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A la rue

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Message  ubikmagic Lun 24 Mai 2010 - 19:30

( Ceci est l'extrait qui manquait la semaine précédente, et que je vous livre donc en retard. Oui, ça fait désordre, désolé... et je dois vous dire que ce passage est sans doute le dernier que je vous confie, ou peu s'en faut. Pour des raisons assez complexes, je suis obligé de laisser mon roman en chantier un long moment. Donc, n'ayant pour l'instant rien d'autre à proposer, je me tairai. J'espère que vous comprendrez. Mes chaleureuses pensées à tous, et bon courage chacun dans son boulot d'écriture. Bises ).

* * *

... J’eus le plaisir de revoir Inge à la leçon suivante. Je m’en tirai sans trop de remontrances mais personne n’était dupe : à l’évidence, je n’avais pas travaillé. Je dois avouer que j’avais l’esprit ailleurs. Je ne pensais qu’au trajet du retour, au moment où, peut-être, j’oserais déclarer mes pensées pour elle.
Cela se déclinait d’une façon assez abstraite. Je ne me représentais pas en train de l’embrasser, la toucher, encore moins faire des choses répugnantes comme sur ces cartes postales que Franz m’avait montrées. Je crois que tout ce que je voulais, c’était une acceptation, un signe qui signifierait « oui ». Qu’elle répondît en retour à mes intentions. Je me voyais en train de prendre sa main, si petite, si délicate. Elle laisserait ses doigts dans ma paume et me sourirait. Je n’arrivais pas à pousser plus loin le fantasme. Il se résumait à ça.
En attendant, j’étais à la traîne sur la gamme de sol majeur, que nous tentions de jouer en tierces décalées. Quand c’était mon tour de marquer le temps, je m’en sortais à peu près. Mais lorsque je devais attaquer sur la croche, je n’étais pas en place. Le métronome était là pour me le démontrer, implacablement, seconde après seconde.
Fräulein Schneider me faisait recommencer, en apparence imperturbable. Moi qui la connaissais bien à présent, je savais remarquer, à des signes ténus, qu’elle était énervée. Le coin de ses lèvres devenait pâle, ses gestes étaient plus secs, moins gracieux. Et quand elle en avait vraiment assez, elle se tournait vers la fenêtre, comme si elle refusait de me regarder. De dos, elle nous donnait ses indications, entrecoupées de soupirs. J’admirais sa rigueur, la clarté avec laquelle dans son esprit la musique se déroulait ; elle m’en donnait une vision majestueuse. Toutefois, j’avais quitté cet univers sage, ordonné, cohérent, pour m’aventurer dans autre chose. Franz, mon père, le parti…
Les exercices s’enchaînaient. C’était une forme de torture assez subtile. Je devais subir les exigences de Fräulein Schneider, qui restait inflexible. Je souffrais certes, mais l’aimais beaucoup et avais le sentiment qu’elle aurait pu me demander n’importe quoi. Et puis il y avait Inge qui m’aidait comme elle le pouvait, et dont chaque note était parfaite. Toutefois, si son attitude envers moi restait avenante, il y avait un je ne sais quoi de différent, et ça me préoccupait.
Enfin, la leçon terminée, nous remballâmes instruments et partitions. Le moment approchait et je devenais de plus en plus nerveux.
Quand nous fûmes dehors, Inge me permit de la raccompagner. J’étais ravi, mais mon cœur battait la chamade. A chaque instant, je me disais que j’allais me lancer. Et puis j’hésitais et remettais à plus tard. Encore une minute et je lui dis que je l’aime, pensais-je.
Autour de nous, le décor de la rue se déroulait. Les voitures filaient à côté de nous, pétaradantes. Dans les platanes, les moineaux pépiaient. Le printemps était là, dans toute sa splendeur.
Le retour me paraissait long, tout à coup. J’avais envie d’uriner ; c’était idiot, j’aurais dû y aller avant de quitter le logement de Fräulein Schneider. Inge était à mes côtés, marchant avec grâce. Une petite voix me disait : vas-y, maintenant, tout de suite ! Mais, par lâcheté, je repoussais constamment l’épreuve. Je devais faire ou dire quelque chose, sinon ma chance finirait par passer. Un autre que moi, plus hardi, oserait l’entreprendre et me damerait le pion.
Je me mis à parler. Mais au lieu d’aborder le sujet qui me brûlait les lèvres, je cédai à la facilité. Dans un brusque désir de l’épater, je lui décrivis mon adhésion au Jungvolk, et mon intention de partir à Marienbourg pour prêter serment à Adolf Hitler.
Elle m’écouta gravement, poliment, mais tout dans son attitude semblait traduire une volonté de distance. Elle ne ponctuait pas mon discours de questions, de remarques enthousiastes, ne me congratulait pas pour cet engagement que je lui relatais avec ferveur, soucieux de le rendre intéressant. Elle se cantonnait à un mutisme de plus en plus palpable et regardait droit devant, comme si elle était seule dans la rue.
Peu à peu, mon débit diminua. Je finis par me taire.
Nous continuions notre progression, silencieux.
Quand je tournai pour rejoindre Bertastrasse, elle ne fit rien ni pour m’embrasser, ni pour me serrer la main. Tenant son étui contre sa poitrine, elle se contenta d’énoncer :
- Je connais les idées de cet Hitler dont tu parles. Mon père est au SPD1 et m’en a parlé. Si tu veux mon avis, il n’en sortira rien de bon.
- …
- De plus, je dois te dire que, du côté de ma mère, toute ma famille est Juive. Ce qui fait que je ne suis pas, comme dit ton parti, une pure Aryenne.
Elle s’en fut et je la regardai, incapable de prononcer un mot. Au bout de quelques pas, sans se retourner, elle me lança :
- A la semaine prochaine. Et travaille ta régularité !
Je restai stupidement planté, ne voulant pas perdre une miette de sa silhouette qui s’éloignait.
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Message  Invité Lun 24 Mai 2010 - 20:04

