Le grand-père

Hector et Pauline adorent que leur grand-père les garde. C’est réciproque et cela enchante aussi leurs parents d’avoir une nounou sous la main pour souffler un peu le soir ou le week-end, sans chercher à savoir pour quelle raison exacte ils réclament si souvent leur papi.
C’est un vieux monsieur adorable.
Il leur cuisine des dessins : la purée est une fille aux cheveux épinards, le riz sourit à la sauce tomate, un bateau poulet se débat sur une mer houleuse de pâtes et la fourchette explore des labyrinthes de jambon.
Il les emmène au jardin où il a crée avec fierté un petit potager, devant les pieds de tomates cerises il explique qu’elles refusent d’être mangées par des adultes et s’arrêtent de grandir dès qu’elles ont une taille parfaite pour des palais d’enfants. Quand Pauline émerveillée en croque une en laissant couler le jus sur son menton il s‘attendrit.
Et depuis qu’Hector a exigé d’autres fruits et légumes aimant les enfants, il s’est mis à cultiver des jeunes carottes et des pommes naines.
Et puis il y a les histoires. Quelle que soit l’heure à laquelle il s’installe sur le bord du lit pour leur en lire une, il s’endort quelques lignes après le "il était une fois".
La première fois ils ont rigolé d’entendre papi ronfler, ils ont tourné autour. Pauline a approché ses doigts des narines frémissantes, fascinée par les longs poils blancs cherchant à s’en échapper. Hector a tiqué un peu, il la voulait son histoire, puis il a vite compris l’avantage de la situation : pas de surveillance, pas de limites pour tester de nouvelles expériences, des bêtises auraient dit les adultes. Et ils s’en donnent à cœur joie.

Grand-père est insomniaque depuis des années, très exactement depuis que grand-mère l’a laissé seul.
Impossible de s’endormir quand il se couche : il tourne, vire, change de coté, respire en essayant de détendre peu à peu son corps, des pieds jusqu‘à la tête, visualisant chaque membre s’enfoncer dans le matelas, un truc que lui a conseillé sa voisine diplômée en feng-shui et autres élucubrations zen, prend l’oreiller dans ses bras, se met autour en position fœtale, compte les secondes en allant de plus en plus lentement.
Mais rien n’y fait, il a trop chaud, puis trop froid, ses jambes sursautent, il sent son cœur cogner dans sa tempe posée sur l’oreiller, s’obsède sur les bruits de la maison, entêtants, essaye de les remplacer par le souvenir du ronflement de sa moitié, invoque la chaleur de son corps chauffant le sien même quand ils n’étaient pas collés, se remémore le bruit de ses pieds élimant les draps, manie de mamie qui s’endormait toujours en coinçant un pied entre les draps du dessous et du dessus puis frottait doucement contre, longuement, au point que toutes leurs paires étaient usées, il a essayé de le faire, trop vite sans doute, il s‘est juste irrité la peau.
Rien ne fonctionne donc, son imagination n’est pas assez vive, il finit toujours par se rappeler qu’il est seul dans le lit et le sommeil s’enfuit.
Pour berner les cellules de sa mémoire il a tenté de dormir dans la chambre d’amie, un lit neutre jamais partagé avec elle : peine perdue. En dehors d’y avoir été désorienté et de s’être cogné le petit orteil en jurant contre la table de nuit, il ne s’est pas endormi plus vite.
Alors bien sûr il y parvient toujours au bout de quelques heures, deux ou trois dans les bons jours, quatre ou cinq dans les mauvais, qu’il prenne une tisane, lise, écoute de la musique relaxante, rien n’accélère cela sauf une unique chose : raconter une histoire à ses petits-enfants ; à peine passé quelques lignes, ses paupières deviennent lourdes, il lutte pour veiller, sacrée ironie, les mots s’embrouillent sur les pages, il ne comprend plus ce qu’il lit, annone les phrases en mode pâteux et glisse dans un sommeil profond sans en avoir vraiment conscience.
Le lendemain il se réveille bien reposé, couché sur le lit d’un des petits, une couverture jetée en vrac sur lui, il imagine les petites mains se mettre à quatre pour lever ses jambes et les mettre en travers du lit puis le couvrir, il les regarde, deux anges blottis l’un contre l’autre dans le second petit lit et espère qu’ils reviendront vite dormir chez lui.

