La dégénérescence de la génération

J'ignore si le texte est complet, mais je n'étais pas sûr comment l'étoffer.
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On n'est jamais plus vieux que l'âge que l'on veut bien se donner. Ça fait un bon dix ans que je n'ai pas plus de vingt ans. Pendant que mes amis se marient et ont des enfants, moi j'expérimente la folle vie d'étudiant à perpétuité. J'ai deux maîtrises et un doctorat, trois copines de dix-huit ans à peine et un garde-manger rempli de pâtes alimentaires, qui représentent l'alimentation de prédilection de la population estudiantine. Mes parents me répètent sans cesse qu'il est grand temps que je commence ma vie, ce à quoi je réponds toujours que je suis trop jeune pour ça, je n'existe que depuis vingt printemps après tout. Peut-être dans cinq ans, lorsque je célébrerai le quinzième anniversaire de mes vingt ans. Mais je crois plutôt que je vais attendre encore un peu. Attendre qu'il fasse chaud en Norvège, que les Chinois marchent la tête à l'endroit et que les paresseux deviennent insomniaques.

Pour déjouer le passage du temps, je fais toujours tout en sens inverse, à une lenteur qui rendrait jaloux le plus lambin des escargots. Ma marche arrière ne me fait jamais arriver à l'heure où que ce soit, mais l'important c'est que j'y arrive toujours. Vieillir signifie gagner en maturité, se marier, mourir et se réincarner en papillon, en cheval de bois ou en je ne sais quoi. Très peu pour moi. Je préfère continuer à ne pas avancer, tout en pensant à ce que ma vie future me réserve, soit exactement ce que ma vie passée m'a déjà réservé et ce qui est en train d'arriver dans ma vie présente.

Cette fille au loin me regarde de si près. Ses traits physiques sont ceux d’une personne de dix-neuf ans, mais son regard me dit qu’elle en a au moins cent. J’ignore pourquoi, mais je suis attiré vers elle comme un aimant. Je m’approche à reculons. Elle s’approche à reculons. Sans dire un mot, nous nous embrassons, dans le bon sens cette fois. Le temps d’un baiser, nous sentons les années nous rattraper. Le premier emploi, la première voiture, la maison, les enfants, le chien, la voiture qui écrase le chien, le deuxième chien, la retraite, le terrain de golf, la crise cardiaque, l’hôpital… Nous venons de vivre une vie complète en l’espace d’une minute à peine. Nous séparons nos lèvres l’une de l’autre, nous nous regardons dans les yeux, et nous ne voyons chacun qu’une personne âgée ravagée par les années en face de nous. Nous comprenons qu’il ne reste qu’une fin logique à cette vie bien remplie que nous venons de passer. Nous nous allongeons donc côte à côte sur la chaussée, nous fermons les yeux et nous nous assoupissons une dernière fois, la tête remplie de souvenirs que nous sommes heureux d’avoir partagés avec l’être aimé.

Ah, j'aime beaucoup ! Un texte simple, intrigant, poétique.

Ah oui. Belle idée, bien exprimée.

Et pour répondre à ta question: il me semble que le texte se suffit tel qu'il est.

Mais aussi bien sur base de cette idée, tu pourrais franchement construire un roman.

Sober, j'aime énormément ton texte, particulièrement "…le chien, la voiture qui écrase le chien, le deuxième chien…".
Ce style de raccourci est tout à fait à mon goût : jaloux de ne pas l'avoir écrit je suis !
Content de te voir parmi nous.
Pour moi le texte est complet. pas besoin de l'étoffer : une vie en plus ou moins 3000 signes : une performance.

A propos les amis, ce format de moins de 3000 signes est super bien : si on faisait un exercice "une vie en moins de 3000 signes (espace comprises évidemment). Mais c'est peut-être pas là que doit se faire ce genre de proposition. Vous savez bien comme je suis brouillon.

Un texte triste drôle et acide en même temps.

J'ai beaucoup aimé et l'idée et le traitement, bien qu'ayant eu une petite réticence au tout début ( et je ne saurais t'expliquer pourquoi...)
J'ai bien aimé la façon dont tu accélères le temps, de plus en plus et le tourbillon que cela crée, avec des raccourcis très drôles, comme le soulignait Narbah pour les chiens successifs.
Un texte très réussi et qui se suffit, selon moi.

Poésie, mélancolie, douceur et brutalité en même temps, originalité.
Un joli thème, bien développé, juste comme il faut.

Excellent, vraiment excellent. Original et caustique dans l'idée mais pas dans le ton. J'aime cette façon détachée, factuelle, mais pas froide de rendre compte. Une grande maîtrise de l'expression, précision dans le choix des mots, qui font que non, on n'a pas besoin d'étoffer. Tout est là.

La fin dit tout et justifie le peu de moyens dont disposent les hommes à revêtir le sol de terre de rêves.

Quelques répétitions ou lourdeurs, mais tout à fait tolérables. Et, à côté de ça, un sens du raccourci qui tue.
Globalement, une très bonne qualité et un texte réjouissant, à rebrousse-poil.

Ubik.

Moi je trouve que le texte est complet, rien à rajouter.

Lu avec plaisir aussi.

J'aurais aimé avoir écrit ce texte dans dix ans... (?)

En tout cas j'aime beaucoup, tu arrives à faire passer une idée sans équivoque et avec concision, on perd pas de temps à tourner autour du pot, on ne peut pas ne pas comprendre ce que tu veux dire. Et cette idée, justement, me plaît bien.

Extraordinaire ce texte !

La plus grande réussite, selon moi, et que, en partant d'un postulat assez complexe, vous avez réussi à faire un texte soimple, agréable, humoristique mais à la fois poétique et profond. Chapeau

Tiens, en relisant ce texte, je coince sur

" nous séparons nos lèvres l'une de l'autre"

... z'en ont qu'une chacun ?

A la fois tendre et acide, un petit fruit qu'on savoure en une seule bouchée mais qui vous secoue juste ce qu'il faut pour qu' on n'en oublie plus le goût. Bravo !
(Je conçois qu'on puisse y perdre une lèvre !)

Sois rassuré, le texte se suffit amplement tel quel.
Pourtant au début, j'ai eu un doute, j'ai craint les clichés sur la jeunesse éternelle et l'âge de l'esprit (ce sont des thèmes qui généralement me heurtent quelque peu) mais rapidement, tu te diriges vers autre chose que ces énoncés simples et tu colores ton texte d'une froideur et d'un cynisme très efficaces. C'est bien vu !

Ah oui ! Chapeau !

cette vie à reculons comme rebroussant le temps qui passe pour "les autres" et cette fin, quand ce temps finalement rattrape...
je n'y changerais rien non plus !

Beaucoup aimé.