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Mots à corps

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Mots à corps Empty Mots à corps

Message  Louis Sam 18 Déc 2010 - 18:04


Un matin, alors que j’étais tombé du lit, je me suis aperçu, à mon grand effarement, que je ne tenais plus debout. En moi, rien ne tenait plus et je ne tenais plus à rien. Tout se détachait de moi, et tout irrémédiablement chutait. Des pans entiers de ma personne, et d’abord de mon corps, lamentablement s’écroulaient. Je me perdais dans un fantastique détachement. Incroyable ! J’existais en pure perte. J’en étais effondré.
A me sentir si détaché, les bras en premier m’en tombèrent, et mes pensées, bouleversées par l’étrange phénomène, en restèrent ballantes. Ça tombait mal, parce que désormais manchot je ne pouvais plus écrire à ma famille, comme j’en avais l’intention, que je me portais bien, que j’embrassais résolument la vie avec joie, que je prenais dorénavant les difficultés à bras-le-corps et ne baissais surtout pas les bras.
Mes jambes ensuite, sur lesquelles pourtant j’étais d’habitude solidement campé, se firent molles, en pâté de foie. Un trouble m’envahit, si grand, j’en eus les jambes coupées.
Sans bras, sans jambes, je me sentis si diminué, j’en tombai sur le cul.
Cul de jatte, voilà ce que j’étais incompréhensiblement devenu. Eclopé d’un moment sans nom. Amputé sans raison. Invalide sans place debout. Mais que m’arrivait-il donc ?
Je constatai, avec abattement, que la dégringolade se poursuivait. Mes épaules se voûtaient, tombantes ; et mes joues, elles aussi, tombantes ; et mes lèvres, mes cils et mes sourcils, tombants ; mon front se courbait, mes oreilles pendeloquaient, ma vue baissait. En somme, j’existais de moins en moins, je vivais en soustraction. Je déclinais. Je glissais vers la tombe. A leur tour, quelques larmes tombèrent. Je ne pouvais que pleurer sur mon sort, lui qui m’avait dépecé, morcelé et tout décomposé.
Atterré par ce qui survenait et que je ne comprenais pas, moi, démembré, disloqué, tout décousu, j’émis une plainte déchirante.
Ma tension aussi chuta, et mes reins, dans un prolapsus généralisé de toutes mes entrailles. Mon moral, quant à lui, s’était mis en berne, il était au plus bas.
Je me retrouvais démonté. Sur le sol, affalé, tout décontenancé et vidé.
Désormais à terre, une vraie carpette, une véritable descente de lit, je mordais la poussière et me nourrissais de l’absence.

A l’évidence, je ne faisais plus corps avec moi-même. Quelle défaite ! J’étais vaincu, mais j’allais me refaire. Sûr ! Disjoint, j’allais me rejoindre à l’autre bout de moi-même. J’étais déboîté, indubitablement, mais j’allais me reconstruire, me remettre d’aplomb, me relever et affronter la vie avec courage.
Toute carpette que je fusse, je n’en décidai pas moins de grimper aux rideaux, de grimper aux murs, et d’escalader les cieux. Dans un sursaut, je décidai de ne plus m’aplatir, de remonter la pente, de me remettre, moi qui étais tout démis. Oui, j’allais remonter, me redresser, revenir à la présence au monde. Et comment ! Debout, damné que je suis, de la terre, de la nuit.

J’ai donc retrouvé mes esprits, je me suis donné du corps, me suis mis dans ma peau, me suis mis en chair et remis en jambes, j’ai même tenté de remettre ma tête sur les épaules ; je me suis donné le bras et j’ai fait des pieds et des mains pour recoller à la vie. Je me suis donné du cœur au ventre, je me suis donné bon dos, un dos large, que j’ai redressé, j’ai mis du sang dans mes veines, j’ai relevé la tête, et j’ai fait front face à la réalité retrouvée.
J’ai pris garde tout de même à ne pas me faire de mauvais sang, à ne pas me faire de bile, à ne pas faire de vieux os, et surtout à ne pas trop m’en faire.
J’étais, croyais-je, enfin revenu à moi, de loin, du tout en bas, après une grosse dégringolade, bien décidé à rester là, solidement debout, et à ne plus me briser, disparate et déconfit.
Mais quand je me suis vu dans la glace, je n’en suis pas revenu ! J’ai fait mauvaise tête. Et la moue. Je ne m’étais pas remis comme il faut. J’avais en effet la tête à l’envers. J’en fus tout retourné. Oh, d’ailleurs, avais-je bien la tête à moi ? Je croyais, quelle illusion ! retrouver la forme, je me découvrais tout déformé, le corps désaccordé en chaos in extenso.
Avec crainte et stupeur, je me découvris très mal foutu, bien mal arrangé, j’eus même envie de me fuir tant j’avais les jambes à mon cou, de partir à la renverse tant le cul se retrouvait par-dessus tête. Tout décidément tournait mal pour moi ; il y a ainsi des jours où tout prend mauvaise tournure ; aucun doute, il y a des moments de tresses. Il y a des jours, comme ça, résilles. Des moments passements et des journées en macramé. Il y a ces temps-là, quand on se laisse abattre à plate couture. Yvette m’attendait pourtant, ce jour-là, et tant d’affaires attendaient, ce même jour, qu’elles soient réglées. Mais comment s’y prendre quand on est soi-même tout déréglé ? Oui, j’avais la mer à boire en ce jour, – il y a des journées comme ça, salées – et je n’avais pas avalé la moindre goutte. Comment faire face ? A faire front, je me cassais les dents, et le nez ; je n’avais pas le nez fin, pour sûr, et, narquois, il me faisait un pied au milieu du visage. Les yeux, je ne les avais point en face des trous, je n’y voyais goutte dans la marée des difficultés qui me submergeait, avec mes yeux marins, bordés d’anchois, yeux de merlans frits par vagues, mirettes aveugles des surfaces, billes noyées dans les profondeurs.
Je me découvrais tout emmêlé, bras noués et mains tordues, tout emberlificoté, curieusement contorsionné. Je ne pouvais décemment pas sortir de ma chambre, et ainsi paraître au monde tout de guingois, confus et contrefait, polichinelle dégingandé, effrayant hispide. Non, je ne pouvais pas faire bonne figure dans le décorum.
Sur l’un des versants de la vie trop glissants, j’avais achoppé, et ne savais remonter, j’échouais à me refaire, ne parvenais plus à me reconstituer. Quelle solution à mon problème ?

