Prérogatives patronales
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Prérogatives patronales
... Régulièrement, Emma Willerts devait rester après la fermeture, pour faire le ménage. Dans ces cas-là, Franz et moi rentrions de notre côté.
Un soir, alors que nous marchions en discutant, nous reconnûmes Irmgard, une des entraîneuses, sur un trottoir de la Krummestrasse. Après un instant d’hésitation, nous nous cachâmes. Pas de doute, c’était elle, habillée de façon plus que suggestive.
Je n’avais jamais eu affaire, personnellement, à des prostituées. Franz m’avait raconté, mais j’ignorais s’il l’avait fait lui-même, ou s’il s’était contenté de répéter les propos d’un autre. Les grands en dernière année au gymnasium l’avaient adopté, à cause de son trafic de photos érotiques. Je n’étais pas admis au sein de ce petit cercle. Peut-être que là, quelqu’un s’était vanté, captivant l’attention à l’aide d’un exposé détaillé sur la question ?
Sans trop savoir en quoi cela consistait, j’avais tout de même compris que ces femmes offraient des plaisirs charnels, contre rétribution.
Irmgard était là, nonchalamment appuyée contre un réverbère. Elle portait une jupe très courte, ses bas noirs luisaient dans la pénombre. C’était une belle fille, brune, élancée. Elle avait également revêtu un bustier qui, en comprimant sa poitrine, la faisait remonter, semblant lui donner plus de volume. Ses bras étaient nus, malgré la brise fraîche qui soufflait.
Dissimulés par la grille d’un jardinet, Franz et moi observâmes son manège.
Dès qu’un client potentiel approchait, Irmgard, pleine de gouaille, l’apostrophait avec des phrases grivoises, proposait « un peu de tendresse », disait qu’elle « savait y faire », et promettait monts et merveilles.
Franz me poussa du coude. D’un hochement du menton, il me désigna Viktor, embusqué dans un renfoncement, sur le trottoir opposé.
Nous nous tînmes immobiles, juste par curiosité. Qu’attendions-nous ? En ce qui me concerne, je voulais confirmation. J’espérais la voir séduire un homme. Allaient-ils faire « ça » sous un porche, entre deux poubelles ? L’emmènerait-elle dans une chambre de bonne ? Un trouble montait en moi, bien que tempéré par l’idée que probablement, la chose ne se passerait pas sous nos yeux. Mais rien que l’imaginer…
Finalement, notre patience fut récompensée. Un quidam arriva. C’était un homme âgé, avec costume, chapeau et canne. Une conversation eut lieu à voix basse. Je ne sais pas ce qu’ils disaient, mais le ton montait. Une phrase émergea, que j’entendis nettement :
- Je n’fais pas les grand-pères, non mais sans blagues !
Le client s’éloigna. Alors Viktor sortit de son coin d’ombre et rejoignit la fille à grands pas.
S’ensuivit un court dialogue, commencé sur un ton que la distance nous empêchait de percevoir, mais qui alla crescendo. Franz m’avait serré le bras, et n’arrêtait pas de répéter :
- Regarde, regarde !
Viktor et la fille se disputaient. L’homme adoptait une attitude de plus en plus menaçante.
- Il t’a proposé vingt-cinq marks et tu as refusé ? Mais pour qui tu te prends ?
Irmgard avait quitté ses inflexions véhémentes. A présent, il y avait de la soumission, de la crainte, dans sa voix :
- Je suis désolée Viktor, mais il me rappelait trop mon père…
- Ton père ? ? ?
Il lui asséna une gifle retentissante. Puis, une fois qu’elle était au sol, il la bourra de coups de pieds, tout en hurlant :
- Je vais t’apprendre qui est le patron, espèce d’abrutie !
Je lançai un regard à Franz. Devait-on ?... Non. On laissait faire.
Il s’acharna encore quelques instants, puis la força à se relever :
- C’est le troisième qui te file entre les doigts, cette semaine. Recommence un coup comme ça et je te casse les reins, salope ! Arrange un peu ta gueule et remets-toi au turbin ! Ramène-moi du blé, et vite !
Il retourna se poster dans l’ombre, à quelques pas.
Irmgard pleurait, reniflait et, du plat de la main, tentait de se recoiffer.