Très belle scène !

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Message  demi-lune Lun 24 Mai 2010 - 20:09

Oui, très réussi. Contente de te lire.
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Message  Rebecca Lun 24 Mai 2010 - 20:41

J'espère que tu ne nous laissera pas trop longtemps en stand-by.
Ni ton talent d'écriture : exemple, cette façon subtile de faire monter la tension au cours d'une scène comme celle-ci. Tu sais nous emmener au coeur d'une histoire, nous transporter aussi bien par la description extérieure des éléments de cette histoire que par la façon que tu as de nous faire approcher au plus près des pensées et ressentis des personnages. C'est à la fois léger (dans le sens qu'il n'y a pas de lourdeur narrative) et implacable.
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Message  Invité Mar 25 Mai 2010 - 9:27

Une grande finesse dans cette description, dans ces observations, en particulier pour dire ce qui se passe dans la tête du narrateur. J'espère que la pause ne sera pas trop longue.

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Message  silene82 Mer 26 Mai 2010 - 8:30

La richesse de cet extrait a été relevée largement, et j'y souscris totalement, en estimant qu'avec cette piste dont tu pimentes le flux de ton récit, tu as de bien bonnes choses à exploiter ; ah, Inge est Juive - comme chacun sait, hormis le fait qu'ils naissent financiers internationaux, les Juifs sont violonistes dès le berceau : les poncifs ont la vie dure -. Comment Wolfgang va-t-il se dépatouiller avec ça, par des roulements de tambour ?
Ne nous laisse pas languir trop longtemps, de grâce.
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Message  ubikmagic Mer 26 Mai 2010 - 9:15

silene82 a écrit:ah, Inge est Juive - comme chacun sait, hormis le fait qu'ils naissent financiers internationaux, les Juifs sont violonistes dès le berceau : les poncifs ont la vie dure -. Comment Wolfgang va-t-il se dépatouiller avec ça, par des roulements de tambour ?
Ne nous laisse pas languir trop longtemps, de grâce.