Je méditais. Il me fallait, en effet, établir un bilan de la situation. Reprendre les données dispersées, toutes les coordonnées et trouver le bon calcul qui mène au dénouement. Je pensais, puisque la tête n’était pas encore perdue, juste égarée dans un corps détraqué. J’esquissai une position caricaturale, de lotus, allongé sur le flanc gauche. Très vite pourtant, mais avec grand peine, je changeai de posture, m’avisant que je prêtais ainsi le côté à la critique, alors que mes collègues de travail m’attendaient ce matin au bureau, en prenant l’attitude de celui qui tire en ce sens, au flanc. Las, bras croisés, tête piquée dans les omoplates, je tentai un recueillement.

Il faut se donner corps et âme, pensai-je. Que d’exigences ! Par négation, sans doute, je restais en retrait ce matin ; tout en retenue, je me soustrayais au monde, me retirais de tout, me retranchais dans mon réduit, de moins en moins présent, en une tendancielle baisse vers le moins que rien. Oui, je me divisais aussi, en cette situation où l’on se brise et s’exfolie. Moi en miettes, tout fractionné, je ne réussissais pas à recoller au monde, à retrouver une unité, une individualité indivisible, dans un premier en nombre, et me voyais plutôt le dernier des derniers. J’avais tenté de recoller les morceaux, mais je n’étais pas, en somme ; nul n’est une somme, nul un simple tas de membres, une juxtaposition, mais un organisme plutôt, complexe et structuré. Je m’étais manqué. Je payais l’addition. Et me retrouvais devant une multiplication d’embarras, d’os multiples qui tombaient sur mon ventre mou, sans me donner l’armature nécessaire pour tenir encore debout, ni l’ossature énergique d’une victoire sur l’adversité. J’avais donc tiré un trait sur la vie qui m’attendait. Mauvaise opération de ma part… Celle de ne plus vouloir donner corps à toutes les attentes, quand mon existence se rangeait tout entière dans les exigences des autres. Face à toutes les mises en demeure, je demeurais dans ma chambre, le corps devenu inapte à tout impératif.
C’est un divorce, je le comprenais, qui s’opérait. J’étais en séparation de corps avec le monde.

Il fallait pourtant reprendre les choses en main, repartir du bon pied, mais voilà, je n’avais plus bon pied bon œil, plus les mains et les pieds à leur place, là où ils devaient être. Mal en point, je n’avais pas même une ligne de conduite, moi, géométriquement cafouilleux.

Je continuais à méditer. Que faire d’autre, dans pareille situation, sinon une introspection de l’âme et du corps ?
Mon corps est une voix, me dis-je soudain, après des heures d’immobilité. Oui, il est la correspondance, c’est bien cela, oui, la correspondance corrélative qui exprime en l’occurrence un besoin de correction, celle d’une vie déviante de sa trajectoire essentielle.
Mon corps, voilà, était au bout de ma langue.
Je me disais : je suis un idiome, un idiolecte qui ne sait plus se dire comme il convient. Seuls les mots pouvaient me remettre en place, et me permettre de sortir de cet état embrouillé où je me trouvais démis, désemparé, et démissionnaire de l’existence sous les yeux d’autrui. L’idée me parut limpide, si claire, elle m’accaparait, me sautait aux yeux.