Franz et moi repartîmes. Durant le reste du trajet, nous ne prononçâmes pas un mot.
( ... )
Un soir, alors que nous marchions en discutant, nous reconnûmes Irmgard, une des entraîneuses, sur un trottoir de la Krummestrasse. Après un instant d’hésitation, nous nous cachâmes. Pas de doute, c’était elle, habillée de façon plus que suggestive.
Je n’avais jamais eu affaire, personnellement, à des prostituées. Franz m’avait raconté, mais j’ignorais s’il l’avait fait lui-même, ou s’il s’était contenté de répéter les propos d’un autre. Les grands en dernière année au gymnasium l’avaient adopté, à cause de son trafic de photos érotiques. Je n’étais pas admis au sein de ce petit cercle. Peut-être que là, quelqu’un s’était vanté, captivant l’attention à l’aide d’un exposé détaillé sur la question ?
Sans trop savoir en quoi cela consistait, j’avais tout de même compris que ces femmes offraient des plaisirs charnels, contre rétribution.
Irmgard était là, nonchalamment appuyée contre un réverbère. Elle portait une jupe très courte, ses bas noirs luisaient dans la pénombre. C’était une belle fille, brune, élancée. Elle avait également revêtu un bustier qui, en comprimant sa poitrine, la faisait remonter, semblant lui donner plus de volume. Ses bras étaient nus, malgré la brise fraîche qui soufflait.
Dissimulés par la grille d’un jardinet, Franz et moi observâmes son manège.
Dès qu’un client potentiel approchait, Irmgard, pleine de gouaille, l’apostrophait avec des phrases grivoises, proposait « un peu de tendresse », disait qu’elle « savait y faire », et promettait monts et merveilles.
Franz me poussa du coude. D’un hochement du menton, il me désigna Viktor, embusqué dans un renfoncement, sur le trottoir opposé.
Nous nous tînmes immobiles, juste par curiosité. Qu’attendions-nous ? En ce qui me concerne, je voulais confirmation. J’espérais la voir séduire un homme. Allaient-ils faire « ça » sous un porche, entre deux poubelles ? L’emmènerait-elle dans une chambre de bonne ? Un trouble montait en moi, bien que tempéré par l’idée que probablement, la chose ne se passerait pas sous nos yeux. Mais rien que l’imaginer…
Finalement, notre patience fut récompensée. Un quidam arriva. C’était un homme âgé, avec costume, chapeau et canne. Une conversation eut lieu à voix basse. Je ne sais pas ce qu’ils disaient, mais le ton montait. Une phrase émergea, que j’entendis nettement :
- Je n’fais pas les grand-pères, non mais sans blagues !
Le client s’éloigna. Alors Viktor sortit de son coin d’ombre et rejoignit la fille à grands pas.
S’ensuivit un court dialogue, commencé sur un ton que la distance nous empêchait de percevoir, mais qui alla crescendo. Franz m’avait serré le bras, et n’arrêtait pas de répéter :
- Regarde, regarde !
Viktor et la fille se disputaient. L’homme adoptait une attitude de plus en plus menaçante.
- Il t’a proposé vingt-cinq marks et tu as refusé ? Mais pour qui tu te prends ?
Irmgard avait quitté ses inflexions véhémentes. A présent, il y avait de la soumission, de la crainte, dans sa voix :
- Je suis désolée Viktor, mais il me rappelait trop mon père…
- Ton père ? ? ?
Il lui asséna une gifle retentissante. Puis, une fois qu’elle était au sol, il la bourra de coups de pieds, tout en hurlant :
- Je vais t’apprendre qui est le patron, espèce d’abrutie !
Je lançai un regard à Franz. Devait-on ?... Non. On laissait faire.
Il s’acharna encore quelques instants, puis la força à se relever :
- C’est le troisième qui te file entre les doigts, cette semaine. Recommence un coup comme ça et je te casse les reins, salope ! Arrange un peu ta gueule et remets-toi au turbin ! Ramène-moi du blé, et vite !
Il retourna se poster dans l’ombre, à quelques pas.
Irmgard pleurait, reniflait et, du plat de la main, tentait de se recoiffer.
Franz et moi repartîmes. Durant le reste du trajet, nous ne prononçâmes pas un mot.
