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Chez Soi

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Message  conselia Sam 14 Aoû 2010 - 11:51

Huit heures de route les avaient épuisés, mais ils trouvaient encore l’énergie de déceler en toute chose que leurs yeux croisaient sujet à s’émerveiller, tels des gosses enfermés dans un magasin de jouets, passée l’heure de la fermeture. De cette crête bientôt franchie, ils imaginaient découvrir un panorama sublime, plongeant sur la mer comme un toboggan d’asphalte bordé de pins et bruissant de cigales. Aussitôt démentis par un autre vallon sans charme, ils repoussaient le mirage au sommet qu’ils franchiraient ensuite, jamais à court d’illusion et le cœur foisonnant d’images nécessaires au parfait accomplissement de leur désir de vacances inoubliables.

Des semaines durant, ils avaient parcouru les pages des catalogues de voyagistes pour trouver ce séjour estival que les années de privation avaient rendu mythique à leurs yeux. Des lunettes de soleil siglées à la paire de tongs bariolée, le choix de chaque objet soigneusement rangé dans l’une des quatre valises fut l’enjeu d’interminables palabres, comme s’il s’était agi des amulettes indispensables au rite qui devait maintenant s’accomplir.

Leur modeste véhicule ployait sous la charge mais les conduisit vaillamment de leur habitat fonctionnel à la villa louée pour le mois. Plus de vingt clichés avaient été exigés avant que leur choix ne se portât définitivement sur cette bâtisse, mais aucun ne les avait préparés à la lumière aveuglante d’un après-midi d’août en Provence. Tout leur parut immédiatement plus beau, plus typique, plus grand et, tout simplement, vrai. Elle soupira d’aise quand la logeuse lui remit la clef, tandis qu’il se hâtait de transvaser le contenu de la voiture dans l’entrée.

D’un même élan, ils s’adossèrent d’un coup à la porte tout juste refermée, comme pour empêcher leur hôte de se raviser et les déloger. D’abord amusés de leur réflexe puéril, puis soudainement conscients de ce que cela laissait deviner de leur condition, ils échangèrent un baiser maladroit et entreprirent de prendre possession de leur logis. A chaque objet extrait d’une valise pour être déposé dans un tiroir ou sur un meuble de la villa, ils gagnaient en confiance et le sentiment d’intrusion laissait place à celui d’un confort inhabituel.

Il leur fallut ainsi plus de deux heures pour se décider à plonger dans la piscine, luxe qui avait pourtant présidé à la dépense somptuaire que représentait cette location dans leur quotidien laborieux. Encore avait-il fallu attendre qu’elle eût sélectionné le maillot de bain qui conviendrait à ce tout premier plongeon, lors qu’il se serait contenté de la voir surgir nue, tant la chaleur et l’émotion lui paraissaient propices à d’autres occupations. Mais de cela il ne pouvait être question, car l’étrange n’avait pas cette sorte d’effet sur elle. Nageant vers lui à brassées retenues elle scrutait alentour, tentant de discerner au travers des pins l’œil torve d’un indigène curieux.

Après une sieste agitée de cauchemars confus, il s’éveilla le premier et décida, en bon géomètre que tout honnête homme se doit de demeurer, d’appréhender leur nouvel espace vital. Le terrain n’était pas seulement vaste, mais également complexe. Plusieurs niveaux, organisés en paliers et terrasses, rendaient sa tâche difficile. De fait, aucune perspective ne lui permettait de rendre compte précisément de l’organisation des pièces et il entreprit donc de faire un tour complet de la maison.

Arrivé au sud devant une clôture qui lui barrait le chemin, il dût reprendre sa révolution en sens inverse, pour aboutir à nouveau sur un obstacle, fait de pierres celui-là. Rien d’étonnant se dit-il, la maison aura été construite en limite séparative et voilà tout. Mais de retour au grillage qui l’avait une première fois stoppé, il lui fallut se rendre à l’évidence : une partie de la maison se trouvait bien de l’autre côté de cette clôture, dont l’accès lui était interdit.