Tout se précisa : je suis un corps texte, me dis-je. Mais un peu décervelé. Un texte surtout qui a, sacrum, perdu son latin, humérus, cubitus, radius ; qui manque du vocabulaire claviculaire et coxo-fémoral. Trop brouillon, trop de ratures, dans mon texte, trop de fautes dans l’orthographe de ma physiologie pantomime. Anémié, il n’a pas trouvé sa veine. Sans ossature solide, ses phrases démembrées n’ont ni queue ni tête. Sans nerfs, sans force, sans énergie, il ne marche pas, mon texte, mais titube, vacille, se prend les pieds dans la grammaire osseuse et la syntaxe musculaire. Je me suis mal écrit ces jours-ci. Il fallait donc tout décortiquer, et tout remettre à plat.
Maintenant, il faut se donner bonne composition, se rédiger à nouveau, trouver la corde-lettre, le bon fil d’une texture. Se donner les reins solides pour un corps à corps avec le monde. Je cherche les substantifs et les qualificatifs, je cherche en corps les conjonctions et les coordinations, toutes mes conjugaisons sans fautes d’accord. Je cherche le vocabulaire idoine, mon corps propre, toujours et encore suspendu sur le bout de ma langue.



Louis

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Message  elea Sam 18 Déc 2010 - 22:56

Quelle fine manière de jouer avec les mots, les expressions toutes faites dans cette relation entre le corps, ses membres, et l’esprit. Le jonglage est habile, léger. C’est sur le fil parfois, à la limite de tomber du mauvais côté et puis un je-ne-sais-quoi redonne l’équilibre.
Le rythme peut-être, le ton, le fond, qui font avaler sans difficulté des ficelles qui auraient pu être grossières. La démonstration est brillante avec une impression finale que tout ce qui pouvait être dit et pensé sur le sujet a été exploité à fond, jusqu’à épuisement du filon.
Une jolie dissection.

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Message  Ba Dim 19 Déc 2010 - 8:45

Une inspection de soi sans bavures. Avec brio.
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Message  mir0ir0bscur Dim 19 Déc 2010 - 9:35

D'accord avec Elea.
J'ai failli perdre l'équilibre, et puis non.
Jusqu'à la fin, cela titube, cela se tient.
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Mots à corps Empty Re: Mots à corps

Message  Invité Dim 19 Déc 2010 - 11:02

J'ai beaucoup aimé, malgré un ou deux bémols.

J'ai tout de suite pensé à un sketch de Devos, dont je ne me souviens plus le nom, hélas. Cela parlait d'un homme qui devenait petit tas de poussière sur la route de Dijon, et qui peu à peu se recomposait en s'envolant vers Paris. Comme Devos (que j'adore, c'est un bon point), vous jouez sur les mots et les expressions avec brio (même si vous allez plus loin que lui, je trouve, avec un style plus littéraire)

Mais bien entendu, puisque la "chute" arrivait dès le début du texte, je me suis demandé au fur et à mesure de ma lecture comment cela allait finir. Je me suis délecté jusqu'à "le corps désaccordé en chaos in extenso". Au paragraphe d'après, j'ai commencé à trouver cela un peu répétitif, d'autant que les jeux de mots faiblissaient ("des moments de tresses", "résilles")... Mais ça s'est rétabli après. Cependant, alors que je pensais que vous alliez nous fournir une "morale" extrêmement intéressante, sur la vacuité des rapports humains (avec les termes "en retrait du monde", "de moins en moins présent", "ne plus donner corpsà toutes les attentes, quand mon existence se rangeait tout entière dans les exigences des autres"), vous avez bifurqué, en nous parlant du "corps du texte" et des mots capables de recomposer l'être. Ces deux manières d'achever votre texte sont intéressantes (j'aurais peut-être préféré la première), toutefois je trouve qu'on sent que vous avez hésité pour trouver une fin, et qu'elle est un peu artificielle. Cependant, il y a une maîtrise des mots et de l'humour qui sauve ce texte, qui se lit comme du petit lait.

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Mots à corps Empty Re: Mots à corps

Message  Invité Dim 19 Déc 2010 - 13:11

Dans ce genre d'exercice c'est moins la virtuosité à faire usage d'un champ lexical qui m'impressionne que la capacité à s'en servir pour construire un récit qui se tienne (ou comble de l'exigence, un récit qui tienne en haleine) tout en incluant les expressions fournies par le champ lexical en question. Or, l'éventail ici déployé prend le pas sur l'histoire qui apparaît surtout comme le faire-valoir d'une prouesse linguistique. C'est bien sûr le risque inhérent à une telle entreprise.
Cela dit, plus que la qualité du fond, je reproche l'excès de recherche dont la forme fait l'objet, excès qui en vient à friser l'artifice.
Un cas du mieux qui serait l'ennemi du bien.
Et donc pas de septième ciel dans ce texte.


Remarque :

"m’avisant que je prêtais ainsi le côté à la critique", ne dit-on pas plutôt "prêter le flanc à" ? Je sais bien que le mot "flanc" apparaît après et que la répétition ne serait pas heureuse, mais je me pose réellement la question.



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Mots à corps Empty Les bras m'en tombent.

Message  ubikmagic Dim 19 Déc 2010 - 21:02

Louis, tu es toujours aussi virtuose ! Bravo. J'en reste pantois...

Ubik.
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