Salut l'ami. Je réponds ici, tout en saluant tous les autres, du fin fond de ma retraite caverneuse.
Oui, tu as raison, les poncifs ont la vie dure. En fait, au départ, je ne sais pourquoi, j'ai eu l'idée de coller un violon dans les pattes de mon personnage principal, Wolfgang. Du coup, j'ai créé Oma, qui le tarabuste pour qu'il travaille ; indirectement, cela m'a amené à imaginer Opa, avec sa collection d'armes, ses idées bien arrêtées, son engagement fanatique. Puis, je me suis dit qu'il serait intéressant de montrer comment Opa, tout malin qu'il se croit, se fait mener par le bout du nez par Oma, mine de rien. Et ainsi de suite.
Inge, j'avais envie simplement de montrer Wolfgang amoureux. Il fallait bien un prétexte pour qu'il la rencontrât. J'ai pensé que le cours de violon serait parfait, puisque déjà Wolfgang y était emboucané par un emmerdeur ( Adam Decker ), et que donc, la compétition entre eux s'en trouverait renforcée et viendrait créer des péripéties autour de son état amoureux... Il y aurait long à dire sur cette histoire. Je ne compte plus le nombre de fois, dans ma vie, où je fus amoureux de charmantes personnes, qui, dans le meilleur des cas, me signifiaient gentiment mais fermement, leur rejet. Et d'autres, qui le faisaient en m'humiliant tant qu'elles pouvaient, quand ça ne durait pas des mois de tortures gratuites. Quelque part, c'était mieux ainsi : je me détachais plus vite. Mais quoi qu'il en soit, il y avait souvent un trublion dans les parages, idiot et méchant, qui s'imaginait préféré et en tirait gloriole. Le rejet de l'autre, surtout si on est amoureux, est profond et porteur de sens. Ainsi, il peut vivre sa vie sans nous, notre vie lui est parfaitement inutile. En nous rejetant, il nous nullifie, en quelque sorte. Nous renvoie dans une sorte de néant. On pourrait tout aussi bien, ne pas exister. Je trouve cette piste passionnante à explorer, et les déclinaisons qu'elle permet chez Wolfgang sont vastes.
Les poncifs ont la vie dure. Certes. Il semblerait que je n'y aie pas échappé. Mais que j'aie réussi à les enrober dans quelque chose qui les rende, on va dire, supportables. Un quelque chose qui fasse qu'au final, on ferme les yeux, on se dise : bon, ça passe, lisons le reste.
Mais ce fut le fonctionnement de toute ma première partie. Des passages obligés, des impératifs contextuels à respecter, et que je me suis efforcé d'habiller, jouant au costumier, à l'accessoiriste qui se dépatouille avec les moyens du bord.
Maintenant, j'arrive dans ma seconde partie. Je la redoutais, car je la savais chargée d'émanations méphitiques. Remplie de terreur et de souffrance, d'abjection. Cependant, je pensais avoir le courage de l'affronter, comme une sorte d'épreuve initiatique.
Je me rends compte que pour des raisons strictement historiques, beaucoup d'événements que j'avais envisagés sont impossibles. Des gens assez calés sur la question me démontrent que pour telle ou telle raison, ceci n'est pas possible avant telle date, mes personnages sont trop jeunes, cela n'est pas compatible avec le mode de recrutement que j'ai mis en place, et ainsi de suite. Je bute sur des contraintes extérieures au roman qui font que, si je veux respecter la vraisemblance, je suis dans une impasse. Mieux : je pose des questions, on me répond qu'il va falloir que je me forge peu à peu, à force de lire de façon fouillée certains ouvrages, une vision d'ensemble du fonctionnement de certaines institutions nazies. Il est vrai que c'était un système assez chaotique, basé sur la concurrence et la redondance des organisations. Et puis, qui évoluait : telle unité changeait de nom, était englobée dans une autre, déménageait, un vrai bintz. On m'indique des bouquins, ils sont pour la plupart, quasi introuvables. Tout cela me donne le vertige.
Et puis je sais une chose : une longue pause est nécessaire, pour que j'acquière les connaissances qui me manquent. Cela implique que j'aie l'énergie de plonger dans ces recherches, ce qui n'est pas du tout évident. Et également, il y a une vérité dont je dois tenir compte : je me connais, quand je laisse un truc trop longtemps en rade, de manière générale après je n'y reviens plus, je ne suis plus dedans. Tout ce que j'ai fait correctement, je l'ai fait en m'y tenant, sans mettre d'interruption au milieu. Mais là, comment l'éviter ?

Si tu ajoutes à ça mes problèmes de santé, de statut précaire et tout le reste qui est en général assez compliqué, quoi qu'on fasse, tu as compris : pas évident du tout.