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Re: Prérogatives patronales
La cruauté partout, dans cet environnement... je pense que l'ensemble devrait dresser un tableau vraiment cohérent et convaincant. Le roman va valoir le coup !
Une remarque :
- Je n’fais pas les grands-pères
(pour cette réplique de dialogue comme pour les autres, en typographie le trait d’union « - » ne suffit pas comme indicateur, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »)
Une remarque :
- Je n’fais pas les grands-pères
(pour cette réplique de dialogue comme pour les autres, en typographie le trait d’union « - » ne suffit pas comme indicateur, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »)
Procuste- Nombre de messages : 482
Age : 61
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Re: Prérogatives patronales
Je suis partagée, je trouve que le trouble du narrateur est bien rendu, mais qu'à force de pudeur le récit en devient presque trop sage. Caricatural aussi peut-être, avec cette scène finale entre Irmgard et Viktor. Il faudra que je relise, que je prenne du recul avec tout ça.
Invité- Invité
Re: Prérogatives patronales
Voici un texte auquel j'accroche bien. Le style est très agréable, la scène est bien décrite tant au niveau visuel que dans les tensions et ressentis qu'elle suscite.
Juste un point qui ne me convainc pas :
S'il retient ses coups pour ne provoquer que des bleus superficiels, d'une part cela se voit (qu'il retient les coups), d'autre part je ne pense pas que la clientèle "tout-venant" comme ici apprécie les bleus. A ma connaissance le passage à tabac est effectivement une méthode de maquereau pour se faire "respecter", mais il est pratiqué hors de la voie publique et normalement rarement car la fille n'est pas en état de travailler, ni présentable durant plusieurs jours voire semaines (quel manque à gagner !).
Pour les sommations avant vraie punition, la gifle est une bonne idée : douloureuse, violente mais qui ne laisse de traces que si elle est très forte (ce qui semble être le cas de celle-ci que personnellement j'atténuerais). Empoigner les cheveux, mettre à genoux et secouer violemment est aussi un moyen de faire mal et d'impressionner sans laisser de traces.
Bref, selon moi, Ubikmagic, vous n'êtes pas encore prêt pour le CAP de souteneur. ;-)
Par contre, vous l'êtes pour celui de romancier. :-)
Juste un point qui ne me convainc pas :
Un homme en colère qui "bourre de coups de pieds" quelqu'un à terre fait, je pense, des dégâts trop importants (côtes cassées, muscles froissés (avec gros hématomes), voire organes éclatés et hémorragies internes graves) pour qu'on puisse se remettre à tapiner 5 minutes après.Puis, une fois qu’elle était au sol, il la bourra de coups de pieds, tout en hurlant
[...]
Il s’acharna encore quelques instants,
S'il retient ses coups pour ne provoquer que des bleus superficiels, d'une part cela se voit (qu'il retient les coups), d'autre part je ne pense pas que la clientèle "tout-venant" comme ici apprécie les bleus. A ma connaissance le passage à tabac est effectivement une méthode de maquereau pour se faire "respecter", mais il est pratiqué hors de la voie publique et normalement rarement car la fille n'est pas en état de travailler, ni présentable durant plusieurs jours voire semaines (quel manque à gagner !).
Pour les sommations avant vraie punition, la gifle est une bonne idée : douloureuse, violente mais qui ne laisse de traces que si elle est très forte (ce qui semble être le cas de celle-ci que personnellement j'atténuerais). Empoigner les cheveux, mettre à genoux et secouer violemment est aussi un moyen de faire mal et d'impressionner sans laisser de traces.
Bref, selon moi, Ubikmagic, vous n'êtes pas encore prêt pour le CAP de souteneur. ;-)
Par contre, vous l'êtes pour celui de romancier. :-)
On va voir ça.
Marie-Catherine a écrit:
Pour les sommations avant vraie punition, la gifle est une bonne idée : douloureuse, violente mais qui ne laisse de traces que si elle est très forte (ce qui semble être le cas de celle-ci que personnellement j'atténuerais). Empoigner les cheveux, mettre à genoux et secouer violemment est aussi un moyen de faire mal et d'impressionner sans laisser de traces.
