une boisson chaude ou quelque chose à manger.
Le sujet - la condition de SDF - se prête mal à la sophistication de l'écriture.
Et surtout, j'accepte les commentaires de mes commentaires !

Caresses et Bise à l'Oeil,
Midnightrambler

C'est vrai que le style est un peu emphatique mais ce n'est pas désagréable à lire loin de là et ce texte réussit très bien à donner la sensation d'une vie écrasée par la ville puisque la description de cette dernière prend finalement presque toute la place dans le récit, au détriment du personnage principal réduit à une ombre (en opposition à la lumière ?). La "grotte urbaine" c'est bien trouvé.

Pour Ubikmagic.
Je me permets de remercier pour ce gentil commentaire puisque je réponds aussi aux autres.

Pour Socque.

Ces efforts de poétiser le sordide sont, selon moi, malvenus.

J’entends bien que poétiser le sordide peut déplaire, surtout si c’est voulu, ce qui n’est pas le cas. C’est sorti d’un jet, il n’y a ni travail d’écriture, ni efforts, c’est mon défaut justement, je ne sais pas faire, j’écris comme ça vient. C’est aussi pour ça que j’attends beaucoup de ce site car je n’ai aucun recul sur ce qui est sorti et pas de technique.

« un peu d’eau pour laver sa dignité » : je trouve que ça ne veut pas dire grand-chose

C’est sans doute bêtement parce que quand je suis sale, je ne me sens pas digne :-)
Merci pour vos remarques.

Pour Easter(Island).

Un personnage plus chaleureux peut-être, plus présent surtout.

Il s’agit d’une anonyme dans mon esprit, une femme lambda, pas UNE en particulier mais l’idée d’une SDF (je n’arrive pas à mieux le formuler, je ne sais pas si je suis claire), du coup effectivement, cela doit amener une certaine froideur et distanciation.

Pour Midnightrambler.
Je suis une tâche. Ou une tache? :-)

L'écriture est pensée, travaillée et fignolée ! Trop, beaucoup trop ! Le lecteur n'apprécie pas toujours d'avoir à relire deux ou trois fois des phrases qui, finalement, resteront pour lui absconses.

Je suis d’accord, je déteste ce genre de textes, je ne pensais pas être absconse, pardon.
Pour le travail et le fignolage, même réponse qu’à Socque. Mais du coup, ça me perd qu’on pense ça en lisant, mon travail devra donc consister à trouver ce qui fait fignolé et à le supprimer?

Les restes humains quand je l’ai relu, j’ai pensé au double sens possible et je l’ai laissé comme ça, mais il s’agissait des restes laissés par les humains.
Merci pour votre commentaire.

A Plotine.
Je n’avais pas pensé à cette femme/ombre. C’est écrit à l’émotif, en empathie, je me suis glissée dans cette peau et les sensations sont venues, je les ai couchées sur le clavier. L’écrasement par la ville est ce que j’ai du ressentir (sans me le formuler).
Mais alors l’emphase me questionne, quand je me mets dans la peau d’une sans-abri je deviens emphatique? Il faut que j’aille consulter! :-)

J’adore les commentaires, il m’aident à faire ce que je n’arrive pas à faire seule, parce que sans recul. Merci beaucoup.

A peu près d'accord avec les commentaires précédents, quoique, contrairement à Easter, cette froideur, cette distance me paraît en effet bien servir le sujet et traduire l'indifférence aux sans-abris. Sans doute en effet, quelques passages à reprendre mais l'ensemble est néanmoins de bonne tenue et se lit très bien.

pour ma part, j'ai bien aimé l'approche. Et cet accompagnement nocture de l'une de ces silhouettes que l'on voit parfois raser les murs. Les nuits plus cruelles que les jours aux SDF.

Je crois vraiment que ce texte est spontané. Et il demande à être un peu travaillé. Pour justements supprimer quelques répétitions, (ces ronds de lumière, par exemple).

j'ai frissonné aussi à "restes humains", imaginant des restes d'os, de sang et de chair. Déchets pourrait tout aussi bien faire l'affaire, même si je n'ai pu m'empêcher de me demander combien d'êtres doivent se défendre contre des attaques de rats.

Dans cette phrase : A l’aube, elle fera le chemin inverse, rebrousser la nuit...
je crois que "rebroussera" irait mieux que l'infinitif. Pour l'harmonie des temps, et parce que conjugué, le verbe me semble plus imagé. Plus vivant.

Et il y a de la poésie même dans la laideur. Il ne faut pas avoir de la montrer.

avoir PEUR de la montrer*** désolée, faut que je change de clavier, celui-ci bloque de temps en temps.