Voilà l'histoire. C'est pourquoi je me dis que si ça continue, vous en saurez autant sur mon roman que moi. Donc à ce tarif, vaut mieux que je me cantonne à un prudent silence radio. Et que je fasse profil bas. Je me suis cru très malin, capable de, et je finis sur la touche, après une belle sortie de route. Et j'ai, pour l'instant, sur les bras un cadavre de roman, 340 pages dont je ne sais que faire. Qui sait, les revendre aux puces, peut-être ?

Bises. Au plaisir de te lire encore, savant orfèvre.

Ubik.

P.S. : à la rue, c'est une expression de musicien. On dit ça quand quelqu'un joue mais est en dehors, qu'il ne fait que des conneries ( ça m'est arrivé quelquefois ), il est "à la rue". J'ai trouvé que ce titre allait bien à la fois pour Wolfgang, qui manifestement est à la rue avec Inge... Mais aussi pour moi, compte tenu de ce que je viens d'expliquer. Ironie de la vie !
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Message  silene82 Mer 26 Mai 2010 - 12:32

Hé, hé, vieux frère, je plaisantais, sur les poncifs... Au contraire, je trouve très intéressante cette situation que tu as créée, avec Wolfgang suffisamment sensible à la musique et à l'art pour saisir en quoi Inge est une artiste, le fossé qui les sépare inéluctablement, et tout ce que ce sentiment de rejet peut faire germer chez un timide introverti qui se retrouve investi d'un pouvoir démesuré et maléfique.
Lacombe Lucien détruisant avec une méchanceté appliquée la maquette que le fils du résistant a mis des années à construire. Les autodafés nazis. Ou chinois.
Ce serait trop bête que tu laisses en plan un travail de cette qualité : plutôt, essaie de boucler sur quelque chose de fort et de symbolique dans la contamination progressive de Wolfgang, trouve -y un titre, ce sera le premier tome, et basta. Parce que si tu veux rivaliser avec les Bienveillantes, bon courage, manquent 600 pages.
Perso, je suis sûr que ce que tu as en boîte se suffit à lui-même : pourquoi veux-tu boucler la totalité d'urgence ? Littell s'est donné presque dix ans entre les lectures préparatoires et la relecture corrective...
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A la rue Empty Côtes mal taillées.

Message  ubikmagic Mer 26 Mai 2010 - 13:43

silene82 a écrit: Parce que si tu veux rivaliser avec les Bienveillantes, bon courage, manquent 600 pages.
Perso, je suis sûr que ce que tu as en boîte se suffit à lui-même : pourquoi veux-tu boucler la totalité d'urgence ? Littell s'est donné presque dix ans entre les lectures préparatoires et la relecture corrective...

Salut l'ami,

Oui, dans le décor que j'ai planté, il y a matière à suivre plein de pistes intéressantes... La musique, la peinture, les tensions dans la famille Ström, la montée en puissance à la fois du bon docteur et notable, et de son parti, les différentes "initiations" de Wolfgang ( même si parfois, ça se borne à une première clope ou photo porno ), la ravissante Inge, aussi sensible et intéressante qu'inaccessible... Franz, l'ange noir, Baumann, l'éminence grise, et tous ceux qui gravitent autour, figurants ou troisièmes rôles...

Si je veux rivaliser avec Littel ? Non, chasser dans les mêmes eaux, tout au plus. Mon bouquin est déjà résolument différent, en ce sens qu'il aborde l'enfance et le dévoiement de la jeunesse, la séduction et la ruse nazie, que Littel ne traite pas. Son personnage est tout autre. Et puis, si Wolfgang trempe dans le sang, il n'aura pas du tout les réactions de Max Aue. Mon roman est celui d'une dualité : le mentor et le disciple. Aue est seul tout le long, ou en tous cas, enfermé dans son cynisme et son égocentrisme.