Bref, selon moi, Ubikmagic, vous n'êtes pas encore prêt pour le CAP de souteneur. ;-)
Salut,
C'est vrai qu'en la matière, je manque d'expérience. Je vais corriger ça derechef.
Je proposerai la version modifiée dès qu'elle me paraîtra plus conforme à ces remarques.
Ubik.
P.S. : à propos des tirets : je me sers du 6, il est suffisant. De manière générale, mon éditeur est sur Mac, moi sur PC, il y a donc un trafic à faire entre les deux, une conversion, et c'est lui qui s'en occupe. Donc je fonctionne comme ça, c'est mon habitude. J'ai toujours des formats d'épreuve avant la parution, et je corrige au format .doc, après ça n'est plus mon rayon, j'attends de recevoir mon livre et même sur la couverture, je n'ai en général que peu à dire, je prends comme ça vient. Bien content qu'un éditeur en veuille...
Voilà ce que ça donne :
... Le client s’éloigna. Alors Viktor sortit de son coin d’ombre et rejoignit la fille à grands pas.
S’ensuivit un court dialogue, commencé sur un ton que la distance nous empêchait de percevoir, mais qui alla crescendo. Franz m’avait serré le bras, et n’arrêtait pas de répéter :
- Regarde, regarde !
Viktor et la fille se disputaient. L’homme adoptait une attitude de plus en plus menaçante.
- Il t’a proposé vingt-cinq marks et tu as refusé ? Mais pour qui tu te prends ?
Irmgard avait quitté ses inflexions véhémentes. A présent, il y avait de la soumission, de la crainte, dans sa voix :
- Je suis désolée Viktor, mais il me rappelait trop mon père…
- Ton père ? ? ?
Il lui asséna une gifle retentissante. Puis, la saisissant par les cheveux, il l’obligea à s’agenouiller. Une fois qu’elle était au sol, il la secoua rudement, tout en hurlant :
- Je vais t’apprendre qui est le patron, espèce d’abrutie !
Je lançai un regard à Franz. Devait-on ?... Non. On laissait faire.
Il la claqua encore, puis la força à se relever :
- C’est le troisième qui te file entre les doigts, cette semaine. Recommence un coup comme ça et je te casse les reins, salope ! Arrange un peu ta gueule et remets-toi au turbin ! Ramène-moi du blé, et vite !
Il retourna se poster dans l’ombre, à quelques pas.
... J'espère que ça "fonctionne" mieux ainsi...
( ... )
S’ensuivit un court dialogue, commencé sur un ton que la distance nous empêchait de percevoir, mais qui alla crescendo. Franz m’avait serré le bras, et n’arrêtait pas de répéter :
- Regarde, regarde !
Viktor et la fille se disputaient. L’homme adoptait une attitude de plus en plus menaçante.
- Il t’a proposé vingt-cinq marks et tu as refusé ? Mais pour qui tu te prends ?
Irmgard avait quitté ses inflexions véhémentes. A présent, il y avait de la soumission, de la crainte, dans sa voix :
- Je suis désolée Viktor, mais il me rappelait trop mon père…
- Ton père ? ? ?
Il lui asséna une gifle retentissante. Puis, la saisissant par les cheveux, il l’obligea à s’agenouiller. Une fois qu’elle était au sol, il la secoua rudement, tout en hurlant :
- Je vais t’apprendre qui est le patron, espèce d’abrutie !
Je lançai un regard à Franz. Devait-on ?... Non. On laissait faire.
Il la claqua encore, puis la força à se relever :
- C’est le troisième qui te file entre les doigts, cette semaine. Recommence un coup comme ça et je te casse les reins, salope ! Arrange un peu ta gueule et remets-toi au turbin ! Ramène-moi du blé, et vite !
Il retourna se poster dans l’ombre, à quelques pas.
... J'espère que ça "fonctionne" mieux ainsi...
( ... )
Re: Prérogatives patronales
A voir replacé dans un ensemble plus vaste. Comme ceci, la scène fonctionne, certes, mais le manque de contexte la rend un peu lisse et ne fait pas assez ressortir la couardise/l'indifférence/la résignation des spectateurs.
Sinon ça reste toujours très bien écrit, rien à redire là-dessus.
Sinon ça reste toujours très bien écrit, rien à redire là-dessus.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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