Au début il avait un peu honte de ne pas jouer parfaitement son rôle de garde mais les petits ne se sont jamais plaint, sa fille n’a jamais abordé le sujet, elle se désintéresse même totalement de ce que ses enfants font lors de leur séjour. Les trois parties sont heureuses ainsi. Il pense que ça arrange bien la tranquillité de sa fille, et lui ses heures de sommeil et les petits n’ont pas l’air tristes de ne jamais connaître la fin des histoires, peut-être qu’ils se la racontent entre eux. Tout ce qu’il sait c’est que depuis qu’il les garde régulièrement, sa qualité de vie s’est améliorée.
Mais pas celle de son voisinage...


A suivre ?
.

Une ambiance sympa, une histoire qui peut l'être (tu laisses bien le suspense), quant au style, ce n'est pas que ce soit mal raconté, au contraire c'est assez vivant, mais... Un petit peu plat (rédaction plus que récit), manque de truculence, quelques fautes d'orthographe ( Ex: le riz sourit ) et quelques phrases que tu pourrais tourner autrement. Ton texte y gagnerait, je pense

Sinon, moi aussi je fais des bouffes dessins pour mes mômes. Mon truc: le jambon portrait, avec des oeuf de cailles pour les yeux, tomate pour la bouffe et champignon pour le nez.

vincent M. a écrit:quelques fautes d'orthographe ( Ex: le riz sourit )

le riz sourit
il sourit, quoi
il sourit à qui ? à la sauce tomate
:-)))
regarde, Vincent, les 2 autres membres de phrase ont aussi leur verbe
bon, ok, on commente pas un commentaire, paf ! aïe !

Joli Texte, Eléa, m'en reprendrais bien une bouchée
.

Ah oui, il faudrait suivre parce que là on ne sait pas trop qu'en penser. Il y a un ton un peu "Martine", ce monde rêvé, idéalisé, mais franchement j'aimerais bien savoir où ce texte et ses personnages peuvent aller : de l'avant, ou remonter le passé ?

En passant, j'ai relevé ceci :
Il les emmène au jardin où il a crée ("créé")
il a tenté de dormir dans la chambre d’amie ("d'amis")
annone les phrases en mode pâteux ("ânonne")

oups. Un riz souris à la sauce tomate, c'est possible aussi ^^

Moi à mes mômes je leur fais des petites boules de riz, avec une tasse, puis je fais un trou dedans et je leur mets de la sauce tomate: ça fait un chouette volcan.

Donc une souris, ça doit être fastoche, hé hé (je trouvais aussi qu'elle était bancale la phrase telle que je l'avais comprise)

Ah oui, c'est vraiment sympa ! J'espère une suite, j'aimerais bien savoir ce qu'ils font, les petits, pendant que papi dort. Un texte attendrissant sans être mièvre, je trouve, une performance !

Une remarque (les autres ayant été faites) :
« il tourne, vire, change de côté »

Indépendamment du contenu lui-même, c'est un texte joliment dit, énoncé avec clarté et fluidité. Rien que ça, c'est déjà énorme.

A suivre...

Ubik.

J’aime le propos et je suis preneur de la suite, bien sûr ! Si je puis me permettre, un petit exercice pour répondre aux remarques ci-dessus, que je partage pour l’essentiel ; pendant l’écriture, reprendre chaque phrase à voix haute et se demander si on aurait voulu l’entendre de la bouche de son acteur ou actrice préféré(e), en voix off d’un film que l’on aime. Sinon, réécrire.
J’ai essayé, c’est radical, mais j’ai rarement le courage d’aller jusqu’au bout de la démarche.

Un texte fluide et bien écrit. La solitude des personnes âgées n'est pourtant pas un sujet porteur.

Un peu de tendresse dans ce monde de brutes.
J'aime ce texte. Une suite serait bienvenue.

Merci pour vos commentaires.
Je travaille à une suite.

Lu ce texte avec un sourire au coin des lèvres.