Ce ne sont pas 600 pages qui manquent. De toutes façons, l'épaisseur n'a pas d'importance en soi. Si je le finis, on verra combien il pèse, le but n'est pas d'en écrire plein, mais de soigner la qualité. N'importe comment, puisque je commence le roman quand il est assez jeune, forcément il y aura une certaine longueur, qui j'espère ne sera pas indigeste. Les pages ne manquent pas, ce sont les connaissances qui font défaut, dans un premier temps, et ensuite, voir comment je peux réduire certaines difficultés. Si je partais de documentation, je construirais uniquement avec ce que je trouve. Mais là, j'ai des scènes primordiales, primitives presque, qui me hantent depuis le début, et je ne veux pas les sacrifier. Donc j'essaie de faire coïncider réalité historique et nécessités internes, et c'est là que ça coince. Il me faudra du temps pour résoudre cette équation, dont je ne connais pas le nombre d'inconnues. Premier tome comme ça ? Cela ne voudrait rien dire. Ce serait se fiche du monde. Non, j'attends, voilà tout. Je vais tâcher de trouver les bouquins ad hoc, et les ingurgiter. Si ensuite les méandres du Troisième Reich me sont moins obscurs, alors je m'avancerai pour tenter de résoudre les contradictions et trouver les côtes mal taillées.

Pour l'instant, c'est ma propre vie qui en est une. Remarque, n'est-ce pas le cas pour la plupart d'entre nous ?

Merci... A suivre.

Ubik.
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Message  Louis Lun 31 Mai 2010 - 17:33

Dans cet épisode, Wolfgang prend conscience de l’univers qu’il a quitté et de celui dans lequel désormais il s’est engagé « J’avais quitté cet univers sage, ordonné, cohérent, pour m’aventurer dans autre chose. Franz, mon père, le parti… » Il réalise qu’il aurait pu suivre un tout autre chemin, auprès de Fräulein Schneider ou de Inge. Un chemin plus doux et plus harmonieux, une voie moins brutale et moins violente. Nul destin fatal ne l’a poussé à suivre Franz, nulle nécessité inexorable, il aurait pu devenir un autre homme, d’autres voies s’ouvraient à lui. A quoi tient qu’un chemin insensiblement bifurque et emporte dans des paysages tourmentés, loin des routes bien sages, loin des horizons sereins ? À peu de choses. À des circonstances aléatoires, imprévisibles. À de multiples contingences. Une série d’écarts infimes, et l’on se retrouve au milieu du marécage… Il y a la rencontre avec Franz, déterminante, mais il aurait pu suivre la demoiselle Schneider : « Je (…) l’aimais beaucoup et avais le sentiment qu’elle aurait pu me demander n’importe quoi. ». Si elle avait demandé, si elle avait su…
Inge, d’autre part, révèle ses origines juives. Elle n’est pas déshumanisée pour autant aux yeux de Wolfgang. Quelle différence avec l’attitude adoptée à l’égard du concierge de l’école, dans un épisode précédent ! Franz est absent, il est vrai, à ce moment-là. L’amour pour la jeune fille transcende son idéologie antisémite. On le voit, il aurait pu suivre la voie que lui indique l’amour. Mais c’est la haine qui l’emportera. Un tout autre destin était possible pour lui, mais encore une fois, les aléas de l’existence font prendre au cours de sa vie une pente tumultueuse et terrible. Un choix libre de la part de Wolfgang ? Une liberté piégée plutôt par le milieu, les croyances du moment, les convictions. Une multiplicité de possibles s’ouvraient devant lui, mais on devine que plus le temps avance, et plus le nombre des possibles se restreint, qu’il y aura de moins en moins de bretelles de sorties sur la voie empruntée…
Très bien, ce texte, Ubik.

Louis

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A la rue Empty Dissonances et ajustements mentaux.

Message  ubikmagic Ven 4 Juin 2010 - 11:55

Salut, Louis, merci pour ce commentaire éclairé.

Oui, la vie est comme une série de ramifications, chaque branche suivie, résultant d'un choix délibéré ou d'un ballottement plus ou moins chaotique, nous amène à un empan des possibles toujours plus restreint, nous suivons une logique dans laquelle tout ce qui a précédé est à prendre en compte, sauf élément inattendu, deus ex machina, et conduit à des embranchements bien spécifiques. Les erreurs, les mauvais calculs, sont rédhibitoires, d'où le "si j'avais su", qui nous taraude constamment, avec plus ou moins de voracité.

Evidemment ( toute polémique sur poncifs ou clichés mise à part ), il m'intéresse au plus haut point de montrer Wolfgang amoureux d'une fille qui, d'une, se refuse à lui ( c'est plus souvent ça dans la vie que le contraire, enfin, en ce qui me concerne, malgré quelques exceptions que je peux compter, le nombre de fins de non-recevoir étant, lui, innombrables. N'est pas Adonis qui veut, et même Adonis, à un moment donné, vieillit et perd des plumes, inexorablement ).