De retour à l’intérieur, il mesura nerveusement et griffonna des plans sommaires au dos d’un magazine. Une vingtaine de mètres carrés. Une pièce, peut-être deux, leur étaient cachées derrière ces murs. Il déboula dans la chambre où elle achevait de s’éveiller en lançant : « Nous ne sommes pas seuls ! ». Son sursaut lui fit entrevoir la maladresse de son entrée, qu’il tenta de corriger par des propos plus cohérents, mais qui conduisaient malheureusement à la même conclusion ; une partie de la maison ne leur était pas louée, dans laquelle il y avait place pour une chambre au moins.
Ni l’agence, ni la propriétaire ne purent être jointes avant la tombée de la nuit, et c’est sur ce constat amer qu’ils se couchèrent, plus tôt qu’ils ne l’avaient imaginé, après un repas frugal gobé sans appétit. De part et d’autre du grand lit, lui fulminant à l’idée qu’on ait pu le gruger, elle guettant le moindre bruit, les heures passaient sans qu’ils ne trouvent véritablement le sommeil.

Le bruit de clef dans une serrure les fit bondir ensemble hors du lit. Armé d’un balai saisi à la hâte au bas de l’escalier, il avançait lentement vers le mur d’où semblait provenir le cliquetis, tâtonnant de sa main libre à chaque pas pour s’assurer qu’elle le suivait à distance raisonnable. Dans la pénombre ils progressaient ainsi vers le bruit qui soudainement cessa, alors qu’ils avaient atteint le fond de la pièce. Ils distinguaient le mur du salon, mais aucune porte ni fenêtre, ce qui, maintenant qu’il avait repris le contrôle de ses sens, ne pouvait l’étonner : ils faisaient face au mur mitoyen de la pièce manquante.

Tenant le balai par sa brosse, il tendit le manche vers la cloison pour en tester la résistance. Le mur ne céda pas sous les coups, mais sembla se dérober un instant. Poussant plus avant son investigation, il comprit qu’il le faisait doucement pivoter. Nulle lumière ne venait éclairer ce qui se trouvait de l’autre côté, et il lui fallut se résoudre à l’idée d’avoir à passer la cloison pour découvrir ce qu’elle recelait. Elle le saisit par la main et tenta de le retenir, mais fut saisie en retour et entraînée avec lui de l’autre côté du mur, qui pivota à nouveau derrière eux.

Elle voulut se blottir contre lui, mais il se déroba, occupé à trouver sur les parois qu’il suivait du bout de doigts un interrupteur. Lorsqu’il fut persuadé d’en avoir trouvé un, il hésita un instant et attendit qu’elle l’eût rejoint avant de le presser délicatement. Eblouis par la soudaine clarté, il leur fallut quelques secondes pour distinguer le sofa jaune élimé, le tapis offert par l’oncle Jean, la table basse en verre dont il faudrait se séparer lorsque l’enfant paraîtra, la télévision trop petite pour profiter des films à gros budget qu’il affectionnait tant et toutes ces petites choses qui faisaient le quotidien de leur petit appartement parisien.
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Message  Rebecca Sam 14 Aoû 2010 - 12:07

Eh bien bravo. Tu devrais nous écrire plus souvent. Immergée dans cette histoire jusqu'au cou par la grâce d'une écriture agréable et efficace, rien ne me laissait présager une telle chute.
Insensée et suffocante comme peut l'être une plongée dans un quotidien glauque lorsqu'on rêve palace et piscine.
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Message  Invité Sam 14 Aoû 2010 - 12:11

Je retiens surtout le contraste entre l'écriture sage, sérieuse et le grain de folie du récit. En tout cas, une fin qui turns the tables (et les murs !), surprenante autant que désillusionnée.

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Message  Invité Sam 14 Aoû 2010 - 21:20

Un texte étonnant ! Effectivement, l'écriture bien policée, minutieuse et précise ne laisse en rien présager ce retournement fantastique.
Beau boulot, Conselia !

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Message  elea Dim 15 Aoû 2010 - 12:18

Bien écrit, emballant, surprenant et parfaitement amené et maîtrisé.
C’est surtout terriblement cruel, ce qui en relève encore plus la saveur finale.
Bravo et merci !

elea

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Message  Invité Lun 23 Aoû 2010 - 16:31

Un texte bien écrit, bien construit ! J'ai beaucoup aimé.

Une remarque :
« il dut (et non « dût » qui est la forme du subjonctif imparfait) reprendre sa révolution en sens inverse »

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