Deux dimanches par mois, un marché aux voisins a lieu. Dans le jardin de l’ancienne institutrice. Justement parce que ce n’est pas un jardin mais un espace bétonné : elle déteste l’herbe et la nature.
Vers 10h de petits groupes arrivent, portants tables pliantes, chaises et sacs diversement remplis.
Et bientôt tout est prêt, y compris un espace vide pour les retardataires.
Le troc peut commencer.
Le n° 11 a disposé ses dessins de la semaine : croquis de la rue, de ses habitants, vues de la ville, portraits vivants ou natures exotiques.
La n° 7 termine de découper ses gâteaux maison : tartes aux fruits de saison (prunes en ce moment), cakes au chocolat et verrines de tiramisu.
Les n° 42 et 54 exposent les serviettes au point de croix, les torchons brodés et les nappes au crochet qu’elles ont réalisé en potinant chez l’une ou chez l’autre.
Le n° 29, aidé de ses parents, dépose sur un foulard blanc ses scoubidous colorés, tressés en tirant la langue, le soir après ses devoirs.
La n° 1 exhibe fièrement ses écharpes et gants assortis en laine de mérinos qui tricotent des hivers chaleureux.
La n° 28 invente des prières à l’encens et des conseils pour faire passer le psoriasis purulent en orientant sa chambre vers le point cardinal guérisseur.
Le n° 41 a ouvert sa boîte à outils et note sur un petit carnet à spirales les menus travaux qu’on lui commande.
Quant à Grand-père, bien sûr, il étale amoureusement ses légumes élevés au bon air du cul-de-sac de la rue, éloigné des pots d’échappements de la grande artère qui coule à l’angle opposé.
Et chacun se muni de ce qu’il estime être sa plus belle pièce, ou la moins réussie, selon, pour aller marchander telle ou telle convoitise de l‘étal d‘à côté.
Les discussions anodines vont bon train, de la coqueluche du petit dernier à l’arthrose de la mémé, en passant parfois par l’actualité du vaste monde cernant la rue.
Mais depuis quelques semaines ce sont les bizarreries de la nuit qui alimentent les conversations.
Chacun y va de son événement étrange à raconter. L’une retrouvant son chien adoré les poils dressés comme s’il s’était mis du gel, l’autre découvrant son linge étendu froissé comme si on l’avait essayé, le troisième admirant un dessin naïf sur son mur. Des objets se déplacent : le petit arrosoir au décor tournesol se penche sur la margelle du puit, les roses s’étalent en chemin rouge de la terrasse à la porte de derrière, le petit cupidon de plâtre de la n° 69 a les ongles vernis.

Grand-père écoute ces récits, stupéfait.
Rien n’est jamais volé ni détruit, mais un plaisantin s’amuse au lieu de dormir. De manière bon enfant. Il se faufile partout sans jamais être vu et n’épargne pas un résident, en trajectoire aléatoire : sans respecter l’ordre des numéros, comme s’il jouait à « am stram gram » pour décider de la prochaine visite.
Au début il a simplement pensé à un farceur qui aurait gardé une âme d’enfant puis une évidence terrible est apparue : les soirs évoqués par ses voisins coïncident avec les dates où il garde Hector et Pauline.
Et si pendant qu’il dormait ses petits enfants en profitaient pour faire des bêtises, livrés à eux-mêmes ?
Il veut en avoir le cœur net.
La fois d’après, comme toujours, ils réclament avec insistance une histoire, ce qui est étonnant puisqu’il ne va jamais au bout. Le doute s’insinue. Il tente d’apprendre un conte par cœur, pensant que c’est la lecture qui l’endort. Que nenni ! au bout du premier paragraphe récité il ronfle sans s’en rendre compte.
Le soir suivant, il se gave de café avant de lire mais le charme opère comme d’habitude et il tombe dans les bras de morphée.
Il leur a demandé bien sûr ce qu’ils faisaient pendant son sommeil mais les petits, avec la voix de l’innocence, ont juré qu’ils ne sortaient pas de la maison, jouaient un peu puis dormaient aussi. Quelque chose dans leur expression ne l’a pas rassuré, il s’est résolu à contrecoeur à faire appel à sa fille.
Celle-ci, une fois dans la confidence et ennuyée que ses enfants puissent être responsables des émois d’un quartier paisible, a accepté de jouer le jeu.
La voici donc postée contre la cabane à outils du jardin, pile face à la grille, seule sortie possible, épiant chaque mouvement ou bruit suspect.
Quelques minutes après l’heure prévue du coucher, elle voit la porte de l’entrée s’ouvrir doucement, une ombre s’approcher de la grille à pas de loup puis l’escalader silencieusement et passer dans la rue juste le temps de sauter dans un jardin voisin. Muette de stupeur de voir son père ainsi se faufiler, elle ne bronche pas, clouée sur place.
Le lendemain, le médecin de famille confirmera le diagnostique : papi est insomniaque et somnambule. Le voisinage retrouvera son calme, un peu déçu d’avoir moins d’anecdotes à échanger pendant les trocs dimanches.