D'une, qu'elle l'éconduise est stimulant pour moi, en tant qu'auteur. De deux, qu'elle soit Juive : ironie de la vie. Et ça permet de montrer, effectivement, comment, deux poids deux mesures, la réaction est différente. Autant le concierge, lui, est dans la seconde dévalorisé... bien sûr, sous la houlette de Franz. Va-t'en savoir ce qui se serait passé pour Wolfgang si son ami, au vu du parcours d'ancien combattant du concierge, n'avait pas "fermé les yeux" sur sa judéité, ne l'avait pas "excusée"... ? Il y a fort à parier pour que le jeune Ström eût suivi, une fois de plus. Mais en tous cas, la judéité d'Inge pose plus de problèmes. Elle met en place ce que certains psychologues ( Festinger, Beauvois, Joulé et autres ) ont nommé un processus de dissonance cognitive : « J'aime Inge, je déteste les Juifs, or Inge est Juive ». Il faut réduire la dissonance. Et Wolfgang s'y emploie, tant bien que mal, dans les passages ultérieurs ; soit il rumine son amour, le magnifie, le poétise, le transcende, en établissant une sorte de forclusion sur cette judéité, en l'oubliant... Soit au contraire, il se défend de ses sentiments, les combat, dévalorise Inge en se disant qu'elle ne le méritait pas.

Processus extraordinaire que cette adaptation. Lors de la période "nocturne et noctambule" de ma vie, j'avais un "copain", enfin, une relation, véritable Priape, phénomène à peine croyable et qui suscitait constamment mon étonnement ( j'avais beau le connaître, j'étais toujours époustouflé par sa rugosité et son audace, ses manières de goujat, son inconscience flagrante du savoir-vivre le plus élémentaire ) qui branchait tout ce qui portait jupon, ou presque. Il commençait par des grivoiseries et de la drague à la Jean-Claude Convenant ( "que tu es belle ma chatte", et autres formules très directes et sexuellement explicites ) et quand il se faisait envoyer balader, à la seconde, il réajustait : "va te cacher, boudin, tromblon, tu ne t'es pas vue" ? Dingue comme le discours se contredisait d'un instant au suivant, tout à fait passionnant à observer. Le tout sans qu'il y ait la moindre once d'ombre d'hésitation ou de perception du côté antinomique des deux parties de cet échange. Réajustement, déni, processus de défense, enfin, le rituel avait quelque chose d'invariable. Cet individu se trimballait comme ça toutes sortes de contradictions, d'automatismes, de compulsions répétitives, de fonctionnements pulsionnels immédiats qui en faisaient un sujet passionnant… Le « ça » Freudien dans toute sa splendeur. Comme un enfant de trois ans, dans un corps d’adulte. J'en avais même fait un personnage clé d'un roman que j'avais entrepris, avant de plonger dans les méandres de l'Allemagne nazie. Bah, on verra, ce n'est peut-être que partie remise. J'ai des milliers d'anecdotes avec cet individu haut en couleurs, véritable caricature vivante, à la limite de la psychopathologie. Rien qu’avec lui et l’échantillon de quelques autres croisés lors de cette période, plus ou moins du même acabit, j’ai largement de quoi écrire un roman noir plus ou moins teinté de surréalisme et d’humour.

Mais revenons à nos moutons... Ou plutôt, nos jeunes loups. Wolfgang va devoir lécher longuement la plaie que lui occasionne le refus d’Inge. A l’inverse, une poignée de secondes lui suffit pour jeter le concierge et tout son courage d’ancien combattant aux orties. Franz saisit très bien la contradiction, il ne critique pas ouvertement Inge ; adroitement, il se contente juste de décourager son ami, et le consoler si nécessaire. Il sait que le temps travaille dans le bon sens : Inge s’éloignera, quoi qu’il arrive.

Et puis, l’Histoire se chargera de résoudre « la question Juive » comme on sait…

Le roman n’est pas fini, loin s’en faut. On essaie de s’y tenir, malgré les difficultés, intérieures comme extérieures.

Merci…
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