Et Pauline et Hector me demanderez-vous ?
Eh bien…
Pauline veut devenir cuisinière, elle adore mélanger ce qu’elle trouve en fouillant les placards : les couleurs changent, les odeurs se modifient, fascinée, elle y trempe un doigt puis le lèche, les narines pincées d’appréhension car c’est souvent écoeurant, son unique critère de sélection étant l’apparence, jolie ou pas. Plus tard finalement elle ne sera pas cuisinière mais peintre, elle gardera l’habitude de goûter la palette du bout de la langue.
Mais là, dés que papi s’endort, elle file en cuisine, concocte une jolie recette et range bien tout ensuite parce qu’une émission télé dit qu’un bon cuisinier garde toujours son plan de travail propre.
Hector quant à lui traîne au grenier, il y a découvert une armoire aux trésors, emplie des souvenirs de toute une vie de grands-parents. Il plonge le nez dans de lourds albums immenses aux senteurs de cuir poussiéreux et fait bien attention aux reliures fragilisées par le temps avant de se raconter des histoires animées par les photos jaunies et écornées. Il a décidé qu’il serait réalisateur. Finalement dès qu’il aura appris à tenir un stylo correctement, il trouvera bien plus marrant de dessiner les histoires qu’il a en tête depuis tout petit.

C'est très joli et très bien raconté tout ça. Très vivante, la rue aussi.

Ah oui, charmant ! Excellente idée que celle du marché aux voisins...

Mes remarques :
« les serviettes au point de croix, les torchons brodés et les nappes au crochet qu’elles ont réalisés »
« chacun se munit de ce qu’il estime être »
« pendant qu’il dormait ses petits-enfants (trait d’union : grand-père, petits-enfants) »
« il tombe dans les bras de Morphée »
« il s’est résolu à contrecœur »
« le médecin de famille confirmera le diagnostic »
« Et Pauline et Hector me demanderez-vous ? » : je ne suis pas sûre de l’utilité de cette adresse au lecteur
« car c’est souvent écœurant »

J'ai pas mal aimé, c'est rafraîchissant. J'attendais peut-être que le ton décalé, légèrement surréaliste soit plus poussé ; j'ai regretté qu'il n'y ait pas plus de tension dans le récit.

En lisant ce texte, je me suis dit que son gros défaut, c'était de s'arrêter là, comme ça, sur ce à suivre. parce que tout de même, il y là matière à avoir envie d'en savoir plus.
Et heureusement que je vais voir plus bas et réalise qu'il y a bel et bien cette suite :-))

J'ai ri en lisant un marché aux voisins parce que j'ai d'abord pensé que c'était les voisins qu'on vendait :-)
La suite se tient bien mais je me demande si le texte n'y gagnerait pas en qualité si tu accentuais quelque peu les interrogations sur les agissements nocturnes, la tension qui s'empare des uns et des autres. Ici, je trouve que la fin est rapidement amenée, d'autant plus que je la sentais un peu venir la responsabilité du papy plutôt que des petits.

Oui, la fin est rapidement amenée car je n'avais pas d'idées sur ces fameux agissements nocturnes, je me suis trouvée bête pour décrire des bêtises, je dois être trop sage !

Merci aux commentateurs.

Ben, j'ai tout relu d'un coup, à la suite et j'ai beaucoup beaucoup aimé.

Merci pour ce grand sourire tendre.